Jacques Mourad, moine et prêtre syriaque originaire d’Alep, en Syrie, est enlevé par Daech le 21 mai 2015, dans le monastère de Mar Elian à Al-Qaryatayn, dans le désert, entre Homs et Palmyre, où il était curé. Il est resté presque cinq mois aux mains de ses ravisseurs, avant son évasion rocambolesque le 10 octobre 2015. L’épreuve n’a pas entaché sa foi ni son engagement pour le dialogue avec les musulmans. De cette expérience brutale, qui aurait pu le briser ou l’enfermer dans la haine, il livre un témoignage bouleversant sur la force du pardon et de la miséricorde de Dieu. Il était à Genève, le 17 février dernier, invité par l’association Chemin de solidarité avec les chrétiens d’Orient.
Le père Jacques Mourad n’évoque qu’à demi-mots la violence subie, la peur, le mépris, la souffrance des tortures et des menaces terrifiantes endurées durant sa captivité aux mains des jihadistes. Son propos n’est pas celui d’un héros ni celui d’une victime. Son message est humble et paradoxalement empreint de gratitude.
S’il est là, s’il n’a pas été tué, c’est parce qu’il a pu trouver refuge dans la prière et parce qu’il a réussi à dépasser la peur et à offrir un regard humain à ses geôliers.
« Lors de mon expérience très dure, j’ai compris que Dieu m’avait préparé à ce moment. Dans l’Évangile de Jean, Jésus nous dit ‘N’ayez pas peur’. La peur peut être dangereuse. Si mon regard avait été celui de la peur, je n’aurais pas résisté et je ne serais pas ici ce soir », explique le père Mourad en prenant la parole devant les quelque 200 personnes réunies dans la salle paroissiale du Christ – Roi. « Mais ce n’est pas facile, surtout quand tu sens que l’autre veut te tuer ! », concède-t-il. Avec la prière, « le silence m’a permis d’aller au-delà des paroles et des actes de mes geôliers ».
« Rien ne naît sans préparation. Je considère que ce que j’ai vécu pendant ma détention est le résultat de tout un parcours spirituel grâce aux personnes que Dieu a mises sur mon chemin, surtout le père Paolo », confie le moine en nommant son ami Paolo Dall’Oglio, jésuite italien enlevé à Raqqa, en 2013, fondateur avec lui de la communauté de Mar Moussa pour promouvoir le dialogue interreligieux en Syrie.
Le rapport à l’autre est au centre de la réflexion du moine. Au cœur de la guerre et des violences, que devient la relation humaine si on ne fait pas barrage à l’emprise de la haine ?
« Au titre de la conférence de ce soir Le pardon, un chemin de réconciliation et de paix, il faudrait ajouter la miséricorde. À la base du pardon, ce qui est plus important est la miséricorde : elle fait partie de nous, de notre humanité. La miséricorde est la base de tout », explique-t-il sans jamais se départir de son sourire. « Dieu nous l’a donnée à tous et c’est dommage comme nous perdons cette grâce chaque fois que nous sommes contre l’autre, que nous souhaitons anéantir l’autre. Je me rappelle combien il a été important que je regarde mon geôlier avec des yeux d’amour et de miséricorde, même quand il m’insultait avec des mots horribles et terrifiants ou me faisait du mal. Ce regard l’a changé. Un jour il m’a même demandé si j’avais besoin de quelque chose. Et c’est là que tu te rends compte comment par l’amour tu aides l’autre à retourner à sa valeur humaine, même s’il est un criminel », a-t-il confié au Courrier Pastoral en marge de la conférence.
