L’église St-Jean XXIII était pleine dimanche 17 mars pour la célébration œcuménique du Dies Judaicus (Jour du judaïsme) : environ 300 personnes ont pris part à la messe chantée en hébreu et marquée par une participation juive, orthodoxe et protestante.
Fixée au 2e dimanche de Carême, cette journée a été instaurée par les évêques suisses en 2011 pour encourager les chrétiens à approfondir la dimension du judaïsme au cœur de leur foi et les juifs à témoigner du message qu’ils ont transmis aux membres de leur communauté et aux chrétiens. « Pour les trois traditions catholique, orthodoxe et protestante, il est vital de reconnaître ce qui nous relie et l’héritage hébraïque commun », a affirmé l’abbé Alain-René Arbez, de la Commission suisse judéo-catholique.
L’évangile du 2e dimanche de Carême mettait en lumière Jésus transfiguré sur la montagne sous le regard de Pierre, Jacques et Jean. Dans son homélie, l’abbé Arbez a souligné comment « cet évangile exprime la foi d’une assemblée de juifs du 1er siècle, pas encore appelés Eglise, ils sont les prédécesseurs de ceux qui beaucoup plus tard seront appelés christianoï, ‘les chrétiens’ ».
« Le Jésus dont il est question ici est un rabbi de spiritualité pharisienne, qui enseigne dans une époque troublée, et c’est pourquoi ses disciples vivent dans l’attente des temps nouveaux – annoncés comme messianiques », a commenté le curé genevois. Et c’est précisément sur ce chemin de questionnement qu’a lieu ce que l’évangile appelle la « Transfiguration » de Jésus : une lumière intérieure vient éclairer leurs interrogations. « Ce ne sont donc pas les yeux de la chair, mais les yeux de la foi qui comptent ici. Non pas les apparences, mais la vérité intérieure mise en lumière. Voici donc Jésus, avec Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne, cet espace où la terre et le ciel se rejoignent pour donner à la vie humaine une espérance qui surpasse les épreuves présentes. Comme lors de l’Exode au désert, la nuée indique la présence divine – la shekhina –que les talmidim de Jésus, les disciples, ont perçue dans cet événement révélateur »
« Nous avons entendu un passage de la Genèse avec Abraham à qui Dieu adresse les promesses de la terre pour sa descendance, une promesse irrévocable, que les invasions futures ne sauraient abolir, a poursuivi le prédicateur. Avec Moïse, la torah correspond à ce pacte de confiance avec tout un peuple (…) Cette adhésion – cet amen – à la Présence de Dieu et à son message n’est pas une simple déclaration d’intention. La foi dans la tradition biblique, c’est d’abord une pratique ! « naassé ve nishma ! » nous ferons, puis nous comprendrons…Les actes incarnent la confiance envers Dieu car les 10 paroles ont été transmises pour guider les hommes vers un monde juste! «
« C’est bien pourquoi, cette charte fondatrice, Jésus a toujours précisé qu’il ne voulait surtout pas l’abroger ! De ce fait, elle reste d’actualité pour tous ceux qui – chacun selon sa tradition – se reconnaissent attachés à l’alliance : les juifs et les chrétiens ». (…).
« Ce passage de la Transfiguration illustre la démarche du dies judaïcus. Car avec Moïse et Elie entourant Jésus de leur aura, il nous est clairement indiqué qu’on ne peut en aucun cas isoler et déjudaïser la personne de Jésus. Car on ne peut déraciner Jésus du terrain hébraïque, comme cela a été fait, hélas, durant tant de siècles, avec les terribles conséquences que l’on sait.
En réponse à l’initiative suisse de Seelisberg en 1947, le concile Vatican II a donc officiellement rejeté tout antijudaïsme, il a condamné la prétentieuse approche selon laquelle l’Eglise remplacerait Israël, il a dénoncé l’accusation mortifère de déicide qui a été définitivement rejetée. Depuis 1965, à la suite de Jean XXIII, les papes Jean Paul II, Benoît XVI et maintenant François, poursuivent avec détermination cette œuvre d’assainissement et de refondation des relations entre chrétiens et juifs.
Fin 2015, un document du St Siège a proposé d’avancer davantage ensemble : « les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables ». Si les chrétiens depuis un siècle redécouvrent l’originalité du Christ et sa judéité, des juifs manifestent également de leur côté leur désir de reconsidérer leur relation aux chrétiens et à leurs Eglises, compte tenu des changements intervenus depuis la fin de la 2nde guerre mondiale. Prenons deux événements significatifs : le premier est la déclaration Dabru Emet (réalisons la vérité) publiée en 2002 dans laquelle 200 rabbins et théologiens juifs ont exprimé une reconnaissance positive du christianisme.
Un deuxième événement – a rappelé l’abbé Arbez – est la déclaration d’une centaine de rabbins juifs orthodoxes, intitulée : « Faire la volonté de notre Père céleste : vers un partenariat entre juifs et chrétiens ».Je cite leur texte : « Nous rabbins orthodoxes acceptons la main qui nous est tendue par nos frères et sœurs chrétiens. Nous devons travailler ensemble pour relever les défis moraux de notre époque. Nous reconnaissons que depuis le Concile Vatican II, les enseignements officiels de l’Eglise catholique sur le judaïsme ont changé fondamentalement ». Nous pouvons ainsi les uns et les autres constater le changement qui s’est instauré depuis six décennies. Mais il faut rester vigilants, car l’antisémitisme reprend ici et là de manière provocatrice ces derniers temps. Le « groupe de dialogue chrétiens et juifs de Genève », très œcuménique, offre chaque mois des moments de ressourcement mutuel (…) Le Dies Judaicus est un temps de rencontre et de prière commune porteur de sens : continuons de nous laisser inspirer à partir de nos traditions respectives, et dans nos partages de convictions, n’hésitons jamais à ouvrir, dans un climat fraternel, des chemins d’espérance utiles à tous. Amen
«