Journée mondiale du refus de la misère
Il y a 30 ans, le père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD-Quart Monde, et des milliers de personnes se réunissaient sur le Parvis du Trocadéro à Paris pour poser une dalle où il est inscrit : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. »
Depuis ce jour, chaque 17 octobre, de nombreuses villes se mobilisent pour affirmer que la misère n’est pas une fatalité, mais qu’elle peut être combattue et vaincue. Pour cela, ses victimes doivent être associées au combat contre la misère plutôt qu’enfermées dans leurs difficultés ou jugées seules responsables de leur condition.
A Genève, depuis 2010, le « Collectif 17 octobre », composé de nombreuses institutions sociales et associations dont l’Eglise catholique romaine, célèbre cette Journée et inscrit ainsi notre ville dans cet élan mondial de réflexion.
Cette année, et pour la première fois, le Collectif a organisé le 14 octobre dernier le « Parlement des Inaudibles », un lieu où a résonné la voix des personnes en situation de précarité, une voix que l’on n’entend pas, parce que ceux qui la portent sont rendus invisibles : comme l’affirme le philosophe Guillaume Blanc, « les visages effacés sont d’abord des voix que l’on a effacées du concert des voix que devrait être une démocratie ». Ce jour-là, à partir des thèmes de la discrimination, du travail et du logement, ces « inaudibles » se sont exprimés devant des citoyens et des figures politiques invités à les écouter, eux les vrais « experts » de l’exclusion sociale.
Le Collectif souhaite souligner l’enjeu politique et social de cette réalité, car en stigmatisant les plus pauvres et les plus vulnérables, la société se permet d’exclure des groupes sociaux. Il est considéré normal que ceux qui vivent la pauvreté se cachent et se rendent invisibles. Ceux qui ne le font pas sont punis sévèrement par la loi. A Genève, la pauvreté est criminalisée : des centaines de personnes en situation de rue reçoivent une ordonnance pénale pour occupation abusive de l’espace public quand elles restent « trop longtemps » sur un banc dans un parc ou pour le « crime de mendicité » quand elles tendent la main pour appeler à la solidarité. Cela se déroule dans le silence assourdissant de nos consciences d’humains.
Une discrimination anti-pauvres s’est installée dans nos structures et dans notre imaginaire social. L’amalgame entre pauvres et profiteurs ou pauvres et fainéants n’est qu’un signe des efforts de notre société pour rendre invisibles et inaudibles les victimes de la misère.
La mendicité est une situation indigne. Depuis plusieurs années, l’Eglise est engagée avec d’autres auprès de personnes en situation de précarité. A chaque fois, nous faisons l’heureuse découverte de leurs ressources, leur créativité, leur enthousiasme et leur sens des responsabilités. Ces hommes et ces femmes sont capables de construire quelque chose de neuf et de différent lorsque nous leur tendons la main. Ne criminalisons pas les pauvres, accueillons leurs mains tendues et leur invitation à bâtir un monde meilleur qui refuse la misère.
Inès Calstas – Pôle Solidarités de l’Eglise catholique romaine (ECR) Genève
Paru dans la Tribune de Genève le 17 octobre 2017