Le doute a-t-il une place dans la foi ? Les termes de crise et de doute ne revêtent généralement pas une connotation positive. Dans une conférence organisée par l’Atelier Œcuménique de Théologie (AOT), le philosophe Stève Bobillier s’est attelé à démontrer que tous deux possèdent des vertus utiles à la progression de l’être humain. Compte-rendu de Myriam Bettens.
« Le doute n’est pas la négation de Dieu », affirme Stève Bobillier à la petite assemblée réunie le 10 novembre au Centre Protestant de la Jonction. Au contraire, n’avoir aucun doute serait plutôt inquiétant et dénoterait une importante propension à l’intégrisme. D’ailleurs, les plus grands mystiques sont familiers de cet état d’incertitude. Pour préciser en quoi cette condition nous habite tous, croyants ou pas, le bioéthicien pour la Conférence des évêques suisses s’est demandé s’il existait aujourd’hui quelque chose dont nous pouvions être certains.
L’exploration de cette question et la réponse à lui apporter passent par l’analyse de ce qu’est une croyance et, plus largement, de son lien à la vérité. Pour ce faire, Stève Bobillier revient à son domaine de compétence, la philosophie, et s’appuie sur les trois degrés de la croyance définis par Kant: l’opinion, la foi et la science. Alors que la vérité demeure universelle, donc valable pour tous indépendamment de celui qui la conçoit, l’opinion reste un avis propre et ne devrait pas s’élever au statut de vérité. Déjà en 1830, Arthur Schopenhauer décrivait dans son ouvrage, L’art d’avoir toujours raison, l’essence de l’opinion par ces mots : « Ce qu’on qualifie d’opinion commune est, à bien l’examiner, l’opinion de deux ou trois personnes […] auxquelles on a fait la politesse de croire qu’ils l’avaient examinée à fond […] ». Comme le souligne Stève Bobillier, c’est « en affirmant détenir la vérité qu’on s’en éloigne le plus ». Même s’il est vrai que celle-ci n’est jamais évidente à définir, cette difficulté à la saisir ne signifie pas pour autant qu’elle n’existe pas.
Entre ces deux pôles, la science et la foi sont aussi comprises comme deux formes de croyances. Plusieurs différences les distinguent néanmoins. La première des deux existe, de fait, pour tous (p. ex. lois de la physique) et peut légitimement s’imposer comme vraie. En d’autres termes, on la considère comme une vérité factuelle, observable dans la réalité. La foi, quant à elle, ne peut être imposée à autrui. « Celle-ci n’a ni la faiblesse d’une opinion ni la force d’une certitude, mais revêt la forme d’une évidence. Un savoir intérieur et intuitif », développe le philosophe. Une des particularités du 20e siècle est d’avoir érigé la science en vérité absolue en laquelle nos sociétés avaient une foi aveugle. Or, force est de constater que « nous vivons dans un monde de crises et celles-ci s’accélèrent ».
Le doute va grandissant et dépasse largement les domaines couverts par la science. Pourtant, les crises, moteur d’incertitudes, ne sont pas « en soi quelque chose de négatif. Issu du grec krisis, étymologiquement parlant, le mot recouvre les sens de décision et de jugement », autrement dit cette rupture offre l’opportunité « de sortir d’une voie toute tracée pour se remettre en question ». Arthur Schopenhauer rappelle également cette nécessité, sans quoi : « […] Le petit nombre de ceux qui sont doués de sens critique sont forcés de se taire ; et ceux qui ont droit à la parole sont ceux qui, totalement incapables de se former des opinions propres et un jugement propre, ne sont que l’écho des opinions d’autrui : ils n’en sont que plus ardents et plus intolérants à les défendre ».
L’incertitude et le doute font partie intégrante du processus de progression de la connaissance et, plus largement, de la vie humaine. Se laisser effleurer par le doute, c’est d’une part, savoir discerner les potentialités dans un monde en crise et, d’autre part permettre à la foi de germer.
Myriam Bettens, paru dans le Courrier pastoral de décembre 2021
Image: Auguste Rodin: Le Penseur, Hôtel Biron, Jardin du Musée Rodin, Paris VIIe, France.Wikimedia