Notre monde tourmenté traverse des étapes angoissantes à bien des égards. Les messages médiatiques se font l’écho à la fois des peurs et des espoirs d’une humanité fracturée par les injustices, les menaces terroristes, les tensions géopolitiques, les carences écologiques, les périls épidémiques, les famines, les persécutions, et tant d’autres phénomènes qui donnent à la planète une atmosphère de fin des temps.
Dans ce climat, des esprits partagés se tournent vers les prophéties pour y déceler un programme de condamnation et de châtiment, et les complotistes y reconnaissent la description précise de réseaux diaboliques contemporains.
Si le calendrier maya prédisait la fin du monde pour 2012, certains publics se persuadent que les symptômes apocalyptiques sont bien présents, et ils font une lecture catastrophiste de l’actualité en se référant à des passages bibliques qui selon eux prennent valeur de prédiction en voie de réalisation.
Les mentalités new age recyclent toutes sortes de pratiques divinatoires d’un autre âge avec la prétention d’annoncer l’avenir grâce aux puissances de la nature, s’imaginant ainsi exorciser les affres du présent. Nostradamus reprend du service, et à partir de textes obscurs et ambigus, on nous décrit la proche fin de règne d’un pape ou le basculement de régions entières dans un déclin inexorable soumis aux illuminati du nouvel ordre mondial.
Que ce soit par l’utilisation abusive de passages bibliques ou par des techniques de divination multiples, on voit se dessiner la prétention d’annoncer un avenir sombre qui serait déjà écrit dans les cieux. Ce qui suppose une prédestination à la manière des tragédies mythologiques de la Grèce, ou encore selon un fatalisme issu de la fausse interprétation biblique d’un tyran céleste omniprésent. On n’est pas loin de l’astrologie pour laquelle des entités intersidérales lointaines conditionnent nos existences.
Dans l’antiquité, les oracles jouaient un rôle central dans la vie des peuples. Mais nous verrons que les « oracles de Yahvé » proclamés par les prophètes n’ont rien à voir avec ceux des prêtres de Zeus ou d’Isis. Si nous prenons l’exemple de la mission prophétique de Jonas, nous constatons que le message est frontalement opposé au fatalisme grec. Quand Jonas avertit les païens de Ninive que le malheur va s’abattre sur eux s’ils ne changent pas de comportements, il annonce un avenir que ne pouvait assurer la logique propre à cette civilisation. Ayant été entendu par la population, il voit que sa prédiction catastrophique s’annule par la conversion collective à la vérité d’un Dieu qui offre le libre arbitre aux êtres humains.
La prophétie biblique est donc un message d’avertissement et non de condamnation, et c’est par le principe de rédemption que triomphe l’espérance.
Tout passage biblique ne prend sens que par rapport à l’ensemble de la Révélation, puisque la Bible est une Unité de la Parole, Premier et Nouveau testaments. Le cri de la colère de Dieu doit être complété par la promesse de la miséricorde !
Un théologien d’excellence comme St Thomas d’Aquin définit la prophétie comme un acte de connaissance : « les prophètes perçoivent les réalités qui échappent à la connaissance ordinaire des hommes. Le nom de « prophète » est composé de « pro », c’est-à-dire « loin », et de « phanos » qui signifie apparition, parce que les prophètes voient apparaître ce qui est éloigné pour la multitude » (Somme théologique IIa IIae, Qu 171, art.1)
Pour délivrer son message, le prophète biblique ne recoure pas à l’art divinatoire, à la magie, à l’analyse du vol des oiseaux ou à l’examen des entrailles animales. L’homme de foi ne provoque pas la divinité pour obtenir une révélation. De ce fait, la prophétie biblique est une manifestation de l’Esprit et de la Parole de Dieu. Les prophéties sont des signes et des appels à la prise de conscience. Leur but n’est pas de prédire l’avenir ou d’annoncer la catastrophe, mais d’avertir les hommes pour qu’ils changent d’attitude et reviennent à la vérité de Dieu. « Voici que je mets devant toi la vie et la mort, le bonheur ou le malheur…Choisis donc la vie pour que tu vives ! » Les prophètes voient Jérusalem comme porte des nations et Zakarie en résume la pensée : « Ainsi des peuples nombreux et des nations puissantes viendront rechercher la présence du Seigneur des armées célestes à Jérusalem pour l’implorer » (Zak 8,22)
Ainsi toutes les prophéties de la Bible convergent vers un objectif que l’apôtre Paul résume en une phrase : « Par le Christ, Dieu a agi pour réconcilier tous les êtres humains avec lui sans tenir compte de leurs fautes. Nous vous en supplions : au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » (2 Cor. 5,19)
Pour Paul Beauchamp, spécialiste du Premier Testament, il y a « deux écritures de l’action de Dieu en ce monde : la prophétie et la sagesse ». La prophétie est langage de l’histoire, dans la mesure où elle essaie de comprendre ce qui rythme la trame du temps et en maintient le fil conducteur. L’exégète insiste pour dire que la prophétie n’est pas d’abord prédiction, comme beaucoup le pensent spontanément, elle est surtout interprétation. Elle aide le croyant à découvrir le sens des événements, l’enjeu spirituel de l’actualité.
C’est la sagesse qui pousse à percevoir l’action de Dieu comme appel permanent à l’espérance, dans la trame des situations quotidiennes. Pour allier prophétie et sagesse, et ne pas se fourvoyer dans le caractère donné aux prophéties, on peut se référer au conseil de l’apôtre Paul : « Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré par l’Esprit, qu’il reconnaisse en ce que je vous ai enseigné un commandement du Seigneur. S’il l’ignore, c’est qu’il est ignoré de Dieu ! » (1Cor 14,34) Cela dit, même si la Révélation est close à la mort du dernier apôtre, rien n’empêche Dieu de parler au cœur d’hommes et de femmes de notre temps, pour rappeler des vérités utiles à tous. La critique de Paul ne viserait donc que ceux et celles dont le message reçu s’exonère des fondamentaux de la foi.
Abbé Alain René Arbez
Janvier 2021
Image: Fred de Noyelle / GODONG