Qu’est-ce qu’un journal spirituel ? Comment l’écrire et pourquoi le rédiger ? Sophie Parlatano a animé un atelier d’écriture et de partage dans le cadre des propositions du Service de la spiritualité de l’Eglise catholique romaine à Genève. Elle nous livre ici ses impressions.
Entre fin janvier et mars 2024 s’est déroulé l’atelier d’écriture et de partage en ligne animé par mes soins, intitulé « le journal spirituel ». Six à huit personnes y ont pris part. Des extraits de journaux tenus par Etty Hillesum, Marie-Noël, Philippe Jaccottet et Georges Haldas leur ont été distribués comme des impulsions et des encouragements pour leur propre écriture. Avant de cheminer chacune et chacun dans notre processus créatif, nous nous sommes assez longuement interrogés ensemble sur ce que peut-être un journal spirituel, veillant à ne pas exclure la dimension psychologique, mais plutôt à l’intégrer et à aller guigner « au-delà » de ses frontières.
Tenir un journal spirituel, c’est finalement « transcrire la saveur subtile du vécu », a énoncé Paul1 Mais dans quelle langue ? s’est demandée Maria, polyglotte. « Que dire à celui qui est ? », a inscrit plus tard Sylvie dans son journal.
Une fois les doutes et interrogations exprimés, nous avons cheminé chacune et chacun de notre côté et nous sommes réunis à trois reprises pour des moments de lecture et de partage de nos écrits.
Si la difficulté de faire face à la page blanche avait pu faire surface, celle d’oser lire ses mots à voix haute fut encore plus vive. La crainte d’écrire en « je », est un obstacle parfois « insurmontable », s’est confiée une participante. Cela nécessite en effet un certain courage : celui de dévoiler une part intime de sa relation à Dieu et…à sa propre écriture. Certains participants ont choisi d’y renoncer, préférant passer leur tour de lecture.
Quant à l’écriture, le défi principal a été de sortir du carcan d’un exposé ou d’un essai et d’aborder les mots et la forme de manière libre, afin d’exprimer une expérience personnelle. L’exercice a été estimé difficile, a fortiori pour qui est – comme l’un des participants- issu du monde rigoureux des sciences.
Malgré tout et au fur et à mesure des séances de partage, riches en encouragements, ce qui s’est exprimé sur le papier s’est révélé profond et touchant.
Il y eut par exemple la poésie brève et fulgurante d’Anne, dans laquelle les rayons de la lune pleuvent et font jaillir une fontaine de lumière. Toujours dans le registre poétique, un coucher de soleil contemplé est entré en résonance avec « l’accouchée », transfigurant ainsi un chemin personnel de deuil.
Pour évoquer sa relation à Dieu, Maria a écrit la mer, son onde bienfaisante dans laquelle elle se sent « au-dedans de Dieu, plongée dans un immense amour ».
Enfin, le journal spirituel était apte à dire « les saisons de la vie intérieure », a écrit François, se qualifiant lui-même de « chercheur de Dieu » :
Dans ma traversée du désert
La Foi dans le Dieu vivant manque d’eau
Sous le soleil accablant miroite dans l’horizon une oasis
Hélas au bout de la marche je découvre un mirage
Toute confession qui n’embrasse pas le tragique
M’est jusqu’à la moelle étrangère
(…)
Pour Paul, l’atelier fut propice à la révélation de sa spiritualité vibrante
« Longtemps je me suis égaré ! Soif de connaissance, gourmandise spirituelle….. Il est temps de passer de la tête au cœur. Qu’il est long ce chemin, jamais abouti. Qui donc est Dieu alors ? (…)
Il y a en moi une telle soif, inextinguible, du corps de l’âme et de l’esprit. J’aurais besoin… de rencontrer un regard où pétillent les étoiles, besoin d’une épaule accueillante, d’une main délicate caressant mes cheveux. Seigneur, si je t’ai donné ce qui était le plus précieux à mes yeux, dans ta bonté ne prends pas tout. N’as-tu pas rendu à Abraham son fils Isaac ??
Me voilà en exil d’une tranche de vie éphémère
agapé plutôt qu’eros,
-pour quelles agapes, pour quel héros? »
Pour Sylvie, le carême est devenu le « car-il-aime », entrant même en lien phonétique avec le carrousel : à l’image celui de son cœur chamboulé d’enseignante émue de découvrir le visage souriant d’un nouvel élève malentendant :
« Me voici, Seigneur, parle, ton serviteur écoute.
Tu ne dis rien, Seigneur ?
Tiens, un nouvel élève : il est sourd. Il ne dit tien, lui non plus… Mais si ! Il écoute, il observe, il est tout ouïe, il est tout corps… ah… lorsque la Parole prend corps… c’est vivant, c’est Lumière !
Et moi, Seigneur ? Ben…moi, je suis témoin. Je ne suis pas la Lumière… elle m’est donnée, prêtée, donnée en gage d’amour.
Un regard d’éclaireur, un regard de car-aime. (…) »
Dans les différents journaux spirituels ébauchés, Dieu s’est laissé goûter dans l’Evangile de Marc, dans l’ondoiement du chat, dans l’onctuosité de la marmelade du matin, dans le coucher du soleil, dans l’onde maritime et « l’ange gardien ». Car dans l’âme humaine comme dans l’écriture du journal, impossible de séparer le corps physique, le sentiment psychologique et l’aspiration spirituelle : tout se chevauche et dialogue. Et c’est cela aussi, qui donne de la vie, du relief et de la profondeur aux témoignages et aux partages.
Sophie Parlatano, juin 2024
1Prénoms d’emprunt, ainsi que tous les autres figurant dans ce compte-rendu.
Image atelier d’écriture -©DR