Nous sommes tous, par le baptême « ouvriers de la moisson », coresponsables en Eglise de la transmission de l’évangile, écrit l’abbé Alain René Arbez dans cette réflexion.
Priez « le Maître de la moisson » : bien sûr il s’agit de Dieu, maître des temps et de l’histoire. C’est le langage apocalyptique, de la fin des temps. Ici Jésus ne demande pas de prier dans l’attente d’une catastrophe, au contraire : il estime que la moisson humaine sera magnifique, qu’elle lève de partout et qu’il faudra des quantités de bras et de cœurs à l’ouvrage pour récolter tout le bien qui – grâce à Dieu – réussit à germer parmi les hommes !
Prier le Maître de la moisson : le but de cette prière n’est pas d’avertir Dieu sur quelque chose qu’il ne connaîtrait pas, il sait mieux que nous-mêmes où nous en sommes et de quoi nous avons besoin. En le priant, ce n’est pas Dieu qui change, c’est nous, si nous nous laissons éclairer et éduquer par son Esprit.
L’évangile évoque ici un moment particulier : avec ses disciples il va à la rencontre de tous ceux qui attendent la paix, la vraie, celle du Royaume qui transforme les cœurs de pierre en cœurs de chair. Ainsi, en se préparant à sa Passion, Jésus proclame que la présence de Dieu est réelle, mais pas seulement au Temple ou dans les rituels : il dit que Dieu est présent dans la vie la plus ordinaire de chacun, présent au cœur de la vie des hommes et des femmes. En vue de la moisson !
En évoquant ce moment où les moissonneurs se lancent vers les champs de blé quand le temps est venu d’en recueillir les épis bien mûrs avant l’orage, Jésus lance un appel solennel. Il l’adresse à tous ceux qui comprennent qu’ils sont, dès à présent, les collaborateurs du Père dans cette moisson des derniers temps : il s’agit de reconnaître et d’unir tout ce qui est digne du règne de Dieu : les attitudes de compassion, de respect des autres, de souci de la justice, les gestes de partage et de pardon.
Ce sont toutes ces gerbes spirituelles de réussite humaine au quotidien que le Maître de la moisson veut engranger dans ses greniers éternels (car lui – contrairement à nous – sait distinguer instantanément entre l’ivraie et le bon grain!) C’est pourquoi tout ce qui était sans valeur, représenté par la paille, sera éliminé par le feu, et seul le grain porteur de vie demeurera.
Par conséquent, le message apocalyptique de Jésus est clair : inutile d’attendre passivement la fin du monde pour s’en remettre au jugement dernier…Ce serait du fatalisme qui laisse le monde aller vers le pire. C’est donc maintenant qu’il est urgent d’anticiper et de réunir, au service de tous, les plus belles réalités qui correspondent au monde nouveau que nous attendons !
Avec Jésus, nous dit l’évangile, la moisson messianique a déjà commencé. D’où l’appel à être attentifs à ceux qui sont en détresse. Pour que le témoignage des envoyés en mission soit vraiment dans la continuité de l’histoire sainte, et que ce ne soit pas une religion de plus parmi d’autres, nous voyons que Jésus demande aux témoins de la Bonne nouvelle d’aller deux par deux.
Il envoie aussi 72 disciples, car le chiffre 72 représentait les nations du monde entier dans le livre de la Genèse. Deux par deux, c’est une référence légale dans la bible pour qu’un témoignage soit reconnu valide.
Ce ne sont donc pas des individus autoproclamés qui vont transmettre le message et agir, mais des ouvriers de la moisson apostolique, mandatés par Jésus et la communauté. On comprend que les électrons libres ou les petits groupes sectaires ne sont pas l’Eglise voulue par le Christ, dès ses débuts. Le sens communautaire de cette exigence exprimée par Jésus reste évidemment valable aujourd’hui : tout ce que nous réalisons par exemple dans le bénévolat, la catéchèse, la liturgie ou toute autre forme de témoignage, ne peut pas se réduire à nos sensibilités personnelles. Il s’agit de partager avec d’autres cette foi qui nous a été transmise en droite ligne depuis les apôtres.
C’est la succession apostolique qui valide la mission et ses objectifs. Les tâches doivent toujours être assumées en lien avec les prêtres responsables. La mission continue celle de Jésus lui-même, nous ne sommes que ses envoyés, ses serviteurs. D’où le besoin de s’effacer devant la Bonne nouvelle que l’on communique, car ce message est plus grand que nos individualités, il est relié à la personne de Jésus vivant, ressuscité.
D’abord, – ouvriers de la moisson – cette tâche n’est pas à prendre à la légère, nous sommes tous, par le baptême coresponsables en Eglise de la transmission de l’évangile. Puis nous ne pouvons transmettre cette annonce que dans un respect qui tient compte de ceux à qui nous l’adressons. Quand Jésus dit : paix à cette maison, cela veut dire : pas de contrainte, la foi se propose mais ne s’impose pas. Nous côtoyons des personnes, des jeunes et des moins jeunes, qui avancent dans la vie à travers des joies et des épreuves, et en se posant à juste titre de nombreuses questions sur l’existence… Nous sommes donc tous, prêtres et laïcs ensemble, envoyés à la rencontre de ces personnes que nous croisons ou accompagnons. Envoyés comme ouvriers à la moisson du Père par le Christ !
Et grâce à la prière, nous devons discerner le fait que tous ces êtres humains recèlent en eux un champ fructueux à moissonner pour le Seigneur. Il nous faut savoir découvrir que tous ont certainement dans leur vie énormément de bon grain à mettre en commun pour la moisson finale, même s’il y a en eux – comme en chacun et chacune d’entre nous- de l’ivraie !
Nous chercherons comment les aider à prendre conscience de tout ce que nous apporte la Parole de Dieu, la force qu’elle communique afin qu’ils tournent leurs regards vers ce proche horizon du royaume de Dieu.
Cet accomplissement de nos vies humaines se réalisera pleinement lorsque le Maître de la moisson rassemblera autour de lui la foule immense des pécheurs pardonnés que nous sommes. Alors l’Esprit nous transmettra cette communion qui anime la relation d’amour de Jésus au Père, avec une joie sans limites. Et nous entrerons dans la reconnaissance de tous ces visages transfigurés, connus ou inconnus, dans la lumière du Royaume de Dieu – amen.
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