Dans le prolongement du Parcours interreligieux dans la Cité organisée par la Plateforme interreligieuse de Genève (PFIR) le 5 novembre 2023, j’ai souhaité participer à la visite guidée du Musée International de la Réforme (MIR), baptisée « Sur les traces de l’œcuménisme et de l’interreligieux », Fruit d’un partenariat entre le MIR et la PFIR, cette visite guidée inédite fut animée par Gabriel de Montmollin, Directeur du MIR. L’accès au MIR s’effectue dorénavant depuis la place de la Cathédrale, ce qui a augmenté le nombre de visiteurs depuis sa réouverture. Puis le hall d’entrée du MIR marque la longue histoire du lieu avec la phrase illuminée « Ici le 21 mai 1536, Genève décide d’adopter la Réforme ». Installé sur le lieu même où la Réforme fut adoptée à Genève en 1536, le MIR met en scène plus de 650 livres, manuscrits, gravures, tableaux et objets qui racontent cinq siècles.
Les 75 minutes commentées se sont avérées être une immersion profonde dans les méandres de l’histoire religieuse, attirant un public varié et passionné, des professeurs québécois et vaudois aux membres de la PFIR, en passant par des esprits curieux venus de Genève. Des premières étincelles de la Réforme aux éclats sombres des guerres de religion, en passant par les moments de dialogue et de conflit, chaque étape de ce parcours muséal a révélé une facette nouvelle de la complexité du dialogue interreligieux et de l’évolution de la tolérance au fil du temps.
Le MIR présente une histoire laïque de la Réforme avec comme objectif l’introduction au dialogue interreligieux.
La Réforme est présentée comme un changement d’autorité, les réformateurs sont des traducteurs de la Bible qui devient au centre. Une vitrine offre 5 Bibles à voir dans la première salle, traduites en allemand, français, italien etc. Le latin est remplacé par les langues vernaculaires qui rendent possible la lecture de la Bible au plus grand nombre de fidèles. Le courant de l’Humanisme redécouvre à cette époque l’Antiquité. Un processus de concertation avec l’Eglise catholique est proposé mais des violences se déclenchent entre les confessions.
Selon Gabriel de Montmollin, la statue de la Vierge Miséricorde, présente dans une autre vitrine opposée, soulève parfois des questions de la part de visiteurs qui se demandent pourquoi elle a sa place au musée. La statue fut réalisée vers 1450-1475 par un anonyme, près de Genève, elle est en bois sculpté polychrome, elle est prêtée par le Musée d’Art et d’Histoire (MAH). Martin Luther et Jean Calvin avaient une relation plus positive à la Vierge Marie alors que la Vulgate imaginaire était très anti-mariologique. La figure de la Vierge illustre l’entente positive entre Protestants et Catholiques malgré les méandres de l’Histoire.
La Réforme en Suisse commence à Zürich avec Zwingli en 1520, lors du début du travail de réformation de la ville. La représentation de la soupe au lait de Kappel, équivalent du mythe de Guillaume Tell, illustre la manière dont les protestants et les catholiques en viennent aux mains.
Les guerres de religion en France durent de 1563 à 1589, et génère 1 million de protestants et 20 millions de catholiques, 8 guerres en moins de 40 ans. Des guerres sanglantes opposèrent les deux camps.
Le tableau du massacre de la Saint Barthélémy, 24 août 1572, dont le peintre fu le témoin, rend compte des scènes de boucherie et posent en victimes les protestants face à la violence. Le tableau présente Catherine de Médicis comme l’instigatrice, or l’historiographie est différente.
Le Directeur nous a détaillé la gravure réalisée par Jacques Tortorel et Jean Perrissin, intitulée Le colloque de Poissy (ci-dessous), conférence religieuse qui s’est tenue du 9 septembre au 14 octobre 1561 dans le prieuré royal Saint-Louis de Poissy. Catherine de Médicis a essayé toute sa vie d’arriver à une forme de concordat entre les protestants et les catholiques modérés. Elle est une figure pacificatrice selon les propos de Gabriel de Montmollin, alors qu’elle a très souvent été perçue comme une destructrice à son époque.
Les protestants sont iconoclastes par crainte de superstition. La tête de l’évêque présente un nez mutilé. En effet on défigurait les représentations en leur mutilant le nez. C’est une reproduction en 3D qui fut réalisée à partir de la molasse (1510-1520) conservée au Bernisches Historisches Museum à Berne.
Le MIR a développé une application qui permet d’accéder à des informations complémentaires et animer certaines œuvres telles que la caricature d’un Pape représenté en Diable et qui prend feu. Une autre montre une balance dans laquelle le poids de la Bible est beaucoup lourd que celui d’un prêtre. Le Directeur du MIR rappelle que seuls 10% des fidèles savaient lire à l’époque de la Réforme, ce qui explique l’importance des caricatures, notamment anticatholiques, et des images.
Martin Luther se fait par exemple représenter 500 fois de son vivant, il avait ainsi compris le rôle des images et leur diffusion. Il était alors le plus représenté dans tout le territoire.
Un tableau montre le Collège Calvin bâti sur le terrain de l’Académie fondée en 1559. De très nombreux pasteurs furent formés à Genève pour ensuite être envoyés en France. Genève servait de base arrière et comptait du temps de Calvin 69 imprimeurs. La communauté intellectuelle était très soudée. L’affaire Servet fut un épisode noir à Genève. Michel Servet était un médecin espagnol, humaniste, brillant qui a découvert la circulation sanguine. Michel Servet ne croyait pas à la Trinité, il pensait alors trouver de la compassion à Genève, mais fut enfermé par Calvin, puis brûlé pour hérésie à Champel malgré ses argumentaires, il appelle à la clémence en vain. Sébastien Castellion a écrit : «Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme». La naissance de la tolérance remonte au 16è siècle. La prochaine exposition du MIR portera dans 2 ans sur la tolérance justement.
Louis XIV révoque l’Edit de Nantes, 200’000 Huguenots fuient la France. De nombreux imprimeurs d’origine française s’installent ainsi à Amsterdam. Le Dictionnaire de la Tolérance est écrit au 17è siècle. Un des premiers voyages d’un Pasteur relate l’invention de l’Autre et de l’Etranger En effet, Jean de Léry décrit de façon empathique dans son livre, « Histoire d’un voyage en terre de Brésil », publié en 1578, son voyage dans la baie de Rio et les populations et notamment la vie avec les Indiens Tupinambas. Cet ouvrage marque les débuts de l’ethnologie.
Le MIR a identifié 21 personnalités pour leurs pensées, leur esprit protestant, leurs actions, tels que Frère Roger Schütz, Desmond Tutu, Germaine de Staël. Beaucoup de Prix Nobel. La future nouvelle exposition temporaire du MIR est actuellement en cours d’installation et s’intitule « Jouer avec les dieux », du 13 juin au 13 octobre 2024.
Ce parcours guidé « Sur les traces de l’œcuménisme et de l’interreligieux », m’a confortée dans l’idée que l’échange interreligieux et le partage œcuménique renforcent la connaissance de l’Autre et par conséquent contribue à la tolérance religieuse.
Images de la visite guidée par Audrey Brasier
SD&C avril 2024