Joie, amitié, dynamisme, fidélité, contrôle, engagement, congruence, mais également, amour, douceur, patience ou bienveillance : c’est par ces mots que ses collègues de la Pastorale de la Santé de l’Eglise catholique romaine (ECR) brossent le portrait de Cathy Espy-Ruf, leur responsable, au moment de lui souhaiter bonne route avant de son imminent départ à la retraite. Des paroles dessinées sur des feuilles, lors d’une grande fête le 11 juin dernier, et qui se résument en un seul : Merci ! Nous avons rencontré Cathy Espy-Ruf peu avant qu’elle ne s’éclipse. Entretien.
« C’est fou tout ce que j’ai accumulé, il y en a pour tous les goûts : PV, rapports, projets, comptes-rendus d’entretiens, questionnaires, formulaires… ». Assise à son bureau, Cathy Espy-Ruf feuillette ses nombreux classeurs pour faire le tri. « Je ne peux pas laisser une telle montagne de documents à mon successeur », explique-t-elle. Responsable de la Pastorale de la Santé depuis 14 ans, elle s’apprête à cesser son activité professionnelle cet été pour une retraite anticipée. C’est donc l’heure du bilan et des adieux.
Cathy Espy-Ruf: J’ai toujours été proche de l’Église, mais c’est l’abbé Giovanni Fognini qui m’a mise en route à l’âge de 16 ans, en me disant « il est facile de « critiquer l’Eglise de l’extérieur, c’est un autre défi de la critiquer de l’intérieur ». Cela m’a interpellée et je me suis engagée dans ma paroisse, Sainte-Jeanne-de-Chantal. D’abord dans la catéchèse des enfants, puis des ados et de fil en aiguille, j’ai poursuivi mon engagement bénévole jusqu’à aujourd’hui : présidente du conseil de communauté de la paroisse durant 25 ans, animations liturgiques des messes des familles et animation du groupe des aînés.
Mon engagement au sein de la Pastorale de la Santé c’est fait par étapes. Je suis responsable de l’Aumônerie catholique de la Maison de Retraite du Petit-Saconnex et aumônière (400 résidents et la gestion d’un groupe de 15 bénévoles) depuis décembre 2004 et de l’EMS des Pins (60 résidents) depuis 2007. Le mandat a été enfin rémunéré en 2007. C’est en 2011 que j’ai été nommée Responsable de la Pastorale de la Santé.
C’est le plus vaste service de l’Eglise. Les aumôniers de la Pastorale sont présents sur les six sites des HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève) et les 55 EMS, les cliniques et hôpitaux privés du canton et une présence à domicile en développement, pour un total d’environ 6200 personnes fragilisées par la maladie ou l’âge que nous visitons. La Pastorale organise des célébrations dans ces 60 lieux : messes, célébrations œcuméniques, sacrements, cérémonies du souvenir, funérailles. Les collaborateurs assurent présence, écoute, soutien aux patients et aux résidents ainsi qu’à leurs familles et accompagnent les bénévoles. La dimension œcuménique est par ailleurs essentielle dans notre approche.
En EMS, les personnes accompagnées sont en situation de grande fragilité. En hôpital, et notamment sur les sites des HUG, les besoins des patients varient en fonction des services : pédiatrie (situations avec des enfants malades), maternité (nouveau-nés, femmes enceintes avec des joies et des peines pour des parents endeuillés par exemple), unité oncologique, soins palliatifs, médecine générale, gériatrie, réhabilitation : la pastorale assure l’accompagnement de personnes de tous âges et situations de santé. La Pastorale compte 13 aumôniers laïcs salariés et deux prêtres et peut compter sur environ 150 bénévoles, principalement des invitants pour les célébrations. Les difficultés rencontrées sont liées au volume important de visites à réaliser avec un nombre de postes limités malgré les créations de postes en Pastorale de la santé par notre Eglise, ceci depuis 15 ans.
La responsabilité générale des aumôneries catholiques a effectivement été un challenge au quotidien : favoriser la cohésion des équipes, encourager, former, coordonner, motiver les bénévoles, mais aussi penser à la coordination avec les homologues d’autres confessions ou religions, avec les responsables et les équipes des différentes institutions, observer, répondre et adapter nos offres aux nouvelles réalités. Je suis reconnaissante à l’ECR d’avoir pu être écoutée et que mes intuitions de développement de ce grand service aient pu être acceptées et reconnues.
