La créativité et la relation ont toujours guidé Christine Lany Thalmeyr, assistante pastorale de l’ECR, au fil de ses engagements en paroisse, au Service de catéchèse et en qualité d’aumônier de prison. Elle part aujourd’hui à la retraite avec un sentiment de gratitude pour ce parcours d’une vingtaine d’années d’engagement professionnel au service de l’Église.
Née à Genève, mariée, mère de trois filles, catholique engagée en paroisse, Christine n’a pas tout de suite choisi de faire de l’Église son employeur. Elle a d’abord suivi une formation en éducation spécialisée, profession qu’elle a exercée durant quelques années au CARÉ auprès de personnes en situation de précarité ou d’isolement social.
Habitée d’une intériorité ouverte à la transcendance, son lien avec le Christ s’est tissé tout simplement, comme une évidence, au fil des rencontres qui ont jalonné ses jeunes années. Assoiffée de rencontres, dès son adolescence elle s’est mise en quête d’un lieu de relation, d’un « espace de parole avec des gens de mon âge pour partager l’expérience de la foi ». Elle le trouve à la paroisse de Saint-Pie-X, grâce à la rencontre avec Philippe, son futur époux.
C’est durant cette période qu’elle lie les « grandes amitiés de la vie » avec des chrétiens et des chrétiennes qui la mettent en contact avec un « christianisme ouvert et centré sur l’engagement social. Ces rencontres ont profondément nourri ma relation avec le Christ ».
De fil en aiguille, Christine s’engage en paroisse, dans la catéchèse d’abord, puis au sein de l’Équipe pastorale comme déléguée bénévole. « Je me suis assez vite interrogée sur la manière de prendre ma place, en tant que baptisée, dans les structures, et d’amener ainsi ma petite pierre à l’édifice. Puis il y a eu des appels, toujours en lien avec des personnes et de cela a découlé un envoi en formation. Cette période de formation à l’animation pastorale, à Lyon et puis à Fribourg, a été un temps béni. J’ai beaucoup reçu et je suis ressortie de ce temps avec le sentiment d’avoir énormément à donner ! »
En 2008, l’Église catholique romaine (ECR) la nomme aumônier de prison, puis en 2011, elle quitte son engagement en paroisse pour rejoindre l’équipe du Service Catholique de Catéchèse (SCC).
Elle assume en parallèle les deux ministères de collaboratrice au SCC et d’aumônier dans les établissements de détention. « J’apprécie la diversité et j’ai toujours souhaité avoir deux lieux d’insertion pour les mettre en dialogue et pour que les diversités qui se vivent dans ces lieux interagissent et se fécondent mutuellement ».
Après les expériences de type communautaire, avec notamment les groupes d’enfants en catéchèse, les temps forts proposés en paroisse ou encore les rencontres de Taizé, le ministère auprès des personnes détenues lui ouvre la porte de la pratique de l’accompagnement personnel.
« En prison, aux côtés de la célébration des messes, les rencontres individuelles sont au cœur de notre engagement. Bien que j’aie introduit en milieu carcéral des activités communautaires, comme des Tables de la (P(p)arole, en tant qu’aumônier nous sommes essentiellement dans les rencontres individuelles, dans une démarche d’accompagnement, un terme dont j’aime l’étymologie. Sa racine latine est : ad-cum-panis, c’est-à-dire, aller vers, en partageant le pain de nos existences. Il y a d’ailleurs de cela dans une démarche synodale : aller ensemble là où le Christ nous appelle, en partageant nos essentiels, et cela sans hâte, en adaptant nos pas au rythme des plus fragiles. Et cette forme de lenteur est une bonne nouvelle, gage de fécondité et de douceur, dans un monde souvent pressé, agité et violent », souligne Christine.
