Récemment, une télévision évangélique francophone (France, Suisse, Belgique, Canada, Afrique) est venue interviewer l’abbé Alain René Arbez sur son engagement contre l’antisémitisme et pour le rapprochement entre chrétiens et juifs. L’émission a été filmée à l’entrée de l’église St Jean XXIII, au Petit-Saconnex, Genève. L’abbé Arbez est membre de la Commission de dialogue judéo/catholique-romaine de Suisse (CDJC). Parallèlement, un échange a eu lieu entre Sylvain, un chrétien évangélique, et l’abbé Arbez, sur des aspects de la foi dont l’approche théologique est différente entre communautés. L’abbé a retranscrit l’échange pour nous.
Sylvain participe à mes réunions bibliques mensuelles « Lectio biblica », dans lesquelles l’évangile est décrypté grâce aux mots-clés de la Bible hébraïque. En fait, si évangéliques et catholiques se positionnent différemment dans la relation à la Bible, à la liturgie, aux sacrements, ils se rejoignent souvent sur des questions éthiques actuelles, telles que la lutte contre l’antisémitisme, le refus du mariage pour tous, de l’avortement, de l’euthanasie, des manipulations génétiques aboutissant à la marchandisation du corps.
Sylvain (S) : nous évangéliques, nous nous adressons à Dieu directement, nous ne voulons pas nous adresser à lui par l’intermédiaire de Marie ou des saints. Pourquoi parler avec des êtres qui sont morts ? Dieu seul est Dieu !
Alain René (AR) : il est clair que – malgré les signes extérieurs de piété parfois discutables – les prières des catholiques montent vers Dieu et lui seul, au sens strict ; et s’ils invoquent Marie ou des saints dont le témoignage leur parle, ils savent que dans l’intercession c’est Dieu le Père qui donne sa réponse à leurs demandes. Nous croyons à la communion des saints, une solidarité céleste, il suffit de rappeler ce que Jésus dit : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée » (Jean 17,24). Nous ne serons pas séparés de l’amour du Christ, pas même dans la mort (Romains 8, 38-39- Matthieu 28, 20). Nous serons appelés à le rejoindre à la fin de notre parcours terrestre (2 Corinthiens 5,6-9 ; Philippiens 1, 23-24) dans cette réalité où les saints ont une vie nouvelle et s’expriment (Apocalypse 6, 9-10 ; 7, 9-17) et où ils prient le Seigneur (Apocalypse 5,8- Luc 16,19-30). Le Christ a dit que ceux qui nous ont précédés sont des vivants, pas des morts.
S : Pourquoi ne pas nous approcher directement du trône de grâce de Dieu avec assurance ? (Hébreux 4,16) Nous n’avons pas besoin de médiateurs, puisque Christ est notre seul médiateur, l’Esprit Saint nous relie directement à travers Jésus.
AR : Certes, mais ce trône de grâce est également accessible à la fois dans l’écoute de la Parole de Dieu et dans le partage du pain consacré où le Ressuscité est réellement présent, comme il l’a dit aux disciples, dans son mémorial pascal. L’apôtre Pierre l’évoque bien : « Vous-mêmes comme pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel pour un sacerdoce saint en vue d’offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ » (1 Pierre 2,5). Paul dit aussi : « Je recommande donc avant tout qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes. C’est ce qui plaît à Dieu notre sauveur » (1 Timothée 4). Les chrétiens qui prient les uns pour les autres ne remettent pas en cause l’unique médiation de Jésus Christ, et les saints du ciel qui intercèdent pour nous ne sont pas en contradiction avec ce passage, puisque toute prière au ciel et sur terre est en Jésus Christ et par lui, seul médiateur et grand-prêtre. Les saints connus sont simplement des exemples à suivre, des reflets de la sainteté de Dieu.
