Évêque de Genève, le 23 mai 1387, Adhémar Fabri officialise un acte selon lequel lui et ses successeurs, ainsi que les seigneurs de la ville, reconnaissent « toutes les libertés, franchises, immunités, us et coutumes » en faveur du peuple de la cité.
Connu sous le nom d’Adhémar FABRI, forme latine, son nom est Aymar FAVRE. Son épiscopat ne dure que trois ans, mais son action créative au service du peuple de Genève opère un tournant décisif dans l’histoire de la cité. Et c’est un exemple comparativement à d’autres expressions du pouvoir à cette époque.
Nous sommes au XIVème siècle. Les évêques jouent souvent un rôle de protecteurs des populations en raison des intrigues et des conflits permanents entre les comtes régionaux. Du Xème au XVème siècle, le souverain de Genève est l’empereur. A partir de 1032, l’empereur Konrad II le Salique succède à son oncle Rodolphe III, dernier roi burgonde. Genève est rattachée au Saint Empire romain germanique.
Pour éviter les conséquences des querelles interminables et des menaces provenant des comtes de la région (Sapaudie = Savoie), c’est l’évêque du lieu qui administre la cité, en vertu d’un accord juridique conclu à Seyssel entre l’évêque Humbert de Grammont et le comte Aymon de Genève. Avec Adhémar Fabri, la situation change radicalement, car il va déléguer et remettre le pouvoir entre les mains d’élus du peuple.
Issu d’une famille originaire de la Roche en Faucigny, Adhémar Fabri passe toute sa jeunesse à Genève. Il étudie au couvent des Dominicains de Plainpalais et y acquiert une formation de qualité, car l’établissement religieux compte un maître d’études, trois docteurs en philosophie et en théologie, ainsi qu’un assistant in sacris paginis, c’est-à-dire en hautes études.
Plus tard ordonné prêtre, Adhémar est nommé prieur de l’ordre des Frères prêcheurs, et il assume parallèlement à sa communauté des tâches pastorales dans la région. Il étudie particulièrement les lois et juridictions en vigueur avec en tête un projet d’avenir.
A la fin du XIIIème siècle, la Terre sainte étant retombée aux mains des musulmans, l’évêque de Bethlehem Hugues de Tours était revenu en Europe. En 1362, le pape Urbain V formule un décret élogieux pour Adhémar Fabri et il le nomme évêque de Bethlehem, afin d’assurer une continuité de la présence chrétienne – même à distance – sur les lieux saints. Il lui confie également la tâche d’évêque auxiliaire de Genève. Puis Robert de Genève est élu pape sous le nom d’Urbain VII. Son compatriote Adhémar devient son confesseur et conseiller.
Lorsque l’évêque titulaire de Genève Jean de Murol est promu cardinal, c’est avec l’accord de Rome que le siège vacant est attribué à Adhémar Fabri. En seulement trois années d’épiscopat, il impose sa marque à l’histoire, et devient ainsi le seul évêque de Genève du Moyen-Age encore connu du public.
Le 23 mai 1387, Adhémar officialise un acte selon lequel lui et ses successeurs, ainsi que les seigneurs de la ville, reconnaissent « toutes les libertés, franchises, immunités, us et coutumes » en faveur du peuple de la cité. A la même date, l’acte est validé par une bulle pontificale de Félix V. Cette charte novatrice inaugure une délégation du pouvoir aux mains du peuple lui-même. C’est le fondement d’un système démocratique, et cet acte constitue le code des libertés collectives et individuelles des Genevois.
On nous présente souvent cette époque comme détestable et arbitraire, or les franchises instaurées par Adhémar manifestent un véritable respect pour les citoyens et le souci d’un nouvel ordre social à Genève. Ainsi les citoyens élisent désormais chaque année les syndics et les procureurs qui défendront leurs intérêts. Le document de 1364 détaille la procédure d’élection populaire qui se déroule chaque début d’année dans un cloître, et où est élu un Conseil de 12 membres représentant la cité, afin de défendre les intérêts de tous selon la charte promulguée par Adhémar. Ce collège prend le nom historique de « Grand Conseil », dénomination toujours en vigueur de nos jours.
Quelques exemples d’arrêtés législatifs de la Charte des Franchises : « Les meuniers devront mettre la farine en sacs en présence du propriétaire. Les bouchers ne peuvent vendre que des viandes fraîches. Les poissonniers ne peuvent présenter au marché que des pièces ayant au maximum deux jours. Les poids et mesures sont fixés avec précision et contrôlés régulièrement par des inspecteurs durant les foires. Pour préserver la propreté dans la ville, il est interdit de laisser traîner des ordures et du fumier sur la voie publique. Les étrangers sont autorisés à vendre leurs produits, mais seulement durant les jours de marché ». Etc…
Concernant les actes juridiques : « Le droit de propriété est garanti, et nul ne peut en être dépouillé ». « Aucun citoyen de Genève ne peut être cité hors de la ville ». « Si un citoyen est admonesté hors de la cité, le Conseil enverra quatre prudhommes pour procéder à sa défense ». « Nul ne peut être soumis à la torture, sinon par jugement en présence de représentants du peuple. »
L’esprit dans lequel ces dispositions ont été prises est explicité par l’évêque Adhémar Fabri lui-même : « Nous jugeons que c’est le propre de notre devoir de rechercher les avantages des habitants de la cité et de leur procurer des consolations ». « En tant que pasteur, nous voulons les maintenir dans leurs douces libertés, immunités et coutumes ».
En raison de ses qualités spirituelles personnelles et de ses initiatives bienfaisantes pour le peuple, l’évêque genevois Adhémar Fabri – qui a marqué l’histoire de la ville – était promis à la pourpre cardinalice par Robert de Genève. Il n’eut pas l’honneur de la revêtir car il mourut en 1388.
Abbé Alain René Arbez