L’abbé Giovanni Fognini, aumônier aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), nous propose l’homélie de ce dimanche
Lectures du 4ème Dimanche de Carême
La guérison d’un aveugle-né : voilà une toute belle page de l’évangile propre à Saint-Jean (9,1-41). Ce récit est une longue méditation sur le thème de la lumière, mieux de l’illumination : l’action accomplie par Jésus afin que nous voyions et soyions arrachés aux ténèbres. Mais aussi un long procès intenté à Jésus, lui qui est « la lumière du monde », « la lumière venue en ce monde, qui illumine tout être vivant », lumière souvent non-accueillie !
Le paradoxe est là : celui qui est aveugle, non voyant, rencontrant celui qui est la lumière du monde, devient capable de « voir » ; ceux qui voient (les disciples, les pharisiens, d’autres) rencontrent Jésus, mais restent aveugles, incapables de voir. Paradoxe qui traverse aussi nos propres vies et nos façons de croire.
Jésus arrive à la piscine de Siloé : il voit un homme touché par la cécité depuis sa naissance. Les disciples aussi voient cet homme. L’homme ne demande rien. C’est Jésus qui voit en lui une personne dans le besoin, qui a besoin d’être sauvée, libérée. Les disciples, eux, sont enfermés dans le regard de l’époque sur les personnes malades : il a péché ! D’où leur question : est-ce lui qui a péché ou ses parents, pour qu’il soit aveugle de naissance ?
« Ni lui, ni ses parents ». Parole de libération, parole d’ouverture, parole qui sauve, qui donne du sens. Jésus exclut tout lien entre le mal et le péché, et le châtiment de la part de Dieu.
Et nous ? Nous ne sommes pas libérés de cette question … nous cherchons toujours un coupable … nous intentons des procès à Dieu lorsque nous souffrons. Jusqu’à se demander (paroles que j’ai entendues) : la pandémie actuelle n’est-elle pas une punition, un châtiment que Dieu nous envoie parce que nous sommes trop pécheurs ?
Souvent comme croyants, face au mal, nous cherchons une explication, nous voulons déceler la faute et qui est le coupable. Jésus refuse ce regard-là : pas d’explication au fait que cet homme soit aveugle de naissance, mais un regard, une attitude pleine de compassion et d’humanité pour manifester à l’aveugle que la vie est plus forte que la mort. C’est ainsi que Jésus « voit » !
Alors Jésus pose des gestes qui ressemblent aux mêmes gestes de Dieu, dans le récit de la Genèse, avec lesquels il créa Adam. Pas des gestes magiques, mais gestes pleins d’humanité : l’aveugle se sent touché, il sent les doigts de Jésus et cette boue sur ses propres yeux ; il sent surtout qu’il peut mettre sa confiance en Celui qui l’a vu et a repéré sa souffrance. L’aveugle est re-créé. Il est vraiment une créature nouvelle : non seulement parce qu’il voit, mais, surtout, parce qu’il est à nouveau réintégré dans la communauté religieuse et sociale (auparavant, c’était un exclu !).
S’ouvre alors pour l’aveugle un chemin de foi . Il est aveugle, mais il n’est pas sourd : il entend la parole qui lui demande de bouger, de marcher, d’aller se laver à la piscine. Et cet homme fait l’expérience que la parole de Jésus est efficace, féconde, agissante : il voit ! Il voit non seulement avec ses yeux guéris, mais il voit surtout qui est vraiment Jésus : « la lumière venue en ce monde pour sortir tout homme des ténèbres »
Ayant recouvré la vue, cet homme va se débattre contre l’hostilité et l’incrédulité de son entourage. Même ses parents, par peur, le laisseront à lui-même. Tout est mis en question : la cécité initiale, la guérison, la légitimité de l’action de Jésus (un jour de sabbat !), son identité. L’ancien aveugle fait presque figure d’accusé : « Tu es plongé dans le péché depuis ta naissance ». Seul, cet homme n’a pas encore vraiment rencontré Jésus. Pour l’instant, il voit tout, sauf la source de sa lumière !
Le dialogue final entre l’aveugle-né guéri et Jésus est le cœur de toute cette scène : qui est vraiment Jésus ? Il n’est pas seulement un « homme » ou « le prophète », « l’homme qui vient de Dieu » ou « le Fils de l’homme » : il est le Seigneur ! Oui ce ne sont pas les dires des gens ou le savoir des pharisiens qui sauvent, mais Jésus, le Seigneur, lumière du monde, qui nous fait sortir de tous nos aveuglements.
J’aime l’attitude finale de l’aveugle-né guéri : il se prosterne. Geste de la reconnaissance, de l’adoration. Geste de la vraie foi.
Nous aussi, nous sommes invités à grandir dans notre chemin de foi. Accepter le regard de Jésus sur nous, sur nos aveuglements, c’est apprendre à nous voir nous-mêmes en vérité. Nous enfermer sur nos certitudes, nos doctrines, c’est empêcher que s’ouvre en nous une brèche pour accueillir l’action innovatrice de Dieu. Et, tout simplement, de voir clair !
Abbé Giovanni Fognini, Aumônier HUG, 22 mars 2020
Image: Centro Aletti