Pour l’assistante pastorale, nommée aumônier responsable catholique de l’Aumônerie œcuménique des prisons en 2019, la relation « est un sillon qui se creuse ». « Dieu nous appelle à la dimension communautaire mais s’adresse de façon personnelle à chacun et chacune », souligne-t-elle. Cela demande de cultiver cette écoute intérieure, tout particulièrement dans les moments de crises voire de découragement. Et de citer Etty Hillesum qui écrit : « Je vais t’aider, mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi. »
« L’enjeu est bien de cultiver cette intériorité et cette relation et l’Église est appelée à offrir toujours davantage d’espaces pour cultiver l’intériorité et la rencontre personnelle avec notre Maître intérieur ». A ce titre, mon engagement auprès des enfants en catéchèse, notamment avec les tout petits dans le cadre de l’Éveil à la foi, a participé à cette expérience : les enfants ont en effet des compétences inouïes quant à cette proximité, cette intimité avec Dieu. Le risque est de la perdre en grandissant, alors qu’elle est si précieuse. Le défi est de rester en contact avec cet enfant source en nous. Pas encore impacté par la blessure ou par une conscience trop vive du Mal, l’enfant source reste convaincu que tout est possible dans une totale confiance en ce Dieu si proche. Il est un moteur de vie extraordinaire. Dans ce sens, la catéchèse avec les tout-petits a toujours été une inspiration pour l’assistante pastorale et une ressource pour son engagement, tout particulièrement dans les lieux de détention. « Je rentre en prison avec cet enfant source ! »
« Ma mission d’aumônier n’est pas d’apporter le Christ en prison, car il y est déjà présent. Nous allons en prison pour Le trouver au travers des personnes que nous rencontrons. Je suis convaincue que c’est parce que le Christ est déjà là que nous pouvons tenir dans ces lieux. Avec le Christ, avec la Croix, je peux plonger dans les enfers de l’autre, sans toutefois être détruite. Pour moi, c’est cela la caractéristique essentielle d’un accompagnement spirituel enraciné dans la foi chrétienne. »
Derrière les barreaux, l’Évangile prend corps. « Nous croyons que le Christ est descendu dans les enfers, qu’il s’est rendu dans les lieux de mort pour y apporter sa puissance de résurrection : parfois, quand j’accompagne les personnes, je peux être conduite dans ces lieux ténébreux. Je consens à m’y risquer car je sais que le Christ me précède et que tout devient possible. De plus, il n’y a pas de résurrection sans mort », témoigne Christine. « J’ai vu des personnes se relever parce qu’elles avaient justement eu ce courage de plonger, de contacter leurs profondeurs et de comprendre ainsi ce qui les empêchait de vivre. Je pense qu’un aumônier d’hôpital ou d’autres lieux de souffrances peut partager la même expérience » En écho à ces moments de grâce, elle évoque encore l’Évangile, le récit de la Visitation et la rencontre de Marie et sa cousine Élisabeth, unies par la joie de la vie tressaillant en leur sein.
L’impuissance est une autre dimension de la réalité du milieu carcéral. « Nous rentrons en prison avec souvent ce sentiment d’être comme neutralisés par la logique implacable du milieu carcéral. Accepter cette impuissance nous aide à prendre conscience des ressources de la personne que nous rencontrons. C’est aussi une invitation à faire place au Christ, à son action dans des situations souvent inextricables. S’abandonner au Christ permet aussi un dépouillement. Laisser aller ce qui nous encombre pour contacter la Source qui nous appelle à entrer dans la vérité de notre identité profonde de filles et de fils de Dieu. Un appel à conjuguer d’abord le verbe Être . Un message fort, dans une société qui valorise la performance, l’avoir et la possession .»
Aujourd’hui, avec le départ à la retraite, une page se tourne dans la vie de Christine. « Quelque chose se termine. Je vais continuer à nourrir mon lien avec le Christ, en demeurant disponible aux appels de la Vie et du Vivant. Je suis très reconnaissante envers l’Église qui est à Genève, où je me suis toujours sentie accueillie ».
Tout en prenant acte du séisme qui secoue l’Église institutionnelle aujourd’hui, Christine demeure confiante : « L’Église du Christ est bien plus large que l’Église institutionnelle. Aujourd’hui, les occasions de rencontre avec le Christ se vivent très souvent à la marge, voire en dehors de l’institution. Le désir de rencontrer le Christ est bien présent chez un grand nombre. J’en suis témoin autour de moi, notamment à travers l’accompagnement des catéchumènes adultes avec qui je chemine. Puissent nos Églises institutionnelles se tenir aux carrefours de toutes ces soifs et de toutes ces faims afin de les honorer et les nourrir ! Cheminer avec le Christ, c’est le laisser affûter tous nos sens, afin de ne pas manquer les rendez-vous d’amour auxquels il n’a cesse de nous inviter. »
SD&C, août 2024
Crédits image en Une Roman Lusser