Un projet œcuménique de potager urbain est né ce printemps autour du Temple de Montbrillant, à Genève. Plusieurs communautés s’y impliquent. « Différents acteurs, cabossés de la vie, fatigués de pleurer, de vivre des injustices, les jardiniers de la Ville sans oublier les anciens de la paroisse ont un mot à dire, des rêves et des intelligences se retrouvent », témoigne Inès Calstas, coordinatrice du pôle solidarités de l’Eglise catholique romaine. « Ecouter la nature nous parler de Dieu, l’écouter avec nos yeux, nos oreilles, notre cœur change notre attitude vis-à-vis d’elle », écrit Anne-Christine Menu, pasteur de l’EPG (Eglise protestante de Genève). Elles partagent avec nous les premiers fruits de cette belle expérience. Cultiver un jardin nous relie à la Création toute entière. Au contact de la terre qui accueille les semences et les nourrit, les liens se tissent, les blessures s’apaisent, la vie pousse.
Potagers urbains ? Jardins partagés ? Ou l’art des temps ? Un projet œcuménique qui naît autour du Temple de Montbrillant. La Pastorale des Milieux ouverts (PMo), cette jeune pastorale de l’Eglise catholique de Genève, fait depuis le commencement équipe avec les personnes qui vivent l’exclusion et la misère au quotidien. Ce sont elles qui sont les « expertes », qui ont le savoir-faire et qui veulent avant tout le changement.
Un temps pour rêver…
Tous ceux qui constituent la PMo ont beaucoup à donner à notre société. Nous travaillons essentiellement en réseau. Pour Pâques 2016, nous avons participé à la création des potagers urbains du parc des Franchises. Deux journées de travail avec des voisins, des personnes de l’Hospice Général, de différentes associations du quartier, des différents responsables de la Ville et l’Etat de Genève et nous !
Moussa, Geza, Abou, Mansour, Alin, Vasile, Cosmin et Soulai, ont voulu travailler bénévolement dans ce projet. Et ils ont épaté les différents acteurs sociaux avec leur force de travail, leur humour et leur savoir-faire.
A la fin de la première matinée de travail, Moussa est venu vers moi, et il m’a dit : « Tu sais Inès ; hier je sentais que mes problèmes m’écrasaient et je croyais qu’ils étaient insurmontables. Maintenant, je sens que je peux faire face. On doit mettre des jardins potagers dans tout Genève, Inès ! »
Son enthousiasme était contagieux ! La racine de ce mot, a pris, à ce moment-là tout son sens, Dieu était avec nous, nous habitait, une vraie fête de Pâques dans nos cœurs et en plein milieu de la ville, loin du regard indiscret des autres : « la mort n’a plus son dernier mot, la vie est plus forte ! » Je me suis promise de faire « mon nécessaire » pour que des potagers urbains fleurissent au moins autour de paroisses. La patience s’apprend et il y a un temps pour tout.
Un temps de rencontre
Quelques mois après, presque à Noël… j’ai rencontré Anne-Christine Menu, pasteure de l’EPG … Notre enthousiasme devient contagieux. Très rapidement la paroisse de Montbrillant est partante pour accueillir ce rêve, les membres de la COPH1 et de la COSMG2 s’approprient de cette aventure ! En quelques mois, une belle équipe se forme. Différents acteurs, cabossés de la vie, fatigués de pleurer, de vivre des injustices, les jardiniers de la Ville sans oublier les anciens de la paroisse ont un mot à dire, des rêves et des intelligences se retrouvent.
Et des petits clins de Dieu ont lieu. Julien, Béni, Sarah, Geza, Abdoulaye et Ababacar attendent la livraison qui vient du Valais pour construire les bacs potagers. Et à la surprise de tous, Abdel descend rapidement de la camionnette se jette dans les bras de Béni pour le saluer ! Les deux se sont connus dans le pèlerinage à Rome ! Ils avaient imaginé de travailler ensemble autour du recyclage, et maintenant ils se rencontrent autour d’un jardin qui pousse !
Le temps de la réalisation
Une célébration œcuménique ouvre le commencement, le dimanche 5 mars, un cerisier est planté. Deux semaines après des framboisiers, un mois après des potagers en carré se construisent, et le 28 avril autour d’un repas festif, nous avons préparé un bout de terrain qui accueillera la prairie fleurie. Les bacs ont commencé à se remplir, des fraisiers, de la menthe et des oignons sortent de terre. Les tomates attendront patiemment au chaud une autre journée de travail.
