« J’ai quitté ma paroisse, car je ne comprenais plus rien du tout ! ». « Les gens ne savent pas comment s’adresser à nous et ne connaissent pas nos besoins », Janine et Wally ont deux points communs : elles sont malvoyantes et/ou malentendantes et elles sont très investies dans leur paroisse. Elles décrivent, sans rancune, les obstacles que leur handicap pose à une pleine participation à la vie de l’Église.
Nicolas Baertschi, animateur pastoral de l’Église catholique romaine à Genève, a dédié son travail diplôme au terme de la FAP (Formation d’animateurs pastoraux) à « L’inclusion et la participation des personnes avec handicap visuel et/ou auditif dans les communautés chrétiennes ». Engagé à 80 % dans l’Unité pastorale Carouge-Salève-Acacias, il est mandaté à 20 % pour favoriser la participation des personnes malvoyantes et/ou malentendantes dans la vie de l’Église. Dans cet entretien il présente les enjeux de sa démarche.
Nicolas Baertschi : Le projet souhaite sensibiliser les communautés des Unités pastorales à la présence de personnes handicapées en leur sein et notamment les personnes malvoyantes et/ou malentendantes (PMM). Mon désir est de créer des possibilités de dialogue entre les PMM et les personnes de la communauté, en particulier les responsables. Cette démarche a pour objectif d’introduire les communautés paroissiales au vécu et aux conséquences que provoquent ces handicaps « invisibles », notamment dans la vie quotidienne et dans les relations sociales. Puisqu’il est souvent invisible, ce handicap est mal connu. Et il m’a paru utile de rencontrer chaque équipe pastorale du canton de Genève, afin de les sensibiliser à cette problématique. Je désire donner une impulsion pour que les responsables des communautés, avec l’aide des personnes concernées, rendent les activités dans leurs églises accessibles aux PMM.
En travaillant à l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles (UCBA) avec des personnes malvoyantes et malentendantes, j’ai rencontré une paroissienne de Genève. Elle avait entrepris des démarches auprès de son curé en exprimant ses besoins et en essayant de lui faire comprendre son handicap visuel et auditif. Comme ergothérapeute, je suis allé faire une évaluation de l’accessibilité de l’église et de la situation. Le refus du curé de mettre en place nos propositions m’a interpellé et donné envie de sensibiliser plus largement les responsables de nos paroisses.
Les PMM rencontrent des difficultés à s’intégrer dans les communautés paroissiales. Elles ont de la peine à suivre les célébrations, à participer aux réunions, aux activités, à obtenir des informations et à faire entendre leurs besoins aux responsables des communautés. Méconnu, le problème n’est pourtant pas négligeable. Au sein des communautés paroissiales de Genève la proportion de personnes âgées est en effet importante et selon l’Office fédéral de la statistique 11 % des personnes de plus de 65 ans ont un déficit visuel et 13 % un déficit auditif. Cela signifie qu’une partie non négligeable des paroissiens âgés souffre d’un handicap visuel et/ou auditif.
Cela dépend. Les responsables d’Unité pastorale ont une réceptivité variable à ce projet, et il est vrai qu’ils ont beaucoup à faire sur le terrain. J’ai vécu de très beaux accueils et vu des personnes vivement intéressées par ce projet. Il y a aussi des personnes accueillantes mais qui ne donnent pas ou peu suite après une première visite. Il y a par ailleurs des personnes qui ne sont pas intéressées par ce projet, ni à me recevoir. Ma démarche commence toujours par une prise de contact avec le curé modérateur de l’unité pastorale. Puis dans un deuxième temps, si cela est possible, je rencontre l’équipe pastorale pour proposer : le film « Malvoyant et/ou malentendant en paroisse », un apport théorico-pratique et enfin une réflexion sur la possible mise en place d’actions en faveur des PMM dans leur communauté.
Je propose toujours une rencontre entre les responsables et les PMM de leur communauté. Cela permet de connaître les besoins de tous. En effet, les besoins sur le terrain varient en fonction des personnes concernées et de l’environnement paroissial. Par exemple, une communauté n’aura pas les moyens de financer une boucle magnétique ou un éclairage. Une autre aura besoin de créer du lien avec les PMM de la communauté. Une troisième voudra expérimenter une sensibilisation aux conséquences du handicap des PMM. Une quatrième prendra conscience qu’il serait bon de former les intervenants des célébrations à l’utilisation du matériel technique ainsi qu’à l’élocution, etc.
Dans un deuxième temps, en fonction des besoins et des demandes, je peux évaluer l’accessibilité des lieux de cultes, proposer des aménagements environnementaux et techniques (éclairage, sonorisation), permettre une réflexion sur l’accessibilité des informations paroissiales (communication adaptée, documents accessibles, etc.). Des sensibilisations et/ou des cours peuvent être organisés pour toutes les personnes qui ont un lien avec les PMM. Ces sensibilisations consistent à se mettre à la place des PMM en simulant leur handicap et en réalisant des activités.
Il y a aussi des principes à respecter pour permettre aux PMM de participer. Par exemple, pouvoir lire sur les lèvres nécessite que les visages et les lèvres des orateurs soient toujours visibles et éclairés. Mais cela ne suffit pas, il est aussi souhaitable que les orateurs parlent lentement et distinctement.
L’obstacle principal reste le manque d’intérêt et/ou le manque de temps des responsables et de leur communauté à entrer dans un tel projet. Un autre obstacle se trouve au niveau des PMM. Il ne leur est pas toujours facile d’assumer leur handicap. Certains préfèrent le cacher pour ne pas être considérés comme une personne handicapée.
Cela dépend de la capacité de chaque PMM à s’engager et à s’exposer au regard des autres. Toutefois, la collaboration avec les PMM rencontrées dans les communautés a une place centrale dans le projet. Mon approche souhaite mettre les personnes handicapées au centre afin d’élaborer des propositions ajustées à la réalité des personnes concernées. Un des objectifs du projet est donc de créer un dialogue entre les PMM de la communauté et les membres de l’équipe pastorale, afin d’inclure les PMM dans les réflexions et les prises de décisions de l’équipe pastorale lorsque cela concerne leur handicap et nécessite leurs compétences.
Je crois que les personnes handicapées ont le potentiel de faire vivre à leur communauté une rencontre avec le Christ. Elles offrent aussi la possibilité de le servir. En effet, les personnes en situation de handicap sont capables de transformer le coeur et le regard des autres grâce à leur vulnérabilité. C’est pourquoi je souhaite que la réalisation de ce projet soit une source d’épanouissement et de transformation intérieure proposée à toutes les personnes de nos communautés, et plus largement, à toute l’Église. Propos recueillis par Sba
Entretien paru dans le Courrier pastoral n° 2, février 2022
Pour en savoir plus, vous pouvez regarder la vidéo de présentation réalisée par Nicolas Baertschi
Photo en « Une » – handicap Église inclusion Karl Fredrickson on Unsplash