Virginie Hours est aumônière catholique à l’AGORA (Aumônerie genevoise auprès des réfugiés et des requérants d’asile) dont fait partie l’aumônerie de l’aéroport de Genève. Elle y accompagne des requérants d’asile en attente de la décision d’entrée ou non sur le territoire suisse. Elle témoigne pour cath.ch de son expérience de foi à travers les rencontres qu’elle a faites au bâtiment « Inad » (inadmis).
Les appels des retardataires pour l’embarquement immédiat sont à peine audibles tant le hall de l’aéroport est en effervescence. Ce début du mois de juillet marque le début de la migration estivale. Les passagers, melting-pot de générations et de nationalités, déambulent entre la galerie commerciale et les salles d’embarquement. Pas de quoi perturber Virginie Hours, aumônière à l’AGORA (voir encadré) pour l’aéroport de Cointrin, qui file en direction de l’espace de recueillement.
A l’étage, nous rejoignons le lieu, perdu entre les guichets de la détaxe et les salons des compagnies aériennes. Le dédale à parcourir n’a pas découragé les fidèles, tous musulmans au moment où nous passons, de venir y prier. « Ce sont ceux qui fréquentent le plus ce lieu », indique l’aumônière. Une pièce sobre d’environ 25 m2, à la lumière tamisée et aux vitraux neutres, accueillent autant les employés de l’aéroport que les passagers. Les fidèles y trouvent des tapis de prière, des vêtements de prière pour les femmes ainsi que des bibles, torahs et corans. Un cahier d’écolier faisant office de livre d’or permet à ceux qui le souhaitent d’y laisser un message. La guerre entre Israël et le Hamas est très présente dans les commentaires souvent vifs, parfois vindicatifs.
« En fait, nous ne venons plus très souvent par ici depuis que le bâtiment ‘Inad’ (pour ‘Inadmis’) a été construit de l’autre côté des pistes en 2016 », explique Virginie Hours. Auparavant, les requérants d’asile que les aumôniers visitaient et accompagnaient étaient enfermés dans une structure située dans l’aéroport. L’équipe œcuménique occupait alors un bureau, assurant aussi une présence pour le personnel de l’aéroport et les passagers. « Cette présence autant auprès des voyageurs que du personnel manque. C’est dommage », reconnaît-elle. Trois cartes de visite sont scotchées sur la vitre du bureau en guise de contact.
« Depuis, lorsqu’une personne est amenée au centre ‘Inad’, nous recevons un mail des responsables de l’ORS – Organisation for Refugee Services, une société mandatée par la Confédération pour encadrer les demandeurs d’asile. »
Débute le rituel : l’aumônière disponible se rend à l’aéroport, passe la sécurité et embarque dans une navette qui la mène au bâtiment ‘Inad’. C’est une sorte de voyage vers l’inconnu qui commence. « Dans le minibus je prie, je demande à avoir la bonne attitude. On ne sait rien de la personne qu’on va rencontrer. Certains sont très stressés, parfois en état de choc. » Ils ont été stoppés net dans leur voyage vers une autre destination: les faux papiers n’ont pas fait illusion. « D’autres ont demandé l’asile volontairement, mais ils sont anxieux en découvrant la réalité parfois dure d’une démarche qui s’avère très incertaine. »
La situation est paradoxale dans cet espace hors du temps, détaille l’aumônière. « Ils sont enfermés et pourtant certains se sentent en sécurité pour la première fois depuis longtemps. Ils peuvent enfin dormir paisiblement et se confier sans crainte d’être dénoncés. » Ce fut le cas de plusieurs réfugiés turcs, explique Virginie Hours. Enseignants, juges ou avocats, ils avaient fui le régime d’Erdogan.
Entre 70 et 100 réfugiés passent chaque année par le centre de Cointrin. Ils arrivent de partout, relève Virginie Hours. Une jeune femme africaine s’est enfuie pour éviter un mariage forcé, des Vénézuéliens ou des Colombiens fuient les gangs, nombre d’Africains fuient la guerre ou la persécution parmi lesquels un rappeur dont les compositions n’avaient pas plu aux autorités de son pays.
« Nous devons être à l’écoute, simplement disponibles, avec une juste distance. Je commence toujours par dire que nous sommes une équipe de chrétiens, catholiques et protestants. C’est important, même pour les musulmans qui sont parfois surpris. Ce message permet d’apaiser la méfiance et d’ouvrir le dialogue, notamment spirituel. Nous nous reconnaissons hommes et femmes de foi. » D’autant que leur foi les aide à tenir quand ils ont dû laisser derrière eux leur famille et leur vie d’avant, et que les jours et les semaines passent sans la réponse positive que les réfugiés s’imaginaient obtenir rapidement.
