Alors que Notre-Dame de Paris a été inaugurée le 7 décembre, l’église du Sacré-Cœur à Genève, elle aussi ravagée par les flammes en 2018, s’anime à nouveau depuis quelques mois. La communauté hispanophone a retrouvé sa «maison», partagée désormais avec des locataires aux activités variées.
«Encore une partie avant de passer à l’apéro!» Cinq amies jouent aux cartes joyeusement en cette fin d’après-midi de jeudi. Les chants classiques de Noël tournent en boucle dans la partie tea-room du restaurant l’Olivier du Sacré-Cœur, au centre-ville de Genève, qui a ouvert en juillet. «Nous fréquentons ce lieu, car il est central pour chacune de nous et que nous pouvons y jouer quelques heures au jass. Aujourd’hui c’est la quatrième fois que nous venons», explique Magali. Sont-elles des paroissiennes de l’église du Sacré-Cœur qui se trouve dans le même bâtiment? «Non. Mais nous avons visité les nouveaux locaux, très beaux, grâce à une amie qui travaille pour l’Eglise catholique romaine à Genève», ajoute Christiane.
Tandis que les retraitées trinquent au spritz – «D’habitude on boit une tisane, mais là on approche de Noël!» –, Laetitia Zbawicki veille à la préparation des tables pour le souper dans une salle attenante. «Je n’aurais jamais imaginé ouvrir un restaurant ici», confie la directrice de l’Olivier du Sacré-Cœur. Habitant le quartier, elle a senti depuis chez elle une odeur de brûlé en ce funeste 19 juillet 2018. Avant de voir les flammes attaquer la grande église aux fronton et colonnes. «C’était impressionnant et touchant de voir un lieu de culte qui s’embrase», déclare celle qui ne fréquente pas la messe.
Cette image n’est plus qu’un mauvais rêve: inaugurée le 31 mai 2024, la nouvelle église du Sacré-Cœur n’abrite plus seulement un lieu de culte et des salles paroissiales, mais aussi les bureaux de nombreux collaborateurs de l’Eglise catholique romaine à Genève (ECR), des salles de conférences et de fêtes disponibles à la location ainsi qu’un restaurant. Laetitia Zbawicki montre une petite paroi vitrée du restaurant qui donne sur l’église et un arbre vivant qui y a été planté et stabilisé – un rideau est descendu lors des célébrations. «Les clients qui connaissent l’endroit appellent pour réserver les tables près de l’olivier. Certains reviennent avec des proches ou des amis en disant qu’ils vont leur faire découvrir un lieu atypique», décrit-elle. Situé proche du quartier des banques et de plusieurs salles de spectacle, le restaurant affiche complet à midi et le soir l’affluence augmente, selon sa directrice. Qui a découvert au contact des employés de l’ECR «une Eglise plus ouverte et moins austère que ce qu’elle imaginait».
Quelques heures plus tôt, Inès saluait et rangeait le Saint-Sacrement après son exposition dans la petite chapelle rénovée du Sacré-Cœur. Avant l’incendie, la paroisse accueillait l’adoration perpétuelle dans la crypte, qui a été réaménagée pour d’autres activités. Sur proposition de l’ECR, la membre du comité et paroissienne de la communauté hispanophone du Sacré-Cœur depuis 19 ans a pris la responsabilité d’un temps d’adoration les jeudis de 12h à 14h: «Ce moment est fréquenté surtout par des membres de la communauté hispanophone; une dizaine de personnes passent un moment pour se recueillir».
Pour la Paraguayenne, la communauté composée de vingt nationalités, dispersée dans plusieurs paroisses genevoises durant six ans, est tout aussi nombreuse qu’avant l’incendie. «Nos activités ont repris à l’identique, par exemple les groupes bibliques, les groupes de prière et les fêtes selon nos traditions nationales respectives comme celles de la Vierge de Caacupé le 8 décembre et de la Vierge de Guadalupe le 12 décembre. Nos quatre messes dominicales sont très fréquentées et remplissent souvent l’église qui a une capacité de 250 personnes.»
Pour Martin, également membre du comité, la communauté hispanophone est restée unie et est revenue au Sacré-Coeur, même si une partie importante des paroissiens a été surprise par le nouvel espace liturgique où le prêtre est au centre et les bancs des fidèles sont face à face. «La moitié des personnes dans l’assemblée voient le prêtre de dos, les agenouilloirs ont disparu et la sacristie a été remplacée par une sorte de grand vestiaire fermé par un rideau.» Mais Martin précise: «Le fait d’avoir retrouvé une maison est plus fort que les subtilités».
Une maison partagée avec les collaborateurs de l’ECR et une petite communauté francophone dont fait partie Armel, qui anime tous les vendredis midi dans l’église un temps de prière autour de la liturgie des heures: «Je chante les psaumes et je les accompagne avec la kora, un instrument de musique à cordes d’Afrique de l’Ouest que j’ai appris à jouer au Sénégal auprès de la communauté des Frères du Sacré-Cœur». Selon Armel, ils ne sont pas plus de six à se réunir chaque vendredi, mais le nombre importe peu. «Un jour, je jouais seul tandis qu’un passant visitait l’église. Si cet art permet d’annoncer la Bonne Nouvelle ne serait-ce qu’à une seule personne, c’est le plus important.»
Depuis son bureau au 1er étage, Silvana n’entend pas – malheureusement, dit-elle – la douce musique d’Armel ni celle des élèves du Conservatoire de musique de Genève qui viennent répéter chaque mercredi dans une salle louée dans la Maison du Sacré-Cœur. «Dans ce même bâtiment, je sais que tous les soirs la messe est célébrée, je croise des paroissiens, des prêtres ou encore des musiciens en herbe. Cette proximité avec la vie de l’église et du monde nourrit le sens de tout ce que nous faisons ici.»
Texte et photos : Priscilia Viviani Chacón paru dans l’Echo magazine n°49