En cette période de pandémie, Noël, fête familiale par excellence, est peut être l’occasion d’approfondir l’expérience d’Église domestique. Mais comment « faire église » dans le contexte de crise sanitaire ? Nous en avons parlé avec le Frère Jean-Marie Crespin, curé de la paroisse St-François de Sales, à Genève.
Fr. Jean-Marie Crespin (JMC): La situation qui se présente aujourd’hui est semblable à celle des premières communautés chrétiennes, mais pour des raisons différentes, pour les unes le martyr, pour les autres le COVID. La première construction de l’Église, après les temps apostoliques, se faisait à la maison. Le terme grec oikos, lieu de rassemblement des premiers chrétiens, se définit par le sens de maisonnée, de petits groupes. Nous pouvons lire dans les Actes 2, 42 (Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain, et dans les prières) la manière dont les chrétiens vivaient ces rencontres. Il faudra plusieurs siècles pour que l’Église devienne un grand rassemblement tel que nous le voyons dans les grandes églises qui sont les nôtres. Avec le temps, nous sommes passés d’une proximité les uns avec les autres à un rapport de grand groupe au sein duquel chaque personne n’est pas identifiable et où les relations deviennent compliquées, voire impossibles. C’est le défi que nous avons à relever. Tout ce qui est dans nos églises – messes, rencontres, sacrements – doit se vivre chez nous, dans nos maisons. C’est ce qu’on appelle Église domestique.
La constitution Lumen Gentium souligne ce fait, quand le pape Jean Paul II parle de la famille, il parle d’Église domestique. Cette période de l’année peut être l’occasion de découvrir cette notion fondamentale de l’Église. En disant cela, je décris un idéal, j’ai conscience que pour chacun d’entre nous c’est une période inconfortable, mais je crois que la vie est plus forte que la peur et que la mort. Telle est la foi que nous professons au quotidien. Cette attitude réclame d’être proactifs, afin que chacun d’entre nous puisse trouver ou retrouver le chemin de l’Espérance. Nous devons reconnaître que cette situation n’est pas normale. Ce que nous mettons en place ne doit pas supprimer à terme nos relations sociales et ecclésiales. Espérons que prochainement nous pourrons revivre les liens fraternels qui nous unissent. Mais attention, je ne pense pas qu’il faille revenir en arrière, comme si rien ne s’était passé. Si notre famille est un lieu où la prière, la lecture de l’Évangile sont devenues des pratiques, conservons précieusement cela.
JMC: Se préparer à accueillir l’Enfant Dieu nécessite particulièrement aujourd’hui, de redéfinir le sens que nous donnons à Noël. Si les fêtes, les banquets, les cadeaux prendront peut-être moins de place cette année, si nous entrons dans un Noël qui n’est pas normal, c’est peut-être une occasion de redécouvrir l’essentiel. Alors, comment définir Noël ? Je vous laisse avec cette question, cherchons en nous-mêmes pour trouver les réponses. De mon côté, quand je me pose cette question, je suis d’abord en admiration. Dieu, créateur de toute chose, se fait petit enfant. Dieu, que l’univers ne peut contenir, se remet entre nos mains à travers la tendresse et la délicatesse d’un nourrisson. Chacun de nous a fait l’expérience de prendre dans ses bras un nouveau-né. En repensant à cette expérience, qu’avons-nous ressenti ? Quelles ont été nos paroles ? C’est cela le sens de Noël. Quelque chose de simple, de tendre, de profondément humain. Ensuite, l’accueil de cet enfant nous met en connexion les uns avec les autres, à l’image des bergers qui vont se réjouir. De même, nous pourrions nous réjouir pour cette raison et la partager avec d’autres. Il y a un lien indissociable entre tendresse et partage le jour de Noël.
JMC: Effectivement je pense que cela va être un Noël de deuxième classe, si je prends le prisme de notre société de consommation. Peut-être que le repas sera moins abondant, les convives moins nombreux, les cadeaux moins importants. Mais est-ce cela Noël ? Je ne suis pas sûr. Pour moi, un Noël de première classe correspond à la sobriété, à l’attention aux autres, au partage de l’amour reçu et j’invite chacun d’entre vous à compléter dans cette logique ce que je viens d’énoncer.
JMC: Comme chez Mc Donald, “Venez comme vous êtes” ! Pour Noël, c’est la même chose. Approchons ces célébrations telles que nous sommes et non pas tels que nous aimerions être. À Noël, Dieu souhaite rencontrer notre humanité. Nous avons tous des personnalités ou des tempéraments différents, des sentiments différents. Nous avons la maturité de notre expérience, de notre vie c’est avec cela que nous sommes invités à venir. Certains d’entre nous ont une prédisposition à l’intériorité. Quelle bénédiction d’accueillir le Christ au-dedans de nous. D’autres ont des dispositions à l’extériorité. Dans ce cas, prenons le temps de regarder, d’entendre ce qui se passe autour de la crèche. La vie chrétienne a un double sens : intériorité et extériorité. Chacun d’entre nous a à découvrir comment se nourrit sa foi. Personnellement, je pense à des moments privilégiés que j’ai vécus dans un monastère et dans le silence ou en Provence, visitant les crèches, en étant admiratif devant ce que je voyais. Je pense que chacun d’entre nous a l’énergie de voir la responsabilité de faire de ce Noël un moment privilégié.
Paru dans le Courrier pastoral de décembre 2020
Photographe / Copyright Philippe Lissac / GODONG