A quelques jour du 25 décembre, l’abbé Alain-René Arbez nous propose un beau conte de Noël à Madagascar !
e soleil couchant embrasait de ses rougeoiements l’horizon de la Grande Ile, lorsque Andrianjaka apprit que le roi, Ralambo, son père, venait de rejoindre le royaume des ancêtres auprès de Zanahary, le Dieu à la présence parfumée appelé aussi Andriamantra…
Andrianjaka compris que le pouvoir royal dont il serait maintenant investi devant le peuple allait le conduire à rechercher de quelle façon honorer la tanindrazana, la terre des ancêtres, en faisant régner la justice et la bonne entente entre tous.
En effet, si Ralambo son père, avait toujours su échapper aux sortilèges maléfiques de ses adversaires, les pamosavy, cette fois, le vieux roi était mort de fatigue, usé par les guerres continuelles entre ethnies rivales. Le fils avait bien essayé de redonner des forces au père par des décoctions de plantes de Madagascar, si riches de facultés régénérantes, mais cela n’avait pas été suffisant, il était déjà trop tard.
Après les longues cérémonies de deuil qui réunirent tous les notables de la cour, Andrianjaka partit seul, méditer dans la forêt. Les oiseaux accompagnaient son passage de chants mélodieux, comme pour annoncer une bonne nouvelle imminente, malgré les apparences contraires. Car Andrianjaka longea la grande rizière royale, celle qui nourrissait tous les villages des collines sacrées environnantes, et il constata avec tristesse combien cette année, en raison des ouragans, la récolte de riz s’annonçait mauvaise. Le nouveau roi était inquiet pour son peuple. Il leva les yeux vers le ciel pour prier et demander à Zanahary de bénir le dur labeur des paysans qui avaient longuement repiqué le riz.
C’est alors qu’un étrange phénomène se produisit dans l’atmosphère. Voici qu’apparut une comète brillante qui se déplaçait dans le ciel à l’Orient et son mystérieux reflet dans les eaux de la rizière eut immédiatement un effet magique. Les pousses de riz se mirent à grandir, grandir, et c’est une moisson encore jamais vue qui s’annonçait. Andrianjaka avait-il été exaucé ?
Bouleversé, le cœur du jeune roi battait de joie en pensant à ce que les paysans, les tambanivohitra allaient découvrir le lendemain. Ce serait la fête dans toutes les maisons. Il prit quelques brassées de tiges lourdes de grains de paddy dans ses mains et il vit avec étonnement que le riz était déjà bon à recueillir. C’était un vary gasy excellent comme jamais, un riz rose qui serait certainement le meilleur au monde !
Il en prit de quoi remplir son sac à dos et ne quitta plus du regard la comète qui semblait danser dans le ciel pour lui faire signe et partager son bonheur. Il décida de suivre le signe céleste à l’origine de ce miracle et il poursuivit sa marche comme s’il était hors du temps. Il ne ressentait aucune fatigue et ses pas se succédaient sans problème sur de longues distances, il était capté par cette lueur céleste qui l’entraînait vers de nouveaux horizons. De temps à autre, il s’arrêtait pour se désaltérer à une plante généreuse appelée ravinala, arbre du voyageur. Mais en vérité la soif était surtout dans son âme.
Il repensa à ce rouleau sacré extrait du Baiboly, la Bible, qu’un sage lui avait remis l’an passé et où il était écrit qu’un astre issu de Jacob illuminerait bientôt le ciel de toute l’humanité. Cela l’encouragea à continuer sa route et lui fit chaud au coeur. Sur le chemin, des maki sautillaient comme pour le saluer et les mères lémuriens transportant habilement leur petit accroché sur le dos fixaient Andrianjaka de leurs grands yeux rieurs. Arrivé au bord de la mer, le roi embaucha aussitôt quelques navigateurs avec leur pirogue à balancier, et il mit le cap vers le nord en suivant l’étoile mystérieuse qui l’encourageait à ne pas renoncer à cette aventure sur la route de l’espérance.
Sans aucune crainte des courants contraires, ils longèrent les côtes du continent africain, firent escale en Abyssinie au pays de la reine de Saba, la souveraine à qui le roi Salomon avait manifesté sa grande sagesse lorsqu’elle était venue en visite à Jérusalem et qu’elle avait contemplé le Temple de la cité sainte.
Mais l’un des aubergistes qui l’accueillit se moqua du projet maritime aventureux de Andrianjaka et lui demanda : « que penses-tu de l’histoire de Jonas, cet homme audacieux qui partit au loin mais qui se fit avaler par un monstre marin ? Crois-tu vraiment qu’il est maintenant auprès de Dieu ? » Andrianjaka répondit : « je le saurai lorsque je serai au paradis ! » L’autre répliqua : « et s’il est en enfer ? » Alors le jeune roi répondit sans hésiter : « dans ce cas, c’est toi qui le rencontreras ! » La sagesse malgache, le ohabolana, ne se laissait pas intimider si facilement face aux défis de l’existence.
Le voyage continuait sans encombre, toujours guidé par l’étoile. Ils abordèrent plusieurs fois à de nouveaux rivages mais la comète brillante était toujours en avant dans le ciel pour indiquer la direction à prendre. Après une longue traversée désertique, ils parvinrent enfin en terre de Judée, car l’étoile les guidait vers un humble village nommé Bethléem.
Presque arrivée à une caverne rayonnante de clarté dans la nuit, l’escorte de Andrianjaka rejoignit deux autres cortèges royaux, deux jeunes rois venus d’Asie et de l’Europe, qui suivaient eux aussi la comète à la rencontre de leur destinée.
Ainsi, Andrianjaka compris très vite qu’eux aussi recherchaient passionnément une lumière de paix et de justice pour leur peuple. Et par reconnaissance, ils apportaient avec eux de magnifiques trésors à offrir à un petit enfant. Ce nouveau-né était lui aussi royal, comme une promesse d’avenir radieux, entouré de sa mère, Myriam et de son père Joseph, mais il était couché dans une crèche au milieu d’animaux, comme dans une nouvelle création qui repart de zéro.
Andrianjaka se dit : et moi, qui n’ai que des poignées de riz de ma rizière royale de Madagascar à offrir, de quoi aurai-je l’air ?
Prosterné avec les deux autres rois devant le zazakely divin, il retira son sac à dos et prit le riz à pleine mains pour le présenter à l’enfant nommé Yeshua, qui souriait avec malice ; et ô surprise, sous son regard les grains de riz étaient devenus des pépites d’or, aussi brillants que la comète qui s’était reflétée dans la rizière malgache. Preuve que la foi et l’amour magnifient toujours ce qu’ils touchent !
Andrianjaka déposa délicatement ses humbles richesses devant le berceau de paille et c’est alors que des troupes d’anges dans les hauteurs se mirent à chanter des louanges et des remerciements, en hébreu (Barukh HaShem !) mais aussi dans toutes les langues des régions du monde présentes à la crèche aux côtés des bergers.
C’était Noël, la paix était annoncée à tous, sur la terre comme dans les cieux. Les étoiles et les comètes traçaient des guirlandes de lumière au firmament.
Et après avoir rendu hommage à cet enfant Jésus, (Jesus mamonjy !) Andrianjaka pouvait repartir serein vers Madagascar, enrichi d’une lumière et d’une joie venues du cœur de Dieu : fitiavana mahasina, alliance sacrée, cadeau inestimable qu’il offrirait à tous les vivants sur la terre des ancêtres.
Alain René Arbez, Noël 2014.