L’abbé Philippe Matthey, curé modérateur de l’unité pastorale Rives de l’Aire, nous propose l’homélie de ce 26 avril 2020, 3ème Dimanche de Pâques
Lectures du 3ème Dimanche de Pâques — Année A
« Reste avec nous ! »
C’est pour moi la déclaration la plus belle et la plus importante prononcée par des humains dans la Parole de Dieu. En ce soir du premier jour de la semaine, elle exprime le désir de ceux qui ont déjà goûté à la présence de l’être aimé, d’envisager un avenir durable avec lui. Décontenancés par la tournure des évènements qui ont conduit Jésus à la croix, ils tournent le dos à Jérusalem pour aller faire leur deuil. Et voilà que Jésus fait irruption dans leur vie sans qu’ils ne le reconnaissent. La reconnaissance de la présence de Dieu vivant n’est pas de l’ordre de la constatation mais plutôt d’une redécouverte d’un amour qui, lui, n’est pas mort. Et ils ont perçu dans la compassion de cet homme ce qui inspire leur demande.
Pourtant ils n’ont pas encore reconnu le ressuscité en cet étranger qui chemine à leurs côtés avec tant d’attention. Étrange en effet ce personnage qui les rejoint pour qu’ils puissent exprimer leur tristesse. D’abord il joue à l’ignorant et se fait raconter les évènements de Pâques, puis il fait semblant et se fait désirer. Quelle belle pédagogie ! On est bien loin d’un Dieu qui s’impose de façon spectaculaire. Jésus va chercher en ses deux compagnons la capacité de se souvenir et donc de réaliser leur attente. Elle est déjà l’expression de la foi puisqu’elle révèle que le temps vécu avec lui suscite le désir de le prolonger.
Le chemin d’Emmaüs conduit ces deux disciples anonymes – même si l’un d’eux est nommé – à passer du soir au matin, de la nuit de leur tristesse à la lumière de leur joie. Voilà bien le signe que le chemin de Pâques n’est pas réservé au seul Jésus ni à quelques privilégiés parmi ses familiers, mais bien à chacune et chacun de nous. Saint Paul dira dans plusieurs de ses lettres que « morts avec le Christ, nous sommes ressuscités avec lui ! »
C’est la Parole de Dieu qui a fait son chemin en eux : leur cœur était brûlant à son écoute ; elle était donc mûre pour donner son fruit. Et ce fruit c’est celui de l’hospitalité, exprimé par leur invitation à rester avec eux. C’est par un véritable effort qu’ils cherchent à retenir cet étranger, l’entraînant ainsi à demeurer chez eux.
Ils réalisent ainsi la parole de Dieu : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli ! » – Matthieu 25,35. Sans en avoir vraiment conscience ces deux disciples mettent en pratique une parole qui est en eux depuis longtemps et qui inspire leur conduite. Ils se font ainsi frères de Jésus puisqu’ils « font cela à un petit qui est son frère ». Car en demeurant étranger pour eux Jésus s’est fait petit et demandeur de leur attention.
Ce n’est pas donc tant en écoutant les commandements qu’en les pratiquant que les disciples ont vraiment vu Jésus ressuscité et qu’ils ont cru en lui.
Dans un commentaire de l’évangile de ce jour, Saint Grégoire met en lumière que ce qui conduit les deux compagnons sur la route d’Emmaüs c’est la qualité de l’accueil qu’ils réservent à celui que, pourtant, ils considèrent comme un étranger. Et Saint Grégoire d’inviter ses frères à mesurer la puissance de l’hospitalité qui prépare la table de la reconnaissance.
C’est par les actes répétés du don de sa vie dans le pain et le vin que Jésus est reconnu vivant. De même c’est par les actes de leur hospitalité que les compagnons sont reconnus comme disciples. Honorer ainsi l’étranger conduit à rencontrer Dieu ! C’est là qu’il y a retournement de situation, que la tristesse devient joie et que le chemin s’inverse pour aller vers le lieu qu’ils fuyaient. Ce n’est donc pas tant la perfection de notre foi qui ouvre nos yeux, mais c’est bien le regard sur l’autre, et par lui sur Dieu, qui nourrit notre foi.
Dans ce temps d’isolement nous pourrions désespérer de perdre les liens avec les autres ; et pourtant, paradoxalement, les signes de communion sont souvent très forts au travers de gestes simples que nous avions oubliés : un coup de fil, un petit mot écrit, une prière, un service autrement banal… Prendre des nouvelles de l’autre est déjà une forme d’hospitalité, une façon de recevoir le Christ à notre table pour qu’il nous reçoive à son tour au banquet du Royaume.
Abbé Philippe Matthey
26 avril 2020
Image: mosaïque du Chemin de joie à Genève réalisée par le Centre Aletti