Communiqué de presse
Genève, 15 janvier 2019
Le vote du 10 février prochain à propos de la Loi sur la laïcité de l’Etat (LLE) concerne les Eglises catholique chrétienne, catholique romaine et protestante au plus haut point. Les raisons sont notamment: la clarification des principes de laïcité et de neutralité de l’Etat, la contribution religieuse volontaire élargie, la facilitation du travail des aumôneries spécialisées, la lutte contre les dérives sectaires, l’enseignement du fait religieux.
Dans la foulée de la Constitution, l’article premier de la LLE rappelle ses buts:
Pleinement acquises au premier alinéa, nos Eglises sont particulièrement attentives à la question de la paix religieuse. Elles ont pour cela plus d’un siècle d’expérience de séparation d’avec l’Etat et des conséquences qui en découlent en contexte genevois. Pour l’Etat et les Eglises, ce siècle écoulé a vu un mûrissement réciproque des enjeux liés à la laïcité. Filles de cette laïcité-là, nos Eglises sont aujourd’hui devenues et demeurent les principales artisanes de la paix religieuse à Genève. L’expérience œcuménique et interreligieuse fut et demeure déterminante ; nos Eglises l’ont initiée et continuent de l’entretenir avec une qualité et une exigence reconnues.
Cette expérience s’est notamment concrétisée dans les aumôneries d’hôpital, de prison et auprès des réfugiés: celles-ci constituent des pôles d’excellence qui, de leur propre initiative, ont su promouvoir et intégrer des représentants d’autres traditions, chrétiennes ou non.
Au moment où le christianisme se tasse et où les institutions religieuses qui ont largement contribué à forger l’identité plurielle de Genève se fragilisent, il est d’autant plus important que l’Etat se dote d’une loi qui clarifie la laïcité à la lumière des enjeux contemporains, inscrite dans l’histoire locale et dans un fil socio-politique assumé depuis des décennies. Pour cela, la LLE est bienvenue; mieux, elle est nécessaire, car elle s’inscrit dans un contexte qui ne se contente pas d’un statu quo paresseux, mais fait œuvre politique avec une loi qui ne se contente pas du court-terme, mais qui voit loin devant à partir d’une mémoire politique assez bien assumée. Ainsi l’Etat ne se retrouve pas sans horizon, et il endosse enfin sa prétention laïque dans une loi au lieu de la laisser à la seule discrétion de son administration et d’éléments juridiques épars.
Ces considérations générales n’occultent pas les réserves que suscite pour nous cette LLE et que nous avons déjà évoquées en mai passé au lendemain de son adoption par le Grand Conseil: elles touchent à l’entretien par nos Eglises de l’important patrimoine historique qui leur a été remis (biens incamérés), à l’usage de mesures de contrainte exceptionnelles (art. 7.1 de la LLE), aux dispositions limitant le possible usage du domaine public pour des activités cultuelles, aux restrictions vestimentaires exagérées concernant les élu-e-s. Sur ce dernier point, si nous sommes sensibles à une expression de neutralité religieuse pour les agents de l’Etat, nous estimons que le dispositif va trop loin s’agissant de personnes élues en toute connaissance de cause.
Ces réserves pourtant ne sauraient justifier d’écarter toute la loi d’un revers de main, au lieu de travailler de manière ciblée sur les points problématiques, que ce soit par processus judiciaire ou parlementaire. C’est ce travail ciblé qu’ont privilégié tel parti politique ou tel groupement religieux, et nous appuyons l’essentiel de ces démarches adaptées.
Nous nous élevons donc contre l’absence de vision à long terme des référendaires: sous couvert de nobles combats (libertés individuelles, protection du travail et des salarié-e-s, lutte contre les discriminations, affirmation socio-politique positive des femmes), ils s’avèrent incapables de prendre la mesure des enjeux du phénomène religieux, de ses risques résiduels sans processus de régulation, pour ne privilégier que la revendication de droits individuels là où il faut de la réflexion institutionnelle et un peu plus d’exigence critique face aux enjeux d’intégration. Genève est plurielle, constituée d’une magnifique mais délicate diversité; elle n’est pas une simple cohabitation multiculturelle – un projet politique étranger à notre expérience et qui n’a jamais reçu d’assentiment populaire. Le seuil que nous proposent les référendaires est bien trop bas pour être intéressant et stimulant.
Penser ensemble la laïcité et la paix religieuse (ou paix convictionnelle, pour étendre sa compréhension à la sociologie réelle de notre canton), c’est penser d’abord la citoyenneté en soi dans une communauté de destin exigeante, à la construction lente mais prometteuse, loin de la cohabitation molle des convictions ou d’un statu quo illusoire, insatisfaisant et finalement régressif.
Depuis passé un siècle, nos Eglises genevoises ont fait l’expérience d’éléments qui, d’abord vécus comme contrariants, diversement pour chacune, ont néanmoins forgé leur identité actuelle et ont contribué de manière positive à leur rapprochement comme à la promotion de la paix religieuse. Parce qu’elle est déterminante au niveau social et spirituel, c’est donc l’expérience que nous souhaitons à toutes les communautés religieuses comme à ceux et celles qui veulent vraiment contribuer à la qualité du lien social à Genève.
Pour cela, avec les nuances évoquées, nos Eglises recommandent d’accepter la Loi sur la laïcité de l’Etat et de voter OUI le 10 février 2019.