Dépasser le prêt-à-croire grâce à une formation théologique œcuménique, à la fois solide et vulgarisée, c’est ce que propose depuis 50 ans l’Atelier Œcuménique de Théologie (AOT) de Genève. Un jubilé qui débute en ce mois de janvier 2023, avec cet objectif: relancer un œcuménisme qui a tendance à ronronner.
L’Atelier œcuménique de théologie est né en 1973 à Genève, sous l’initiative du Centre protestant d’études et de la Communauté des jésuites de Genève. Il propose des formations théologiques pour adultes de toute confessions – voire sans confession -, autour d’un fil conducteur qui change tous les deux ans.
La nouvelle et 26e volée de l’AOT démarrera en septembre 2023, sous le titre La foi en héritages? Confronter les points de vue et rivaliser d’estime mutuelle. Un titre qui résume bien les objectifs de toujours de l’Atelier et ceux de ses membres actuels. À savoir, revisiter en groupes interconfessionnels ses propres traditions religieuses et se confronter à celles des autres, en vue d’enclencher des dynamiques œcuméniques.
Chaque parcours attire entre 70 et 100 participants d’horizons et de formations très différents. L’AOT ne leur demande pas de certificat de baptême! Juste d’être intéressés par la démarche.
La Communauté de travail des Églises chrétiennes en Suisse ne s’est pas trompée en attribuant en 2013 à l’AOT le label œcumenica. Car l’œcuménisme se pense et se vit dans cette association aussi bien via les contenus des cours qu’elle propose que dans sa structure même. Ainsi son Comité est composé de catholiques et de protestants en nombre plus ou moins égal; sa direction est assurée en binôme par un(e) catholique et un(e)réformé, aujourd’hui Anne Deshusses-Raemy, représentante de l’Église catholique de Genève (ECR), et le pasteur Blaise Menu, envoyé par l’Église protestante de Genève; et ses cours hebdomadaires sont préparés par des équipes de deux, voire trois théologiens, catholiques romains, réformés ou orthodoxes.
Depuis quelques années, en effet, l’AOT compte un orthodoxe dans son équipe enseignante. Un enrichissement pour tous, affirme la co-direction. Ce fut, jusqu’en 2022, Georges Lemopoulos, ancien secrétaire général adjoint du Conseil œcuménique des Églises (COE), et c’est aujourd’hui Stefan Constantinescu, responsable du Département de la formation des adultes de l’Église catholique dans le canton de Vaud. Ces deux théologiens laïcs, inscrits dans leur tradition respective grecque et roumaine, ont reçu l’accord de leur évêque pour ce faire.
«L’AOT est un excellent exemple d’œcuménisme local, implanté dans la réalité genevoise et vécu par chaque enseignant ou participant, déclare Georges Lemopoulos. Œuvrer au COE, c’est voguer entre les continents sur un immense paquebot. Enseigner à l’AOT, c’est avancer sur le lac, dans une petite barque. Il est absolument nécessaire d’établir des liaisons entre l’œcuménisme mondial et l’œcuménisme local. L’un ne peut exister sans l’autre.»
Si les tensions politiques viennent parfois enrayer les mécanismes de rapprochements entre Églises, sur le plan théologique, les grandes ruptures paraissent derrière. Le pasteur Blaise Menu est formel. «Côté catholiques et réformés, on n’est plus dans le registre des identités crispées qu’il faut amadouer. De grands théologiens nous disent que la ligne de fracture du 16e siècle est surmontable, refermée même!»
Et de citer Karl Lehmann et Wolfhart Pannenberg qui, en 1989, ont dirigé l’édition d’un livre au titre évocateur: Les anathèmes du XVIe siècle sont-ils encore actuels? Les condamnations doctrinales du concile de Trente et des Réformateurs justifient-elles encore la division de nos Églises? L’ouvrage contenait un ensemble de propositions, commandées par Joseph Ratzinger, soumises aux Églises catholique, luthérienne et réformée en Allemagne. «Ce livre a largement contribué au rapprochement luthéro-catholique, qui a abouti, en 1999, à la signature de la Déclaration commune sur la justification par la foi par le Vatican et la Fédération luthérienne mondiale, puis, en 2017 – on l’oublie trop souvent! – par la Communion mondiale d’Églises réformées. Les consensus théologiques différenciés entre chrétiens sont devenus possibles.» Pour Blaise Menu, cela pourrait même être le cas pour la question de l’eucharistie. «Sommes-nous toujours dans le registre de ruptures fondamentales ou les cultivons-nous?» se demande-t-il.
Les cours et les ateliers en groupe de l’AOT visent à amener les participants à analyser les enjeux et les contextes historiques qui se mêlent aux lectures théologiques confessionnelles, à ne plus se contenter de slogans, d’habitudes, y compris œcuméniques. Nombre d’entre eux, au fil des volées, ont témoigné de ce que cela leur a amené sur le plan biblique et théologique, mais aussi sur celui de leur lecture du monde. Ainsi, déclare Anne Deshusses-Raemy, «l’Atelier est un véritable laboratoire de sens». Quant à Blaise Menu, il s’enthousiasme lorsqu’on lui demande ce que l’AOT lui apporte. «Je n’ai pas de mot assez forts pour dire à quel point cela me stimule. Cela a fait exploser ma curiosité théologique. Nous sommes un des rares lieux, en dehors de l’université, où l’on fait de la théologie à fond.»
