L’aumônier d’hôpital est de nos jours appelé à répondre à de nombreux défis: de simple visiteur et préposé aux activités cultuelles, il est devenu un interlocuteur reconnu dans le système des soins, une présence appréciée et compétente dans ces lieux où la spiritualité et le sens de la vie sont vécus avec une autre intensité. L’abbé Giovanni Fognini et Mme Cathy Espy-Ruf, responsable de la pastorale de la santé, témoignent.
Encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, la figure du prêtre à l’hôpital est souvent associée à un pronostic fatal et confinée au rôle d’intermédiaire privilégié lors du dernier passage. « Souvent on nous associe à la fin de vie. Quand le prêtre arrive, c’est la fin. Mais la mission des aumôniers dans les hôpitaux est bien plus vaste ! » Aumônier d’hôpital depuis 17 ans, l’abbé Giovanni Fognini est modeste, « je me contente d’accompagner les personnes », mais très au clair sur la pertinence de la prise en charge de la dimension spirituelle des patients. Mais quelle est la place de Dieu dans le milieu laïc de l’hôpital ?
Après avoir longtemps accordé peu d’importance au religieux et aux besoins spirituels, en séparant corps et esprit, la médecine redécouvre l’apport de la spiritualité. « Le rôle des aumôniers est aujourd’hui reconnu », explique l’abbé Giovanni Fognini, responsable de l’aumônerie catholique Cluse-Roseraie des HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève). « Ce n’est pas nous qui réclamons une place à l’hôpital : la définition de la santé prend aujourd’hui en considération l’interdisciplinarité et la dimension spirituelle. Notre action s’inscrit dans une loi1 et une convention définit notre mission spécifique », explique l’abbé Giovanni. Selon la convention, le service des aumôneries des HUG doit répondre aux attentes spirituelles des patients et de leurs proches.
Dans les milieux laïcs de la santé, on s’accorde pour distinguer la spiritualité de la religion. Le rôle de l’accompagnant spirituel n’est pas celui de promouvoir ses propres croyances. La mission de l’aumônier a su évoluer, se professionnaliser, se diversifier et, alors que dans un passé pas si lointain, la fonction était remplie par un prêtre et plus particulièrement dédiée aux activités cultuelles, aujourd’hui elle est assurée aussi par des laïcs rigoureusement formés et ouverte à de multiples formes d’accompagnement.
Oecuménique, le service des aumôneries des HUG est confié à une équipe d’une vingtaine de professionnels catholiques et protestants. Du côté catholique, onze aumôniers salariés (six prêtres et cinq laïcs à temps partiel) sont soutenus par une dizaine d’auxiliaires bénévoles encadrés et formés. Ils sont présents sur six sites des Hôpitaux Universitaires de Genève2. « Chaque aumônerie a sa spécificité, médecine générale, oncologie, soins palliatifs, maternité, pédiatrie, psychiatrie, gériatrie et psychogériatrie. Les aumôniers sont vraiment des partenaires de ce grand monde des soins », fait valoir Cathy Espy-Ruf, responsable catholique de la Pastorale de la santé, qui intègre également la présence de bénévoles d’aumônerie dans 55 EMS ou cliniques privés du canton.
L’aumônier est appelé à rencontrer des personnes d’horizons, cultures et/ou religions très variés, néanmoins son identité spécifique est connue et il reste envoyé et rétribué par l’Eglise. « Nous n’imposons pas notre présence. Il s’agit d’abord d’un accompagnement humain, puis spirituel et enfin religieux, avec des gestes d’Eglise et des sacrements, selon les demandes », explique l’abbé Giovanni. Disponible pour toute personne, sans discrimination et dans le respect des convictions, l’aumônier offre une ouverture sur le sens du vécu en milieu hospitalier. C’est ainsi que jour après jour, les aumôneries assurent un service de visite aux patients et à leurs proches, proposent des entretiens personnalisés et des accompagnements et assurent un appui aux malades et à leurs proches que ne peut offrir le personnel soignant concentré sur le suivi médical. Parfois, la présence d’un aumônier permet aux personnes de discuter et de se raconter, de partager la joie d’une naissance, d’une guérison, d’une opération réussie. Mais dans le parcours de nos vies, la case hôpital est souvent synonyme de souffrance. « Par notre présence nous proposons une écoute, un silence, une parole ou une prière dans la tourmente du deuil, celui d’une vie bouleversée par la maladie, celui d’un décès. Parfois nous sommes appelés à intervenir aussi pour apaiser les tensions et les conflits qui peuvent surgir, pour apporter un peu de calme, un peu de paix intérieure. »
Les activités cultuelles, messe, eucharistie, confession, sacrement du malade, extrême-onction, obsèques demeurent importantes. « Je célèbre aussi des baptêmes et des mariages », raconte le prêtre-aumônier. Mais la réalité de l’hôpital n’est pas celle de la paroisse.
La quête de sens vibre autrement dans une chambre de soins intensifs, de soins palliatifs ou en pédiatrie. Elle a une autre densité et se mêle à la révolte, à l’urgence, au scandale et les réponses s’échappent à jamais, se perdent ou s’imposent dans leur essentialité.