Notre parole inspirante est vraiment l’évangile de Matthieu 25,40 « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ». Il s’agit d’être présent, d’écouter, de soutenir et réconforter les résidents, patients et leurs familles, de partager les réalités rencontrées dans les milieux de la Santé et de faire le lien avec les paroisses et UP.
Dans les structures publiques, depuis l’adoption de la nouvelle loi sur la laïcité dans le canton, toute personne effectuant un accompagnement à caractère philosophique, spirituel ou religieux, cultuel ou non cultuel, doit être accréditée par les autorités compétentes.
Dans ce contexte, nous avons une double fonction d’aumônier et d’accompagnateur spirituel. La première c’est notre socle de la foi et notre moteur, ce qui nous permet d’être témoins du Christ vivant sans forcément le proclamer et donc sans prosélytisme. La fonction d’accompagnateur spirituel est aussi importante. La définition du concept de santé a évolué et l’OMS inclut désormais la dimension spirituelle (Charte de Bangkok, 2005) et considère l’humain dans ses quatre dimensions : bio, psycho, sociale et spirituelle.
En tant qu’aumôniers nous sommes formés à l’accompagnement spirituel et donc à identifier et prendre en considération le souffle de vie de la personne rencontrée au-delà de toute religion.
Dans les rencontres avec les personnes, ces deux titres d’aumônier et d’accompagnateur spirituel ouvrent une discussion. Nous tentons de nous ajuster à la personne, notre présence doit lui permettre de se dire, dans les joies et les difficultés qu’elle rencontre et d’explorer ses lieux de ressourcement. Parfois il peut y avoir du religieux, même si c’est de plus en plus rare. Environ 18% des personnes que nous rencontrons sont croyantes, avec un pourcentage plus élevé dans les EMS.
Je crois que la suppression du terme d’aumônier serait une erreur et je pense que notre société laïque de Genève peut entendre les deux.
Mon travail s’est toujours inscrit dans celui de mes prédécesseurs et tout en étant responsable de la Pastorale de la santé, je fais partie d’une équipe et c’est un bureau de huit membres qui réfléchit et prend les décisions importantes.
Les soucis n’ont jamais manqué mais j’ai vécu de grandes joies et ce sont elles que je garde aujourd’hui.
Mon activité d’aumônière salariée a ouvert la voie pour des postes rémunérés, non seulement dans les HUG, mais aussi dans les EMS pour les aumôniers, puis pour la création de divers postes d’aumôniers comme Référents Régionaux Santé (RRS), des postes en lien avec le terrain des paroisses. Depuis septembre 2020, ces nouveaux engagements sont venus renforcer l’équipe de bénévoles et d’aumôniers de la Pastorale de la santé. Ils visent à développer l’accompagnement prodigué dans les différentes institutions.
J’ai par ailleurs développé les liens avec de nombreuses associations genevoises : Plateforme du bénévolat relationnel genevoise, Comité palliative Genève et le Groupe spirituel d’intervention en cas de catastrophe (Gi-Spi). Je bénéficie d’un mandat de l’évêque pour la célébration de funérailles : souvent les personnes que j’accompagne ou leurs familles souhaitent que je continue l’accompagnement jusqu’au bout et me demandent d’animer les obsèques. Ce sont de précieux moments de partage, de prière et de communion qui m’apportent énormément.
Aujourd’hui, je passe le témoin à ma collègue Marie Romeuf en toute confiance et sérénité. Ma proposition de lui confier ce grand service ayant été validée m’a encouragée à prendre une retraite anticipée.
Je lui confie les clés d’un service « en bonne santé », en sachant qu’avec ses collègues elle est en mesure de relever les défis, et notamment ceux de la collaboration avec des aumôneries interreligieuses ou le développement de l’accompagnement à domicile, sans oublier de maintenir la qualité de nos présences dans les institutions.
Je quitte mon poste avec beaucoup de reconnaissance, mais je reste en communion avec mon Eglise ! Désormais, j’envisage plus de voyages, plus de promenades dans la nature et surtout plus de temps avec mon époux, déjà à la retraite, mes enfants et ma petite fille. Je vais aussi et enfin prendre plus de temps pour moi !
Merci Cathy et bon vent !
SD&C, juillet 2024
Crédit Image: Cathy Espy-Ruf, Pastorale de la Santé Genève