L’abbé Alain-René Arbez nous propose l’homélie de ce dimanche.
Nous voici face à une magnifique page du 4ème évangile : la rencontre de Jésus avec une femme samaritaine au puits de Jacob. Nous avons sans doute repéré quelques images-clé…un homme, une femme ; le puits, l’eau, les noces, le Temple, alors nous nous demandons : quelle est la logique de ce récit ? En quoi nous rejoint-il dans notre recherche de Dieu?
La rencontre de Jésus avec une femme de Samarie, c’est d’abord l’écho d’une rencontre qui a eu lieu historiquement ; mais c’est surtout la mise en forme d’une catéchèse de l’Eglise primitive. Il s’agit donc à la fois d’un dialogue instructif entre Jésus et une femme samaritaine, et la mise en lumière de l’étape qui va suivre : l’annonce du Christ vivant à la province de Samarie, vers la fin du 1er siècle ! Ce sera une réconciliation entre populations auparavant distanciées mais puisant à la même foi originelle.
Dans sa passion pour l’unité, partout Jésus cherche à rassembler. Et il le fait autour de l’essentiel : l’alliance, grâce à des moments de dialogue constructif. Jésus est ouvert à tous, et il se veut particulièrement attentif aux blessés de la vie, et aux assoiffés de vérité…
La rencontre avec cette femme de Samarie fait partie de ces temps forts et nous apporte un message profond. Le fait qu’elle ait lieu autour du puits de Jacob n’est pas un hasard. C’est au bord d’un puits que se trouvait Rebecca la future femme d’Isaac. C’est autour d’un puits que leur fils Jacob a découvert Rachel qui sera la mère de Joseph. Et c’est encore au bord d’un puits que Moïse rencontrait Tsippora qui serait son épouse, chez Jéthro prêtre de Madian. Le puits est donc bien le lieu symbolique pour les rencontres et pour les noces ! Depuis l’Exode au désert, le puits c’est l’image de l’eau qui fait vivre. Il y a au début du 4ème évangile le récit des noces de Cana, ici il est aussi question de mariage, mais cela concerne étrasngement une femme aux cinq maris. Dans tous les cas, cela renvoie à l’alliance de Dieu avec son peuple, puisque Dieu veut épouser notre humanité pour assurer son bonheur.
Essayons de comprendre le cadre de cette rencontre de Jésus avec une femme samaritaine. Au cours de l’histoire d’Israël, souvent envahi par des voisins plus puissants, une fracture entre communautés de Judéens et de Samaritains était survenue, en raison de circonstances politiques et religieuses désastreuses. La province samaritaine, avait dû supporter un apport de populations païennes extérieures, imposé par l’envahisseur assyrien, ce qui introduisait des pratiques idolâtriques autour de cinq divinités principales : C’est ce qui avait peu à peu amené la région à un culte différent de Jérusalem et à une interprétation de l’Ecriture assez restreinte…
On comprend mieux l’ouverture d’esprit exemplaire exprimée dans ce texte selon St Jean : Jésus, un rabbi judéen né à Bethléem et qui parcourt la Galilée, qui pratique fréquemment au Temple de Jérusalem, vient se ressourcer, près du puits de Jacob, en demandant à boire à une femme de Samarie, membre d’une population suspectée d’hérésie. Ici, la femme samaritaine symbolise plus que sa personne, elle représente toute une province considérée par les autorités de Jérusalem comme infidèle à la vérité.
C’est à partir de là que la femme samaritaine reconnaît que son visiteur est « prophète » ; il est vrai qu’il la rend consciente de cet éloignement spirituel, le sien et celui de toute une province avec ses croyances teintées d’idolâtrie. « Donne-moi à boire ! » demande Jésus…ce qui veut dire au-delà des différences, s’abreuver ensemble à la vraie source, celle qui est véritablement aux origines de la tradition biblique ; en effet la scène se passe en ce lieu prestigieux qu’est le puits de Jacob, symbole des pères fondateurs.
La scène se passe aux alentours de midi, quand le soleil est le plus implacable, nous retrouvons ici une image de la soif spirituelle de tant de personnes qui souffrent de l’aridité des temps où ils vivent. A notre époque tourmentée, cette soif pourra être celle de personnes en errance de convictions et en recherche d’un objectif de vie.
Mais alors que la femme parle de l’eau à puiser, Jésus parle de l’eau vive, souvent évoquée dans la Bible, en particulier dans les psaumes. L’eau vive désigne la sagesse donnée par Dieu pour vivre en accord avec sa volonté et devenir juste à ses yeux. On la retrouve dans les messages des prophètes, comme Jérémie : l’eau vive est indispensable au croyant qui veut traverser les passages éprouvants de son existence sans tomber d’inanition sur son chemin…
Le récit nous suggère que Jésus veut conduire l’humanité à la résurrection et à la vie, car dans cette rencontre, nous le voyons qui passe du rôle d’assoiffé, qui a besoin d’eau, à celui de désaltéreur, qui donne à boire. Par conséquent, toute personne qui adhérera à son enseignement de salut acquerra aussi la même possibilité de désaltérer les autres, c’est-à-dire tous ceux et celles qui recherchent éperdument le sens et le but de leur vie sur terre.
Au cours du dialogue, la conclusion donnée par le Christ retentit comme une profession de foi au v.22: « le salut vient des juifs! Une clé indispensable pour comprendre comment Jésus se situe face aux détresses de son temps. Certes, il respecte cette femme samaritaine, il est accueillant envers sa situation, il admet la sincérité religieuse des Samaritains, mais il ne transige pas sur le fait que c’est de Jérusalem seulement que vient la tradition authentique des pères. Cette femme a beau se réclamer de l’ancêtre Jacob, avec ses compatriotes, pour Jésus, il est clair qu’ils ne savent pas ce qu’ils adorent ! La révélation leur est peu à peu devenue floue et lointaine.
C’est donc à cette source vivante de vérité – qui irrigue nos racines – que l’évangile du Christ convie tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté. On ne peut enfermer Dieu dans des mots, des systèmes, des rituels, il faut dit-il des adorateurs en esprit et en vérité.
Nous arriverons dans quelque temps aux jours de la passion à la fin du carême. Rappelons-nous que mis en croix, Jésus a aussi crié : « j’ai soif ! » Et lorsqu’il rend l’esprit, à côté du sang eucharistique sur son côté percé par la lance, l’eau jaillit de son cœur, c’est une eau baptismale qui va purifier tous ceux et celles qui seront réceptifs à son amour donné totalement.
Nous comprenons ainsi que Jésus a mené toutes choses à leur accomplissement en ayant soif. L’adoration en esprit et en vérité, il l’a réalisée lui-même et il nous invite à la vivre nous aussi en reconnaissant que nous avons soif de la vraie vie. Nous sommes tous des sanctuaires du St Esprit, des temples vivants, où la vérité de Dieu et de l’homme ne demande qu’à se manifester, pour autant que nous ayons soif de mieux la connaître avec le désir de la transmettre, comme la Samaritaine l’a fait autour d’elle. Amen