Mais d’où vient la miséricorde? « Elle naît de notre intérieur ; du plus profond de l’être. Parfois nous sommes prisonniers d’une attitude, d’une parole ou d’une action qui nous empêchent de voir l’autre. La miséricorde nous invite à aller au-delà, à voir chaque personne dans son humanité, au fond de son être. Sans ce regard nous sommes prisonniers ». Pour le père syrien, la miséricorde est la base de chaque examen de conscience guidé par la prière, quand nous sommes seuls face à Dieu. « Si on découvre notre force de miséricorde, des merveilles sont possibles et la merveille des merveilles est le pardon. À celui qui fait du mal ».
Le moine est bien conscient de lancer un défi au public et d’indiquer un chemin ardu, voire impossible. Pour autant, la haine de l’autre « n’est pas un projet crédible, ça ne marche pas, même si des personnes en sont convaincues. Notre monde ne peut pas supporter des positions d’exclusion de l’autre, c’est destructeur », fait valoir le conférencier. Mais comment être prêt à pardonner celui qui souhaite notre mort ? « Ce n’est pas facile. J’ai vécu cette difficulté de nombreuses fois, avec mes paroissiens aussi ». Mais Dieu nous aide à convertir nos cœurs, témoigne Jacques Mourad.
« Je crois que la prière est capable de tout changer, à condition de la vivre. Le père Paolo, par sa vocation et son engagement, m’a vraiment aidé à cheminer dans la conversion ». Et l’expérience d’otage « m’a permis de découvrir ma foi. Celle de mes paroissiens, aussi ».
C’est la foi qui doit nous transformer, nous guider vers la merveille du pardon, insiste le père Mourad. « Nous devons méditer devant la croix et comprendre pourquoi Jésus a pardonné ceux-là même qui l’ont crucifié. D’où lui est venue cette force de crier à Dieu ’Pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ?’ »
« Si nous voulons être des instruments de paix, avoir une responsabilité dans notre monde et dans notre vie, nous avons besoin d’être rechargés par le mystère du Salut, par cette grâce que Jésus a témoignée par sa vie, son calvaire, sa mort et sa Résurrection. Chaque baptisé est un missionnaire et un disciple du Christ. Nous sommes donc responsables de construire la paix sur cette terre. Le royaume de Dieu que Jésus nous invite à réaliser n’est pas sur une autre planète, il est parmi nous », exhorte le père Mourad. Pour le construire, il est très important de « nous appeler frères et sœurs, d’aller vers l’autre, de développer les valeurs de voisinage ».
Aujourd’hui le père Jaques Mourad vit au nord de l’Iraq, à Deir Maryam el Adhra, le Monastère de Souleymanieh (Kurdistan irakien), auprès des réfugiés.
Il a livré le témoignage de son expérience aux mains des terroristes dans un livre Un moine en otage. Avec un beau sous-titre, Le combat pour la paix d’un prisonnier des djihadistes. L’ouvrage s’inscrit dans son engagement pour la promotion du dialogue interreligieux.
Chemin de solidarité avec les chrétiens d’Orient
Le père Jaques Mourad été invité à Genève par l’association Chemin de solidarité avec les chrétiens d’Orient et les populations victimes des violences au Moyen-Orient (CSCO), créée en 2016.
L’association avait pour objectif l’ouverture d’un canal d’entrée légal en Suisse pour permettre à des étudiants syriens et du Moyen-Orient de poursuivre leur formation à l’écart des violences. Mais les autorités suisses n’ont pas accordé de visas aux candidats.
Face à cet obstacle, la CSCO a choisi de soutenir financièrement ceux qui sont reçus par les milieux académiques d’Italie du Nord, avec qui des membres de l’association et le père Mourad sont en contact.
Durant l’année universitaire 2018-2019 la CSCO a soutenu 5 jeunes étudiants syriens. En 2019-2020, la CSCO aide 11 étudiants.
Deux étudiants étaient présents pour apporter leur témoignage: Nadine Kharouf, étudiante de 26 ans en deuxième année de Master en Architecture au Polytechnique de Milan, et Jack Aoskane, 19 ans, inscrit en Economie à l’Université de Novare.
Paru dans le Courrier pastoral (avril 2020)