Lorsqu’on entre à l’église St Paul, située avenue de St Paul à Grange-Canal/Cologny, on monte d’abord quelques marches puis on passe sous le tympan de la porte principale. Cette porte d’entrée est surmontée d’un motif quelque peu étrange mais assez classique dans l’art chrétien : un Christ siégeant sur un trône céleste entouré de quatre personnages. Ce Christ lève la main chaleureusement, en signe d’accueil et de bénédiction, comme pour inviter sereinement le pèlerin qui passe à méditer sur sa destinée en ce monde et en l’autre.
Les quatre personnages sont : en haut, à gauche, un homme ailé ; à droite un aigle ; en bas, à gauche, un lion ; à droite, un taureau. Ces personnages mystérieux entourant le Christ, tous ailés et tenant l’Ecriture Sainte, sont appelés « tétramorphe » (4 formes). Ils sont censés représenter les quatre évangélistes, mais ils sont également chargés symboliquement de toute une spiritualité.
Cette attribution de quatre personnages figuratifs aux quatre évangélistes de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ s’inspire à la fois du prophète Ezekiel dans le premier Testament et de Saint Jean dans son Apocalypse elle-même inspirée du même style littéraire.
En Ez. 1.5, on a ainsi le récit de la vision de la Shekhinah, la gloire de Dieu, se déplaçant sur son char céleste avec ses quatre vivants, et en Ap 4.6, celui de la vision de quatre êtres fantastiques autour du trône divin.
C’est le grand Irénée de Lyon qui est le premier à associer ces figures bibliques avec chacun des évangélistes, lorsqu’il écrit son célèbre traité « Contre les hérésies » en 180.
Au livre III, 11.8 de son traité, Irénée argumente avec conviction le sens du tétramorphe. Sa description inspirée de l’Ecriture, diffère toutefois sensiblement du symbolisme qui va se mettre en place par la suite, surtout par l’intermédiaire de St Jérôme (4ème siècle) et que l’on va dès lors retrouver traditionnellement dans les représentations telles que mosaïques, enluminures, sculptures et motifs de chapiteaux ou de tympans d’entrée.
Jérôme, qui était un travailleur infatigable de la Bible, avait tenu à aller en terre Sainte, pour établir sur des bases hébraïques authentiques, et au contact des rabbins, sa traduction de la Vulgate. Il va quant à lui fixer le symbolisme des quatre évangiles de la manière suivante :
Ce symbolisme des quatre évangiles figuré par des personnages en lien avec l’Ecriture Sainte est riche de sens. Il est vrai que le chiffre quatre est en lui-même porteur de significations multiples si l’on se place dans l’optique de la Révélation. Tout d’abord, la quatrième lettre de l’alphabet hébreu, le dalet, évoque le tétragramme, le nom imprononçable de Dieu, le Saint transcendant. Dans le livre de la Genèse, il y a quatre bras au fleuve qui arrose le jardin d’Eden, comme les quatre points cardinaux de l’univers, ce qui souligne l’universalité du message de bénédiction.
Les premiers chrétiens ont établi un rapprochement entre les quatre bras du fleuve paradisiaque et quatre éminents pères de l’Eglise : Augustin, Ambroise, Jérôme, Grégoire. De même qu’ils avaient perçu les quatre évangélistes comme les prolongements des quatre grands prophètes de la Bible : Isaïe, Jérémie, Ezekiel, Daniel.
Autour de l’an mil, et au milieu des grandes interrogations qui étreignaient les consciences de l’époque, des religieux ont partagé, au pied des quatre bras de la croix, leurs méditations sur le mystère du temps et de l’éternité. Ainsi, le moine de Cluny Raoul Glaber nous parle des quatre personnages du tétramorphe qui lui évoquent les quatre vertus cardinales, si nécessaires dans la vie quotidienne (justice, force, tempérance, prudence) en lien avec le concret de la vie dans les quatre éléments (terre, air, eau, feu) et les quatre sens (toucher, odorat, goût, vue/ouïe). Toutes ces réalités étant appelées à incarner l’Esprit qui nous a été transmis en vue d’accomplir notre existence humaine.
Lorsque nous pénétrons dans l’église St Paul, et que nous passons sous le linteau du portail, accueillis par le Christ de bénédiction, n’oublions pas que c’est en fait un parcours biblique qui s’offre à nous à travers les quatre « vivants » de la vision d’Ezekiel, devenus les quatre porteurs de bonne nouvelle évangélique.
Ces quatre vivants, issus du char de feu divin de la Bible, nous invitent à nous laisser transporter, par la prière et la méditation, dans cette dimension spirituelle d’alliance, c’est-à-dire d’union à Dieu, réalité qui nous est aussi nécessaire que l’oxygène que nous respirons pour vivre, et donc bénéfique pour accomplir notre destinée.
Abbé Alain René Arbez