La première année du parcours est plus spécifiquement consacrée à la lecture de la Bible, le domaine le plus consensuel, et donc le plus facilement abordable du point de vue œcuménique. Les sciences bibliques et leurs méthodes d’interprétation historico-critiques ont d’ailleurs été un vivier de l’œcuménisme. «Aller au cœur des textes et de la racine des mots en hébreu et en grec permet de réellement revisiter les idées reçues et de ne plus accepter des explications consensuelles qui peuvent être des contresens», affirme Anne Deshusses-Raemy.
«Lors de la seconde année de cours, nous appliquons ces méthodes à l’analyse de nos traditions respectives, précise Blaise Menu. Cela permet de les replacer dans les contextes historiques de leur naissance et évolution. Cela passe par le questionnement des systèmes institutionnels. Il est essentiel de chercher les brèches qui permettent à la vie d’exister, en dehors de la survie des systèmes pour eux-mêmes. Une partie de la réflexion de l’Église protestante sur l’inclusivité repose sur le bilan humain désastreux qu’ont produit certaines lectures religieuses, notamment pour les homosexuels. Remettre en question ces lectures, ce n’est pas sacrifier sa pensée aux valeurs du temps.»
Si nombre des questions qui fâchent ont pu être dépassées, c’est grâce aux nombreux précurseurs de l’œcuménisme, des théologiens qui ont appris à s’estimer, à ne plus voir l’autre comme un problème mais comme un partenaire. À Genève, il y a 50 ans, les tensions entre catholiques et réformés étaient encore vives, mais certains théologiens, des deux confessions, ont accepté de se rencontrer, de dialoguer (voir la rétrospective de l’AOT rédigée pour les 25 ans de l’association) et des amitiés se sont créées. Ainsi des deux premiers co-directeurs de l’Atelier, le jésuite Jean-Bernard Livio et le pasteur Eric Fuchs.
«Nous proposons aussi à l’AOT une mise en pratique de cet œcuménisme d’agapè implanté dans l’Évangile même. Cette approche repose sur cette phrase de Jésus: «…afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi» (Jean 17,21). Visiblement, cette recherche d’unité ne coule pas de source puisque Jésus en a fait un commandement! Elle demande un effort constant.» L’AOT a de l’avenir devant lui! (cath.ch/lb)
Témoignages d’animatrices
Isabelle Poncet et Stéphanie Fretz ont toutes deux suivi une volée de l’AOT avant de rejoindre l’association en tant qu’animatrices. Elles témoignent de ce que ce parcours leur amène.
Isabelle Poncet: «Je suis coordinatrice en catéchèse à Genève, dans les Unités pastorales du Plateau et de la Champagne. La théologie était pour moi un univers inconnu et mes connaissances bibliques s’arrêtaient aux textes que nous entendons lors des liturgies dominicales. La richesse des cours de l’AOT m’a donné envie de lire complètement la Bible, et j’ai pensé que si je l’avais fait avant, j’aurais nettement plus profité des cours. Aussi, lorsqu’on m’a proposé de devenir animatrice pour la volée suivante, j’ai saisi l’occasion. Le défi est d’arriver à créer un groupe entre des personnes d’horizons différents, et que chacun y trouve sa place. Mais lorsqu’on y parvient, la parole circule avec bienveillance, des liens d’amitié naissent, les questions fusent sans qu’une réponse ne soit forcément apportée.»
Stéphanie Fretz: «L’AOT a constitué un tournant dans mon parcours spirituel, une espèce de cairn. Je suis née dans une famille protestante réformée, j’ai fréquenté des écoles catholiques, fait des camps de vacances avec des organisations évangéliques, puis j’ai été membre de communautés épiscopales ou anglicanes, et pendant une dizaine d’années j’ai accompagné des jeunes sur le chemin de la confirmation dans une paroisse catholique. Je me considère plus facilement comme chrétienne que comme protestante ou catholique. La formation de l’AOT m’a permis de renouveler ma relation à Dieu, aux autres et à ma foi. L’AOT m’a aidé à reconnaître que je cherche ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous divise, et à accepter les différences dans nos manières d’expérimenter la présence de Dieu. Quand on m’a demandé si je voulais être animatrice, j’ai été remplie de joie. Être à mon tour un maillon dans cette transmission, c’est pour moi un prolongement évident.» LB
Une année riche en événements pour l’AOT
L’Atelier a notamment été invité par le Rassemblement des Églises et communautés chrétiennes de Genève à la Célébration œcuménique du 18 janvier 2023. Elle aura lieu dans la chapelle du Centre œcuménique de Genève, dans le cadre de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. La prédication sera assurée par des théologiens et théologiennes de l’AOT.
> Plus d’informations sur le site de l’AOT. LB
Lucienne Bittar pour CATH.CH