5è et dernier article de cette chronique sur les films présentés dans le cadre d’IL EST UNE FOI, les Rendez-vous cinéma de l’Eglise catholique à Genève et qui relate d’une façon ou d’une autre, notre expérience du confinement, à la lumière d’œuvres souvent apocalyptiques, voire dystopiques. Pour clore ce chapitre, un film d’Abel Ferrara, l’enfant terrible Hollywood: 4h44, dernier jour sur terre.
Dans son appartement new-yorkais, Skye (Shanyng Leigh) attend la fin du monde en achevant tranquillement une peinture de grand format. Cisco (le toujours impeccable Willem Dafoe), son compagnon la rejoint. La perspective de l’apocalypse en marche dont les scientifiques et les médias ont fixé l’échéance au lendemain, à 4h44, l’agite plus que sa petite amie. Après une étreinte qui ne règle rien, Cisco se rend sur la terrasse et songe au suicide. Il reporte son saut dans le vide et appelle sa fille. L’irruption de son ex-femme dans la conversation provoque colère, aveux et disputes avec Skye.
Abel Ferrara traite avec talent un sujet pourtant difficile. Aux grandes orgues « luthériennes » de Lars von Trier, le catholique récemment converti au bouddhisme, préfère la petite musique de chambre d’un couple confronté à l’imminence de la fin du monde. Dans leur loft de Manhattan, la ville qui ne s’arrête jamais, nos deux protagonistes s’aiment, se disputent, créent, discutent avec des proches, retrouvent des amis et s’interrogent. Ils sont confrontés à un enjeu de taille: que faire de ces heures ultimes? s’autodétruire ou se réconcilier avec les autres, puis avec soi-même afin de partir la tête haute? Ce sont ces questions existentielles auxquelles se confronte le réalisateur.
Abel Ferrara, dans la vie, dans les festivals, dans le dossier de presse, a un discours. Catholique et christique hier, le voici devenu bouddhiste grâce à sa jeune épouse et actrice, Shanyn Leigh (admirable dans le film). Et il exprime un propos plutôt convenu sur l’effroi et la décadence que représenteraient le numérique et le virtuel, qui éloigneraient les hommes les uns des autres et ne les font plus communiquer, hélas, que par l’intermédiaire de l’image, de l’immatériel.
Outre que ce discours gentiment commun et réac que l’on peut entendre dans tous les comptoirs de bistrot du monde entier, l’admirable est que 4h44 dit tout le contraire, comme si le cinéma de Ferrara, donc, se montrait plus fort que celui qui le produit. Un film qui va contre l’avis de son auteur, qui le réfute et le vainc, quoi de plus beau ?
On le sait, le cinéma et la littérature se sont largement emparés du thème du virus car il présente des qualités narratives sans limite. En ces temps de confinement planétaire, tout (ou presque) aura été dit sur le sujet. Alors que le déconfinement s’opère « aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire », nous aurons vécu, durant ces deux mois, la réalité d’un adage bien connu qui dit que « la réalité dépasse la fiction ». Bien entendu, le Coronavirus n’est ni Ebola, ni Marburg. On peut même évoquer d’autres virus mortels, passé quasiment dans l’oubli grâce au vaccin, comme la Rage ou le néanmoins récent VIH, sans oublier la bonne vielle grippe saisonnière qui tue, sur le plan mondial entre 290’000 à 600’000 personnes (OMS) chaque année. On nous promet demain un monde « différent » car nous aurions paraît-il, appris quelque chose… Certains évoquent une punition divine, d’autres, plus terre-à-terre, une erreur de manipulation et d’autres encore, la transmission du virus à l’homme par l’intermédiaire du Pangolin ou d’un singe, ce qui semble très probable. Cet invisible guerrier qui terrorise notre société fondée sur les relations sociales et brise notre économie dépendante du travail, quoi de plus normal, nous interroge néanmoins sur la valeur et le sens que nous devons donner à notre manière de vivre et d’inter-agir ensemble. Notre système fondé sur la notion de performance, parfois à l’excès: performance commerciale, performance sociale, réussite professionnelle, performance sexuelle, nous oblige à réfléchir sur le monde que nous voulons pour demain. Les promesses d’une prise de conscience qui déboucherait sur une réelle volonté de changement demeurent très hypothétiques. Restons néanmoins confiant et face au défi d’une monde nouveau, c’est notre responsabilité individuelle qui est engagée.
Pour terminer, je suggérerai un dernier film, une dernière lecture : La Guerre des monde, de H.G. Wells, auteur prémonitoire, comme le sont souvent les auteurs de sciences fiction. Pourquoi? Parce que l’envahisseur extra-terrestre, dans l’oeuvre originale de Wells résiste à tout : puissance militaire et armes sophistiquées et destructrices. Alors que la terre semble vivre ses dernière heures, au terme d’une guerre qui n’aura eu aucun effet sur les envahisseurs, s’est en fin de compte… un virus qui aura leur peau. Je recommande la version de 1953 de Byron Haskin, bien plus fidèle au roman que celle de Steven Spielberg.
mai 2020
Geoffroy de Clavière
Délégué Général IL EST UNE FOI