Célébrer et bénir, deux verbes qui sonnent comme un oxymore à l’heure de la maladie et de la mort. Et pourtant… Dans ces instants difficiles, souvent porteurs d’interrogations spirituelles ou religieuses, les rituels qui permettent de célébrer et bénir sont une source de réconfort pour la famille et la personne mourante. « Nous avons beau dire que nous sommes dans une société déchristianisée et sécularisée, face à la mort il y a souvent un questionnement sur Dieu qui apparaît ou resurgit, même timidement… Dans le désarroi, même des personnes éloignées de la religion expriment souvent le désir d’un geste, de quelque chose de concret et d’une présence d’Eglise », fait valoir l’aumônier d’hôpital Sandro Iseppi. Témoignage.
« En trois ans, j’ai accompagné une centaine de personnes en fin de vie. Souvent quand je rentre dans la chambre d’hôpital du malade, la famille est présente et il y a une attente, un grand désemparement, une difficulté à identifier le bon comportement à avoir en ces moments. Chaque cas est différent, pourtant il s’agit souvent d’accueillir la souffrance, parfois la colère, l’incompréhension ou l’indignation que suscite la mort », témoigne Sandro Iseppi, aumônier de la Pastorale de la Santé de l’Eglise catholique romaine.
« En général c’est le personnel soignant qui appelle les aumôniers au chevet de la personne en fin de vie, parfois la famille, plus rarement le malade lui-même. La plupart du temps, la demande est celle d’une simple prière ou alors les personnes se renseignent pour savoir s’il y a un rite ou autre chose à faire », observe l’aumônier. Parfois le patient a déjà reçu l’onction des malades, anciennement et erronément appelée extrême onction. C’est un sacrement que seuls les prêtres peuvent administrer. « Mon rôle d’aumônier laïc au chevet des mourants et de leurs proches est différent.
Pour mettre des gestes et des paroles sur ce “passage” et accompagner la séparation, je propose la bénédiction des mourants, selon un rituel mis au point par le diocèse de Rothenburg-Stuttgart. Ce rituel, souligne Sandro Iseppi, permet de manifester la présence de Dieu et utilise un langage proche des gens. J’ai traduit ce livret en français et j’ai trouvé des traductions en d’autres langues », explique l’aumônier. Selon son expérience, cette bénédiction est un outil précieux pour avancer par étapes, avec des mots et des gestes adéquats.
« La confrontation avec la mort est difficile. Parfois la famille ne sait pas que faire et me demande de l’aide ». L’aumônier n’est pas toujours accueilli les bras ouverts ! « D’aucuns m’expliquent qu’ils ne sont pas croyants, ou qu’ils sont même hostiles à l’Église, mais que leur maman en fin de vie est croyante et c’est pour cela qu’ils m’ont appelé. Dans certaines situations, parmi les proches au chevet du malade il y a des athés ou des fidèles d’autres religions. J’adapte donc la bénédiction afin de pouvoir accueillir toutes les personnes qui souhaitent être présentes », avec l’aide du livret.
Le livret de la bénédiction des mourants, ponctué de prières, de lectures de la Bible, de gestes et de silences, propose des formulations différentes et adaptées à des situations particulières, notamment pour accompagner la mort d’un adolescent ou d’un enfant. « Dans ces circonstances, il est essentiel de s’adresser aux parents, de nommer leur douleur, leurs questions et leurs doutes, et même leur colère contre Dieu. Il faut prendre en considération la détresse de l’impuissance et leur dire qu’ils ont fait tout ce qui était humainement possible pour sauver la vie de leur enfant. La bénédiction permet de se réunir pour prier Dieu même quand nous nous demandons pourquoi Dieu permet qu’une vie s’éteigne si tôt », souligne Sandro Iseppi.
Dans sa structure, elle consent aux personnes de vivre cette séparation dans la communion, de célébrer et rendre hommage à la vie de la personne et de confier à Dieu le mystère de la mort qui nous dépasse.