Inès Calstas
Cultiver en ville… l’idée d’un jardin potager urbain autour des temples et des églises s’inspire du film ‘Demain’ qui a enthousiasmé un grand nombre de personnes et redonné l’espoir que nous ne sommes pas si impuissants que cela face à la destruction de la planète. Mais cette idée porte en elle aussi une longue réflexion dans nos Eglises sur notre lien à la Création.
Aimés de façon inconditionnelle par Dieu, nous sommes invités à être co-auteurs non seulement de notre vie, mais aussi de l’avenir de la Création. Il nous a instauré « Jardiniers de la Création ». Il nous a confié son œuvre. Nous devons revoir notre théologie et relier le texte biblique de la Création au paradigme de la joie de Dieu dans sa Création.
Ecouter la nature nous parler de Dieu, l’écouter avec nos yeux, nos oreilles, notre cœur change notre attitude vis-à-vis d’elle. Il s’agit de la respecter et de s’engager jour après jour pour sa sauvegarde.
Cela rejoint l’encyclique du Pape François « Laudato si », qui nous invite à plus d’engagement écologique ; et aussi les oeuvres d’entraides Pain pour le prochain et Action de Carême, qui nous ouvrent les yeux chaque année sur l’impact écologique de notre manière de consommer et donnent des pistes concrètes pour amorcer des changements.
Mais cette réflexion et cet engagement dans nos Eglises ne datent pas d’hier. Dans les années 70 déjà, Lukas Vischer, pasteur à Genève, alertait le Conseil œcuménique des Eglises des conséquences désastreuses de notre manière de consommer sur le climat et la justice sociale. Et c’est à cette époque qu’a été créée l’association OEKU, Eglise et environnement.
Il est devenu clair pour nombre de théologiens et penseurs que la crise écologique actuelle est d’abord une crise spirituelle. Avoir perdu à ce point le lien avec la terre, avoir réduit le monde animal et végétal à de la marchandise, c’est avoir nié le principe même de vie qui nous traverse et nous nourrit. Nos Eglises possèdent des terrains autour des bâtiments. Mais ces derniers ne laissent pas beaucoup de place à la nature : le gazon coupé ras est « stérile », fleurs, plantes sauvages et insectes y sont rares. D’où l’idée de valoriser ces terrains en créant des potagers urbains et en favorisant la biodiversité.
Modestes, ces actions répondent toutefois non seulement à un besoin de nature en ville de nos contemporains, mais permettent aussi d’aller à leur rencontre, eux qui n’entrent plus dans nos églises. Le jardin devient un lieu de partage et de témoignage : partage de son savoir-faire, de compétences, d’amitié, de passion, création de nouveaux liens communautaires, inclusifs et sociaux. Lieu de témoignage de notre foi aussi, car nous le faisons parce que Dieu nous a confié sa création afin que nous en prenions soin.
Cultiver autour des églises, ce n’est pas nouveau. La tradition monastique en a une longue expérience. Mais dans l’agitation de notre société, nous avons perdu le sens des saisons et de la patience, de la lenteur et de la confiance. Cultiver un jardin nous relie à la Création toute entière. Nous réalisons à quel point nous en sommes dépendants et à quel point il est important de la préserver. Dans cette lenteur germe l’espérance et un sentiment de joie profond : nous nous ouvrons à l’émerveillement.
Nous commençons une expérience de jardin potager urbain autour du temple de Montbrillant. Cet espace abrite plusieurs communautés, la paroisse protestante de Montbrillant, celle œcuménique des sourds et malentendants et celle œcuménique des personnes handicapées et leur famille, ainsi que la mission d’Inès Calstas auprès des personnes en situation d’exclusion. Autour du temple, le terrain est vaste et propice au développement d’un jardin potager. L’arrivée d’eau à proximité est un élément essentiel. Une équipe s’est mise en route, avec des représentants des différentes communautés et des personnes en situation d’exclusion. Les idées fusent, les yeux brillent, la joie est communicative.
Nous communiquons avec WhatsApp, échangeons les photos de nos semis qui poussent, bientôt prêts pour le jardin, se rappelons qu’il faut arroser… c’est chaque fois un plaisir de se lire et de découvrir les talents de chacun. C’est un peu de vitamines dans notre quotidien.
Rêves partagés, prospectives sur le terrain, échanges avec les jardiniers de la ville qui s’occupent des platebandes, négociations avec certains paroissiens attachés à leurs plantes… nous entrons dans le vif du sujet.
Anne-Christine Menu