L’eucharistie est la célébration du sacrifice du corps et du sang de Jésus Christ. C’est aujourd’hui la Fête-Dieu ou fête du Saint-Sacrement, parfois appelée fête du Corpus (ou Corpus Christ). Elle célèbre en effet la présence réelle du Christ dans l’hostie et le vin consacrés lors de la communion eucharistique. À cette occasion, nous vous proposons un voyage dans les siècles sur la pratique de la communion eucharistique au fil du temps.
Le Nouveau Testament nous dit que les disciples de Jésus, après sa mort et sa résurrection, étaient « fidèles à la fraction du pain ». Avec le chant des psaumes et la lecture des Saintes Écritures, ils pratiquaient avec ferveur ce mémorial de la présence que Jésus avait confié aux apôtres le soir du jeudi saint : « vous ferez cela en mémoire de moi ! ».
Mais dès le 4e siècle, alors même que cessaient les persécutions à Rome grâce à Constantin, la pratique de la communion déclinait fortement. Et cela perdura durant des siècles.
Le Moyen Âge fut une période marquée par la fragilité de la vie humaine, par les épidémies, les guerres. Pourtant, la foi ardente des communautés chrétiennes permit d’édifier partout en Europe des cathédrales majestueuses, symbole d’un catholicisme générateur de civilisation artistique et spirituelle. Mais au cours de ces remarquables liturgies au sein de sanctuaires incitant au recueillement, l’approche de la sainte communion s’était faite rare. Peut-être en raison d’un sentiment de grande humilité face au mystère de la transcendance.
Mais face à ce manque d’approche du peuple à la sainte table au cours de la messe, l’Église voulut renforcer le sens de la présence réelle du Christ dans son eucharistie. L’élévation de l’hostie après la consécration prit alors de l’importance (vers 1200) et à défaut de communier physiquement, le peuple assemblé pouvait contempler la présence du Ressuscité en s’unissant par la pensée au rappel de son sacrifice rédempteur. C’est à ce moment qu’apparaissent les ostensoirs qui recèlent une hostie consacrée destinée à être vénérée par le public. Les formes varient successivement : d’abord une demi-lune, puis une tourelle gothique, et enfin après le début du baroque, un soleil avec ses rayons. Dès lors, la sainte réserve, initialement prévue pour porter la communion aux malades et aux personnes en fin de vie, est mise en valeur dans un tabernacle sur le maître autel, souvent entouré par des retables.
Le sens du repas apostolique réitéré à chaque consécration s’atténue ainsi par l’expression d’une piété qui affaiblit la fonction de la Parole de Dieu. La mouvance janséniste minimisera encore la communion par une spiritualité de l’indignité personnelle. Ce mouvement historique montre un affaiblissement durable de la pratique de la sainte communion, souvent restreinte aux religieux et religieuses.
Paradoxalement, à la veille de la Réforme protestante, d’innombrables messes étaient célébrées quotidiennement, il y avait plusieurs autels et plusieurs célébrants dans les cathédrales afin de prier aux intentions particulières des familles (malades, défunts, actions de grâce). Et pourtant, les fidèles qui se présentaient pour communier étaient rarissimes ! Seuls les monastères de stricte observance donnaient la communion aux religieux deux ou trois fois par an… Souvent régnait la crainte révérencielle de communier sans en être digne, ce qui n’empêchait pas une forme de ferveur dans la piété eucharistique se résumant à la contemplation de l’hostie élevée par le prêtre et susceptible d’obtenir des grâces.
Il faut attendre le début du 20e siècle pour que l’eucharistie retrouve son sens à travers la communion de l’assemblée réunie pour célébrer le Christ vivant. En 1905, le pape Pie X édicte le décret « Sacra tridentina synodus » pour permettre un tournant après ces longues périodes d’affaiblissement eucharistique. La désaffection qui avait commencé du temps de St Ambroise de Milan (4e s.) et s’était amplifiée au Moyen Âge malgré l’intensité de la piété populaire, avait trouvé son marqueur explicite lorsque le 4e concile du Latran (1215) déclarait sous forme de commandement a minima : « Dieu ton Sauveur au moins une fois à Pâques tu recevras ! »
L’initiative du pape Pie X portait le souci d’un retour à la pratique de la communion. Cette orientation s’annonçait déjà en 1881 à Lille avec le premier « congrès eucharistique » animé par les jésuites et les franciscains. À partir de là se lancèrent des « ligues du Sacré Cœur » recommandant aux chrétiens de communier plus souvent. En 1953, les règles du jeûne eucharistique s’assouplirent pour faciliter l’accès à la sainte table.
Le concile Vatican II a voulu aller plus loin que la sollicitation du pape Pie X qui était encore dans une optique de piété individuelle. Il s’agissait en cette moitié du 20e s. de faire redécouvrir le sens de la communion en Église. Les déclarations liturgiques voulurent intégrer la communion dans la dynamique même de la célébration par l’assemblée.
Le P. De Lubac disait : « L’eucharistie fait l’Église, et l’Église fait l’eucharistie ». On reçoit le corps du Christ pour édifier son corps ecclésial, c’est donc davantage qu’un acte de piété individuelle. À partir de Vatican II, d’innombrables initiatives pastorales se manifestèrent, avec des résultats contrastés, pour redonner sa place à la communion au cours de la messe. La catéchèse des enfants se renouvela par une pédagogie adaptée.
Le risque actuel, avec un environnement sécularisé et désacralisé, serait de laisser se banaliser le geste de la communion, prenant parfois l’allure d’un rite social parmi d’autres en certaines circonstances. On peut se poser des questions, par exemple lors d’un mariage ou d’un enterrement, quand tout au long de la messe les personnes présentes restent muettes sans aucune participation au rituel eucharistique, ignorant même les paroles du Notre Père, mais qui affluent au moment de la communion…
De même, certains fidèles arrivant en retard, après la lecture des textes du jour (et même après l’homélie qui les actualise) s’approchent de la communion, alors que recevoir le corps du Christ est d’abord une adhésion personnelle et communautaire à la Parole de Dieu. C’est aussi un acquis du concile que d’avoir restauré le lien vital entre Parole de Dieu et Pain eucharistique partagé.
Mais le fait est que si la pratique des sacrements tend à décliner numériquement, il s’avère que les groupes de fidèles, devenus plus restreints mais mieux formés et motivés, apportent un souffle nouveau à la vie de l’Église.
Notre société souffre de nombreux problèmes, de plus en plus de personnes sont en quête de spiritualité. L’évangélisation est une présence à ceux et celles qui cherchent leur voie.
L’avenir s’ouvre vers la célébration de la messe dans une forme vivante, accueillante et non ritualiste par l’assemblée, tout en respectant les apports significatifs de la tradition, mais toujours en lien avec une présence locale dans le quartier, à l’écoute de tous. L’eucharistie est au cœur de la vie de l’Église, et de sa mission.
Abbé Alain René Arbez