« Comment priez-vous? » lui demanda un jour un Comorien musulman. « Montrez-moi! »
L’aumônière s’est mise à prier. « C’est comme moi! » Et l’homme de lui expliquer la prière musulmane comparée à la prière catholique. « Nous nous sommes finalement retrouvés très reconnaissants l’un envers l’autre pour cet échange que je n’aurais jamais vécu ailleurs. » L’aumônière se dit souvent « bluffée » par la foi si profonde des Africains subsahariens.
Si certains réfugiés évoquent spontanément leur foi, d’autres sont plus réticents. « Le Carême ou le Ramadan est une occasion de parler religion et d’entamer le dialogue. » Parfois le dimanche, elle apporte la communion. Avec la durée du séjour et les visites régulières, une fête de Noël vécue ensemble au centre, des liens se tissent. Question d’affinités aussi. « Et lorsqu’ils partent, soit qu’ils sont envoyés dans un centre fédéral d’accueil, soit qu’ils sont déboutés, soit qu’ils s’enfuient, je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qu’ils sont devenus. » Malgré le tournus des visites et les besoins du service, les aumônières essayent, quand c’est possible, d’accompagner plus particulièrement un homme, une femme ou une famille. Avec le temps la confiance s’installe. « C’est important pour l’accompagnement. »
« Nous faisons le point sur les personnes rencontrées durant le chapitre (réunion hebdomadaire d’équipe,ndr) qui a lieu tous les jeudis matin. Sinon, nous nous envoyons des messages. »
Marquant une pause dans son récit, Virginie Hours estime que sa foi lui paraît souvent petite au regard de celle des hommes et des femmes qu’elle rencontre dans ce contexte si fort. Installée à Genève depuis neuf ans, elle a derrière elle une vie d’expatriée. D’origine française, elle a souvent déménagé en raison du métier de son mari. « Je suis une migrante… Une migrante 5 étoiles », ajoute-t-elle immédiatement en souriant.
Mais tout de même, il faut quitter une vie, en reconstruire une autre ailleurs sans véritable horizon. Toujours en s’engageant en Église, où qu’elle soit passée. C’est le principe du Mouvement eucharistique des Jeunes (MEJ), d’inspiration ignacienne: l’engagement en Église, où qu’on se trouve. En aumônerie dans un lycée, en paroisse, dans la préparation au mariage.
Fidèle à son engagement, l’aumônière a suivi une formation de trois ans au CCRFE, dont elle est sortie diplômée en 2021. Après un stage en pastorale spécialisée et en catéchèse en première année, elle a passé deux ans à l’AGORA. Elle s’est mise dans le sillon d’une aumônière qui préparait son départ à la retraite. Entre un diplôme juridique en droit social et sa vie d’expatriée, son engagement à l’AGORA lui a paru naturel.
« En entrant dans ce centre, on a accès à des mondes si différents des nôtres! On entre dans des vies avec des récits émouvants et terribles. Notre chance ici, c’est la disponibilité complète des uns et des autres. La nôtre, en tant qu’aumônière, et la leur dans ce centre où se fige leur vie. Il y a une gratuité où Dieu permet une rencontre. » cath.ch/ Bernard Hallet
L’AUMÔNERIE GENEVOISE AUPRÈS DES RÉFUGIÉS ET DES REQUÉRANTS D’ASILE
Créée en 1988 par les trois Églises officielles du canton de Genève (catholique romaine, catholique-chrétienne et protestante), l’AGORA marque, dans la ligne du mémorandum de 1985, la présence des Églises auprès des réfugiés. Actuellement, elles sont quatre femmes engagées à l’AGORA: côté protestant une aumônière à 60%, une autre à 100% et une aumônière retraitée, et du côté catholique une aumônière à 100%.
L’équipe, qui compte aussi des bénévoles, œuvre notamment dans la zone de transit de l’aéroport de Cointrin où sont retenus les requérants d’asile pendant leur procédure. L’AGORA travaille aussi dans les établissements de détention administrative de Frambois et Favra, où sont enfermées des personnes étrangères sous mesures de contrainte, en vue de leur expulsion. Les locaux d’accueil de l’aumônerie se trouvent au Centre d’Hébergement Collectif des Tattes qui héberge des personnes en attente de décision, avec un permis ou déboutées de l’asile, et soumises au régime d’aide d’urgence. BH
© Centre catholique des médias Cath-Info, 21.07.2024
Crédit image : © Bernard Hallet
Virginie Hours
Responsable catholique de l'aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d'asile et des réfugiés (AGORA)