S : Je voudrais revenir sur une différence de compréhension entre nous par rapport au salut que Dieu nous a octroyé par son Fils Jésus Christ. Nous, évangéliques estimons que ce salut nous est déjà acquis. Nous pensons que dès que quelqu’un reconnaît Jésus comme son sauveur personnel, il est aussitôt justifié (Romains 5,9). Cette nouvelle condition d’être humain sauvé est acquise dès que quelqu’un accepte de naître de nouveau. C’est la foi qui est primordiale, pas les œuvres. Les catholiques donnent trop d’importance aux œuvres. Nous ne pouvons être les auteurs de notre salut !
AR : en effet, là où nous sommes d’accord, c’est que le salut nous est donné, c’est un processus de vie qui commence par la justification par la foi et par le baptême, nouvelle naissance. Cependant, après la justification par la foi, il est tout de même nécessaire de mettre en œuvre ce que l’on croit. Les œuvres, c’est la traduction concrète de ce que l’on estime essentiel, et cela a aussi son importance ! Paul ne dit pas autre chose quand il montre que la foi seule ne peut pas justifier : « Ce ne sont pas en effet ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, car seront justifiés seulement ceux qui la mettent en pratique ! » (Romains 2,13). Encore dans Tite 3,14 : « Les nôtres apprennent à produire de bonnes œuvres de manière à subvenir aux besoins urgents afin qu’ils ne soient pas sans fruits ! ». Ce qui indique que les œuvres ont leur rôle à jouer en donnant des fruits, des résultats, car « la foi est agissante par la charité » (Galates 5,6)
S : les chrétiens évangéliques ne nient pas l’importance des œuvres bonnes, mais ils la considèrent simplement comme une conséquence du salut et non pas comme une condition préalable. Le salut est accompli par le sacrifice expiatoire de Jésus, car le don qu’il a fait de lui-même est suffisant. En recevant ce don avec foi, nous savons que nous sommes sauvés.
AR : certes, pourtant c’est bien sur les œuvres que nous serons jugés et que nous serons gratifiés par Dieu (1 Corinthiens 3,13 ; 1 Corinthiens 15, 10 ; Matthieu 5,29 ; Luc 14,13 ; Apocalypse 20,11 etc).
S : mais la seule chose qui compte, c’est de recevoir ce salut (Jean 1,12) pour naître de nouveau. Si nous recevons la grâce par la foi, alors nous avons le salut pour l’éternité (Ephésiens 2,8-9). Dieu nous l’offre gratuitement.
AR : oui, cependant, l’être humain étant ce qu’il est, même fortifié par la grâce, le salut peut devenir inopérant s’il n’y a aucune coopération avec la puissance transformante de Dieu. L’auteur de la lettre aux Hébreux (Hébreux 6, 4-8) en donne l’avertissement : « Certains ont été une fois éclairés et ont goûté au don du ciel, ayant part au Saint Esprit, et ils ont expérimenté combien la Parole de Dieu est bienfaisante, ils ont fait l’expérience des forces du monde à venir. Pourtant ils se sont détournés de la foi et ne peuvent être amenés de nouveau à changer de vie car ils crucifient le Fils de Dieu pour leur propre compte et ils le déshonorent publiquement. Lorsqu’une terre arrosée par des pluies produit des plantes utiles à ceux pour qui on la cultive, Dieu la bénit. Mais si elle ne donne que des buissons d’épines et des chardons, elle ne vaut rien, elle ne tardera pas à être maudite, on finira par y mettre le feu ! ».
Paul évoque dans le même sens ceux qui « se sont écartés d’une conscience droite au point que leur foi a fait naufrage » (1 Tite 1,19). Car, dit-il : « nous sommes créés en Jésus Christ pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous les pratiquions » (Ephésiens 2,10).
S : ce qui unit les chrétiens, c’est de croire que Dieu nous offre son salut en Jésus Christ, et que le Saint Esprit agit dans nos vies pour les transformer. C’est seulement ainsi que le monde changera de visage. Il s’agit de déjouer les pièges du démon. Christ va revenir.
Abbé Alain René Arbez