Mettre des mots, des images, des gestes sur la souffrance vécue et ressentie, trouver une écoute, être à l’écoute participent à un parcours de compréhension et de dignité. A l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, diverses associations* actives auprès des plus démunis et engagées dans la justice sociale ont donné la parole aux personnes qui vivent dans la grande précarité à Genève.
Des ateliers d’expression ont animé l’après-midi dans les locaux de la Maison Quart Monde, au parc Galiffe, des ateliers d’expression orale pour récolter des récits de vie, des ateliers d’écriture et des ateliers créatifs de collage pour les enfants et les adultes. Autant d’espaces de partage et de parole sur le thème de cette journée : la maltraitance institutionnelle et sociale. Pour les organisateurs, oser aborder les sujets difficiles mais tellement cruciaux dans la vie des personnes, les recevoir de façon ouverte, sans jugement, est le début de la construction de la confiance.
Lorsque les règles, les habitudes et les processus internes d’une institution ont pour effet d’imposer régulièrement un traitement moins favorable aux membres d’une minorité, on parle de discrimination institutionnelle, qui va de pair avec la maltraitance, expliquent les organisations.
Des sans-papiers, des immigrés ou encore des chômeurs de longue durée se sont exprimés lors de cette journée. Un homme a déploré les « temps trop longs des démarches administratives pour obtenir un service social ». Il a participé au collage créatif sur le thème de la montagne. En effet les institutions d’assistance sont souvent perçues comme une montagne qu’il faut gravir pour demander de l’aide sociale ou pour connaitre ses droits. « L’effort qu’il faut fournir pour arriver au sommet est parfois immense et souvent on perd la force », a-t-il observé. Le personnel des institutions est parfois bienveillant, mais « ils sont souvent débordés et démunis ». « Une fois, on s’est moqué de moi », témoigne-t-il.
Des personnes qui vivent dans la rue s’insurgent contre la police. « C’est humiliant quand la police nous prend des choses de valeur en croyant que ce sont des biens volés, c’est aussi de la violence. Ils nous disent : Tu es à l’hospice, tu ne peux pas avoir des choses de valeur. J’étais contente que l’on m’ait rendu mes bijoux après ».
Un homme en larmes, aux côtés de sa femme et de son fils, témoigne : « je n’ai pas de maison ni de travail. Il y a des policiers méchants qui nous chassent alors que nous dormons dans la rue. Ils prennent nos affaires et les jettent à la poubelle. Nous ne pouvons pas vivre dans ce monde. Nous avons un enfant qui va à l’école, alors que nous dormons dehors ».
Un autre évoque le mépris des regards portés sur lui. Une femme, avec un permis F, est en colère : « on m’a tout refusé ». La même expérience est partagée par une autre femme plus âgée : « Je n’ai pas de maison, je me sais pas où dormir et je suis malade. L’assistante sociale de l’hospice a été très gentille. Elle m’a envoyée chez des juristes. Mais ils n’ont pas pu m’aider ».
Qu’est-ce qu’une maison, l’école ou l’hôpital pour un enfant dans la précarité ? a questionné un autre atelier.
La journée a été aussi l’occasion de partager des moments festifs, en musique et autour d’un magnifique buffet, une manifestation de la solidarité comme première réponse pour dépasser les dysfonctionnements qui peuvent piéger les personnes dans des situations sans issue.
Chaque année le thème de la Journée mondiale du refus de la misère fait l’objet d’une large consultation. Le choix de traiter de la maltraitance sociale et institutionnelle a été retenu pour permettre aux personnes en situation de grande précarité de mettre des mots sur les expériences qu’elles traversent et d’éclairer les incompréhensions. Pour les organisateurs, la société ignore encore trop la réalité de la vie des personnes en situation de pauvreté. Des représentations stéréotypées propagent l’idée que les personnes sont responsables de leur situation et manquent de volonté, expliquent les organisateurs. La maltraitance sociale se manifeste notamment dans la perpétuation d’attitudes négatives contre ces personnes, expliquent-ils. Dans leurs rapports avec les institutions, les personnes en situation de pauvreté voient très souvent le contrôle de leur vie limité ou retiré.
Partout dans le monde, cette journée a pour objectif de donner la parole aux personnes directement concernées par la pauvreté, à celles et ceux qui sont trop souvent réduits à leurs difficultés, voire qui en sont jugés responsables. Cette journée est également l’occasion de rappeler que la misère est une violation des droits humains.
La Journée Mondiale du refus de la misère est née de l’initiative de Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, et de plusieurs dizaines de milliers de personnes de tous milieux qui se sont rassemblées sur le Parvis des Droits de l’Homme à Paris le 17 octobre 1987. Les Nations Unies l’ont officiellement en 1992. Pour tous ses partenaires, il s’agit de mobiliser les citoyen·nes et les responsables publics pour montrer que la misère n’est pas une fatalité et que chaque personne, là où elle est, peut agir.
*Journée Mondiale du refus de la misère, ATD Quart Monde, Eglise Catholique Romaine GENÈVE – Solidarité, Interstices-Interventions sociales en action communautaire, Maraude Genève, www.refuserlamisere.org.
Lire le communiqué de presse d’ATD QUART MONDE
SD&C, octobre 2024