« La promesse de fidélité échangée par des mariés dans une chambre d’hôpital acquiert une autre dimension quand on sait que l’un des conjoints va bientôt mourir. Mais la joie n’est pas absente et c’est toujours l’amour que l’on célèbre », témoigne l’abbé Giovanni. « Souvent je suis amené à célébrer des baptêmes en urgence et 95% des enfants que je baptise à l’hôpital décèdent dans les heures qui suivent. C’est toujours extrêmement douloureux. Appelé en urgence, j’ai baptisé un enfant qui venait de naître. Après la célébration, le bébé a été débranché des machines qui le gardaient en vie. La maman a pu le prendre dans ses bras, son mari à côté d’elle. Nous sommes longtemps restés en silence, avec les infirmiers et le médecin. La maman parlait à l’enfant avec amour. Puis elle a éclaté en sanglots. Elle s’en voulait et s’en excusait, gênée. J’ai pu la conforter en donnant un sens à ses pleurs. Ils prolongeaient le baptême : ‘ vous baptisez votre enfant avec vos larmes ‘. Perdre un enfant est le pire qui puisse arriver à des parents. La douleur est immense. Mais ce qui se passe dans ces moments peut être très humain et presque beau dans la vérité de ce qui se vit. »
Dans le cahier des charges de l’aumônerie œcuménique de l’Hôpital sur le site Cluse-Roseraie, figure une « garde active » : une permanence 24 heures sur 24 et 365 jours par an est assurée à tour de rôle par un aumônier catholique ou protestant. Ce service est tout particulièrement sollicité dans les situations aiguës et difficiles. En 2017, l’aumônier de garde a répondu à 460 appels, dont 126 concernaient des patients en fin de vie ou en situation de retrait thérapeutique. Toujours l’année dernière, l’aumônerie de garde a animé 14 cérémonies en chambre ou dans un lieu de recueillement, pour accompagner les parents lors du décès d’un bébé. Plus de 50 personnes ont reçu l’onction des malades, 53 la communion et six nouveau-nés ont reçu le baptême. A plusieurs reprises, l’aumônier a participé au colloque pour la question du don d’organes. L’aumônerie a aussi accompagné un patient qui a fait appel à Exit et dont le suicide assisté s’est déroulé dans une chambre de l’hôpital. Véritable service proposé à chaque patient, l’aumônier de garde agit également comme relais vers les aumôneries d’autres confessions ou religions (musulmane et israélite principalement). Des services ou des numéros d’appel d’urgence sont aussi disponibles sur les autres sites des HUG. Pour garantir une présence à tout instant.
L’expression de la spiritualité se modifiant, les aumôniers sont aussi disponibles pour imaginer et construire des formes de célébrations ouvertes à toutes les religions, croyances et convictions qui permettent de poser des gestes, de faire mémoire.
Accompagnement, soutien, réconfort, apaisement : les mots existent, un savoir-faire également, mais chaque personne est unique et l’aumônier est appelé à la rejoindre là où elle se trouve. Pour faire sens, les paroles et les gestes doivent trouver leur ancrage dans le vécu de l’individu. « Il m’est parfois impossible de prononcer certaines phrases. ‘Dieu est amour’, dans certaines situations, est inaudible », confie l’abbé Giovanni.
« Ce qui nous aide c’est la foi, le travail en équipe et une solide formation de base et continue qui nourrit la réflexion et l’approfondissement spirituel. Il est important d’être bien enraciné pour que les personnes puissent s’appuyer sur nous. » Le savoir-être l’emporte sur le savoir-faire et le travail sur les émotions est au centre de la formation des aumôniers, explique l’abbé Giovanni. Chaque aumônier a suivi notamment une formation CPT (Clinical Pastoral Training).
« Devant les crises de la vie, la foi et les lieux de ressourcement bougent. L’accompagnement est un partage qui doit permettre à l’autre de puiser dans ses lieux de ressourcement afin de re-construire son chemin de vie dans l’épreuve », souligne Cathy Espy-Ruf, également animatrice de cours d’accompagnement spirituel pour les soignants. Selon les lieux de soins, la présence des aumôniers s’inscrit dans une durée plus ou moins longue. « Les personnes apprécient la fidélité dans l’accompagnement qui permet de tisser des liens de confiance, d’avancer ensemble, de témoigner d’une présence », explique Cathy Espy-Ruf. Et de conclure: « Dans nos sociétés le spirituel s’impose et, parfois, éloigne la notion de religion. Nous ne faisons pas de prosélytisme, mais notre fondement est dans le Christ et la demande de gestes d’Eglise, de prières et de célébrations religieuses demeure.»
1 Loi sur la santé du 7 avril 2006 qui prévoit que ‘le patient a droit, en tout temps, aux visites de l’aumônier de l’institution de santé ainsi qu’à celle de son conseiller spirituel extérieur’.
2 Cluse-Roseraie, Hôpital de Loëx, Clinique de Joli-Mont, Beau-Séjour, Trois-Chêne, Bellerive.