La bénédiction des mourants commence toujours par nommer la personne en fin de vie, par l’accueil des présents et le rappel de la présence de Dieu à nos côtés. Après une prière et une lecture biblique, suit une invitation à vivre un moment de silence pour se souvenir de ce qui les relie au mourant, avant la bénédiction proprement dite.
Celle-ci s’adresse à la personne mourante et affirme :
« Ta vie est unique et précieuse.
Qu’elle soit bénie de Dieu.
Que Dieu bénisse
tout ce que tu as pensé, imaginé,
cru et espéré,
tout l’amour que tu as donné.
(Signe de la croix sur le front)
Que Dieu bénisse
tout ce que tu as fait et accompli,
que Dieu t’accueille
aussi avec tes limites, imperfections et fautes.
(Signe de la croix sur la main droite)
Que Dieu bénisse
tout ce qui te fut donné de vivre :
ce qui a été facile comme le difficile, le joyeux et le douloureux,
et tout ce qui continuera aussi
au-delà de ta vie.
(Signe de croix sur la main gauche)
Et que Dieu t’envoie son Ange,
(Tenir les deux mains si possible)
qu’Il te prenne par la main
et qu’Il te conduise de l’obscurité vers la lumière.
Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.
Amen »
« A la fin de chaque bénédiction, je laisse toujours du temps pour permettre aux personnes présentes de se rapprocher de la personne en fin de vie pour poser à leur tour un geste qui leur convient, un signe qui vient du cœur, lui tenir ou caresser sa main, chanter une petite chanson ou dire une prière. Cela prend du temps, mais ce moment est important. Par rapport au personnel soignant souvent affairé, nous, les aumôniers, avons cette disponibilité. On termine par une dernière bénédiction pour la famille, en demandant à Dieu de lui donner force, patience et consolation », précise Sandro Iseppi.
Ces moments sont précieux. Ils n’enlèvent rien à la douleur qui peut même s’exprimer plus fort. Mais ces gestes, ces paroles, ces instants vécus ensemble aident à vivre une présence, une communion, à exprimer des sentiments envers le mourant; Ils deviennent un témoignage et favorisent un début de sens. « Cela permet de commencer à accepter cette étape de la vie et le travail de deuil », souligne l’aumônier.
« Ce n’est pas de la magie et je reste humble, mais le constat est là. Au cours de ce rituel, j’observe un apaisement qui s’installe, un réconfort. Les traits des visages changent malgré la tristesse et la très grande douleur. J’ai vu des personnes en colère s’apaiser, comme cette jeune femme enceinte en révolte contre son père mourant à la suite d’un geste suicidaire. Au terme de la bénédiction, elle a pu se réconcilier et lui pardonner son geste ».
« Je me souviens également de cette autre jeune fille, victime d’une grave maladie et dans le coma. Les parents croyants étaient terrorisés par la situation et ils voyaient que leur fille était agitée et en souffrance. La mère m’a confié la douleur de voir sa fille dans cet état mais aussi son bonheur de la savoir encore en vie. Lors de la bénédiction, dès que nous avons prononcé le nom de la jeune fille et tracé le signe de croix sur elle, la jeune s’est apaisée. Au terme du rituel, les parents aussi étaient plus calmes, habités par une paix intérieure. La jeune femme est décédée les jours suivants et les parents m’ont remercié ».
L’aumônier se dit lui-même troublé et émerveillé par ce qu’il observe. Il évoque aussi l’étonnement du personnel soignant quand parfois, au moment où il pose sa main sur la personne mourante, les paramètres des appareils qui indiquent une détresse se stabilisent.
« Il arrive que même des non-croyants me remercient. Souvent quelques jours après le décès de la personne, ils se manifestent et évoquent une paix intérieure, un moment fort qui les a un peu réconciliés avec la foi et parfois l’Église ». (Sba)
Article paru dans le Courrier pastoral du mois de septembre 2020