Comment faire le deuil d’une promesse de vie qui ne se réalise pas ? La perte d’un enfant en cours de grossesse, à la naissance ou durant les premiers jours ou semaines de vie est une épreuve particulièrement douloureuse. Aucun mot ne désigne les parents endeuillés d’un enfant décédé dans ces circonstances. La journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal, le 15 octobre, souhaite reconnaître la peine des parents frappés par cette tragédie silencieuse.
« Le deuil périnatal est une épreuve terrible et complexe, de l’ordre de l’inconcevable. C’est la mort qu’il s’agit d’affronter au moment où on attendait une nouvelle vie », observe Evelyne Oberson, aumônière de la Pastorale de la santé.
« Pour les parents, il s’agit d’un double deuil et d’une triple peine. D’une part, le deuil du fœtus, de ce bébé en devenir, si intime, mais inconnu, dont on a aucun souvenir pour faire mémoire. En parallèle, c’est aussi le deuil d’être mère ou père avec les attentes, les projets et rêves à l’égard de l’enfant à naître qui sont anéantis avant de voir le jour. Pour certains parents, il s’agissait du bébé de la dernière chance et c’est le grand rêve de fonder une famille qui s’effondre ».
La peine du deuil périnatal est triple. « Il y a un deuil à faire, mais il est peu ou mal reconnu et s’accompagne souvent d’un sentiment de culpabilité ou de honte. L’entourage tend souvent à croire que la perte d’un bébé que l’on n’a pas vraiment connu est moindre. Pourtant le chagrin provoqué par la perte ne dépend pas de la durée de la grossesse, mais de l’intensité de l’investissement des parents. Pensant bien faire, les gens les consolent avec des phrases qui nient la souffrance, comme ‘Vous êtes encore jeunes, vous en aurez d’autres’ ou encore ‘Il vaut mieux qu’il soit mort maintenant que plus tard. La nature fait bien les choses’. Parfois, en cas de décès en début de grossesse ou lors d’une interruption de grossesse, l’entourage n’est pas informé, ce qui accroit la solitude et une forme d’isolement », fait valoir l’aumônière.
La femme et l’homme ne vivent pas la même chose au même moment. Entre les conjoints, la communication peut être rendue difficile par le sentiment de vide et par la peur d’amplifier la peine de l’autre.
« Les femmes tendent à se sentir responsables et culpabilisent. Parfois elles sont blessées, avec une perte d’estime d’elles-mêmes », témoigne l’aumônière. Le papa est encore moins reconnu que la femme dans son deuil et lui-même se sent souvent investi par le devoir de soulager la souffrance de son épouse ou sa compagne. Pour toute la famille et pour les frères et sœurs les enjeux sont énormes », explique Evelyne Oberson. Au sein de l’équipe des aumôniers des HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève), c’est elle qui suit les femmes accueillies au service prénatal de la Maternité.
« J’ai accompagné une femme qui a deux reprises a perdu son enfant à la 22è semaine de grossesse. Dans ces circonstances, à l’incompréhension s’ajoute un fort sentiment d’injustice ou d’échec. Souvent, la grossesse qui suit une fausse-couche, une mort in utero ou une intervention thérapeutique est rendue plus difficile. On n’ose pas se réjouir, on a peur de préparer la chambre de l’enfant à venir, de choisir un prénom. Les sentiments d’espoir et de peur s’alternent. L’impact se fait également sentir sur les enfants de la fratrie, ceux qui sont déjà là ou ceux qui arrivent après. »
Aux HUG une équipe pluridisciplinaire accompagne les parents touchés par le deuil périnatal. Elle est composée de sages-femmes, gynécologues obstétriciens, infirmières, psychologues, psychiatres, pédopsychiatres, généticien, pathologues, pédiatres, aumôniers et d’une assistante sociale. « Dans le service, des sages-femmes sont spécialisées dans le deuil périnatal. Elles ont mis en place un ‘chariot du deuil’ avec des livres d’or, celui en cours et les précédents. Les parents peuvent les consulter, souvent ils cherchent des témoignages de mères ou pères qui ont traversé une situation proche de la leur et cela les aide à se sentir moins seuls. Ils peuvent à leur tour déposer un mot », explique l’aumônière.
« Sur le chariot, les parents peuvent également choisir une boite à souvenirs dans laquelle ils trouvent deux objets symboliques qui se ressemblent, l’un est à déposer dans le couffin du bébé et l’autre pour eux. Il y a des livres à disposition sur le thème, aussi pour les enfants, les frères et sœurs de l’enfant décédé ».
Les sages-femmes font un travail formidable, insiste Evelyne Oberson. « Elles habillent le bébé avec des vêtements de toute taille, même pour des petit fœtus, réalisés par l’association alémanique Staernechind, avant de le présenter aux parents qui le désirent. S’ils le souhaitent, ils peuvent le prendre dans les bras, le garder autant que nécessaire. Les sages-femmes prennent aussi une empreinte du pied de l’enfant, une photo. Les parents peuvent choisir de les prendre ou pas. Mais ces photos et ces empreintes sont gardées. Les parents peuvent venir les chercher en tout temps Certains, les demandent des années après ».
