Après plusieurs opinions tranchées relayées par les médias, je suis arrivé un peu nerveux à l’exposition. Est-ce que l’exposition Body Worlds est trop forte, voire obscène; montre-t-elle un manque de respect du corps humain, de la dignité de la personne humaine, comme me le disait une amie? Par contre, mon fils, étudiant, avait dit: cela semble intéressant. Il y a eu trop de jugements faits avant même de voir l’exposition.
Dans la tradition chrétienne, le respect et la dignité du corps humain viennent de la conviction que le corps est le temple de l’Esprit saint. Dans cette perspective, et face à une vision dualiste qui oppose corps et âme, le salut n’est pas seulement pour l’âme, mais pour toute la personne, car avant d’avoir un corps, nous sommes corps.
Ainsi, avant d’entrer, je me demandais encore: «Est-ce que je suis prêt pour voir cette exposition?» Au risque de décevoir les lecteurs, je dois dire que l’exposition n’a été, pour moi, ni un spectacle macabre ni l’«exposition de ma vie».
Bien faite, instructive, même si rien n’est nouveau dans les recommandations concernant la santé, qui occupent une bonne partie de l’exposition: bouger, faire attention au sel et au sucre, avoir une alimentation équilibrée et plutôt austère pour arriver à 100 ans en pleine forme. Tout ça, on le savait avant de venir!
L’exposition est bien conçue pour atteindre les objectifs qu’elle annonce: informer le grand public sur le fonctionnement du corps humain et les conséquences de maladies sur la santé et élargir leurs connaissances sur l’anatomie et la physiologie humaines.
Certains ont demandé l’interdiction de l’exposition, comme en France, avec pour raison le manque de respect dû aux corps de personnes décédées. Prétendre que la morbidité et le voyeurisme sont les principales raisons pour lesquelles les gens vont voir l’exposition est, à mon avis, très réducteur, même si je crois que la curiosité de voir ce qui est caché joue un rôle important.
Après cette visite et une discussion, mon fils et moi gardons le souvenir d’une exposition plutôt pédagogique où la vulgarisation scientifique offre des éléments pour une prise de conscience sur la valeur de la vie, sa fragilité, la complexité du corps humain et l’inévitabilité de la mort. Si j’adopte une perspective théologique, je dirais que l’exposition montre principalement le corps mis en scène comme une mécanique appelée à fonctionner efficacement, or pour moi il est don et moyen de rencontre et de transcendance malgré/avec ses faiblesses. Et il témoigne de plus que de nous-mêmes. Cette perspective est évidemment absente dans l’exposition.
Les questions éthiques restent sans réponse: jusqu’où peut-on aller dans la manipulation du corps humain après la mort, avec quels buts?
La réponse à ces questions appartient à chaque personne intéressée, soit-elle visiteur ou non. Cela appelle au discernement individuel et sociétal.
Guillermo Kerber Théologien laïc
Service de la formation à la mission ecclésiale – Eglise catholique romaine Genève (ECR)
Paru dans la Tribune de Genève le 26 octobre 2017 (Rubrique « L’invité »)