Il n’y a pas une conduite imposée. Les sages-femmes proposent systématiquement un entretien avec un psychologue et avec l’aumônière, les mamans choisissent. «Je suis disponible pour un temps d’écoute, un accompagnement spirituel et/ou une cérémonie. Je me vois comme un réceptacle, dans une attitude de disponibilité, perméable. J’entends leur souffrance, la douleur, l’angoisse et je cherche avec la personne, les ressources dont elle dispose pour traverser ce moment difficile en attendant de trouver du sens plus tard », souligne Evelyne Oberson.
Le soutien est dénué de prosélytisme. « Il n’y a pas toujours une demande religieuse. Pour moi l’accompagnement spirituel veut dire être près de la personne là où elle est avec ses convictions, ses difficultés, ses valeurs, ses questions et le sens qu’elle donne à la vie. Je vais là où elle est et je la suis là où elle m’emmène. Je conçois la spiritualité au sens très large. Les personnes peuvent avoir des convictions religieuses ou pas, être catholiques ou pas ».
Dieu n’intervient que si les personnes l’évoquent. « Si les parents sont de foi chrétienne, la célébration en aura la couleur, avec des prières et des textes bibliques qui parlent de l’amour de Dieu. Le but est que la cérémonie fasse sens pour les parents. S’ils ont le sentiment que leur enfant va rejoindre un être cher qu’ils ont perdu, un grand-parent par exemple, on peut évoquer ces personnes ». D’autres ont le sentiment que leur enfant est devenu un ange ou une étoile et ressentent sa présence.
« Mon expérience est qu’à ces moments-là, quelles qu’elles soient les convictions religieuses, il y a quelque chose de l’ordre d’un ressenti spirituel profond et très fort. Des mamans et des papas témoignent que leur enfant leur « parle » et expriment souvent le sentiment d’être en contact lui. Des parents me disent à quel point cela les réconforte « d’entendre » leur enfant leur dire qu’il va bien, de ne pas se faire des soucis, qu’il va veiller sur eux. Cela arrive aussi avec des personnes qui n’ont pas vraiment une dimension spirituelle dans leur vie ».
Des couples pour qui Dieu existe, ont parfois le sentiment que c’est lui qui a pris leur enfant. « Il est important de les inviter à formuler leurs questions et leur colère, aussi lors de la cérémonie », assure l’aumônière.
Des rites sont proposés pour aider les parents à entrer dans un cheminement de deuil.
Evelyne Oberson propose des cérémonies qui incluent les cinq sens. « Le corps est au centre de la grossesse et de la naissance et dans une religion incarnée, avec Dieu qui s’est fait homme, il est important de vivre ce moment avec le corps, avec des gestes qui expriment plus que les paroles ».
Le deuil périnatal est très souvent plus complexe que d’autres formes de deuil.
« Dans nos sociétés on a oublié que la mort peut faire partie de la naissance. Le deuil, la mort incommodent notre société et la mort périnatale reste pour beaucoup un tabou. Nous sommes tellement habitués à associer la grossesse et la naissance à la joie, que le choc peut être immense. J’ai récemment accompagné une famille dont l’enfant n’a pas survécu à l’accouchement. Le fait d’avoir vu ce bébé sans vie, alors qu’il avait la même taille et la même bouille que mes propres filles quand je les ai mises au monde, m’a laissée sans souffle et m’a déstabilisée, remuée au plus profond de moi. J’ai essayé de comprendre.».
« J’ai trouvé des éléments de réponse dans le livre de la théologienne Eloise Cairus ‘L’accompagnement spirituel des naissances difficiles’. Elle évoque trois mots qui m’ont aidée : humilité, confiance et espérance. Je crois qu’accompagner ces situations demande de l’humilité et donc d’admettre une forme d’impuissance. Cela exige aussi une dose de confiance afin d’accepter de nous remettre à plus grand que nous. Enfin, de l’espérance pour croire que les parents frappés par ce deuil sauront trouver des personnes qui pourront les épauler, afin de trouver un sens et avancer ».
« Dans ma posture, poursuit l’aumônière, je suis consciente que je ne suis présente qu’à un moment précis de leur vie. Ce qu’ils ont vécu avant et ce qu’ils vont vivre par la suite m’échappe. Je ne connais pas tout leur parcours.
Je sais que Dieu n’est pas responsable de ces décès. Il est l’origine de la vie mais il n’est pas responsable de la mort du bébé, il ne l’a pas désirée. Je sens sa présence aux côtés des parents, je vois des signes. Les parents perçoivent ces signes même s’ils ne mettent pas le nom de Dieu. Au fond de moi je sais que Dieu ne les abandonne pas ».
Les HUG organisent une cérémonie du souvenir pour les parents d’enfants trop tôt disparus une fois par année, en mars. Evelyne Oberson coordonne l’équipe pluridisciplinaire qui l’organise.