L’ART SACRÉ, UN CHEMIN VERS ET AVEC DIEU ? « À chaque époque, l’Église a fait appel aux arts pour exprimer la beauté de sa foi et proclamer le message évangélique de la magnificence de la création de Dieu, de la dignité de l’homme créé à son image et ressemblance, et du pouvoir de la mort et de la résurrection du Christ pour apporter rédemption et renaissance à un monde marqué par la tragédie du péché et de la mort. ».
C’est avec ces mots que le pape François avait accueilli les mécènes des Musées du Vatican en 2013. Par la beauté, l’art exprime l’insondable, nous fait entrer dans une expérience sensible et nous invite à nous tourner vers Dieu. Ainsi, lorsqu’il est mis au service de Dieu, l’art nous met en relation avec Celui qui est à l’origine du beau.
Le droit canon reconnaît l’importance de cette thématique et demande dans chaque diocèse une Commission des bâtiments ecclésiastiques et d’Art sacré. Actuellement, notre évêque a nommé une représentante pour l’art sacré au niveau diocésain.
Pour sonder la manière dont sa foi et l’art se répondent, nous avons rencontré une artiste : Agnès Glichitch,. Elle est iconographe et docteure en Histoire de l’Art. Elle nous parle notamment de l’écriture des icônes qui se pratique en priant.
Agnès Glichitch : Pourquoi la beauté dans le monde ? La beauté est un grand mystère, une grande question. Elle n’est pas utile, et pourtant elle est essentielle. Pour moi elle dit quelque chose de Dieu. Elle est de l’ordre de la pure gratuité et de la pure générosité. Et comme Dieu, elle pose question à notre monde qui pense pouvoir s’en passer.
Face à la beauté et à son mystère, je crois que l’attitude adéquate, la réponse juste est l’émerveillement. La beauté de la nature comme l’art invitent à cet émerveillement, qui est la grande porte d’entrée à notre réalité plus profonde, notre vie intérieure. C’est donc une ouverture et l’art sacré tout particulièrement a cette fonction d’ouvrir l’humain à une expérience spirituelle profonde.
L’art sacré est un art réglementé par une Tradition qui vise à la transformation spirituelle de la personne qui le pratique, comme de la personne qui en bénéficie. L’artiste transmet ce qu’il a reçu, le dépasse, en y mettant toute son attention, son talent, et le meilleur de lui-même.
L’art religieux est un art dont le thème est religieux, qui vise à transmettre une émotion, un mouvement de l’âme, celle de l’artiste qui, grâce à son talent, fait passer ce qu’il ressent face à ce qu’il peint. L’art religieux est donc dépendant de l’artiste, de son talent et du niveau de sa spiritualité, alors qu’en ce qui concerne l’art sacré, c’est l’artiste qui est dépendant de la Tradition et est à son service. C’est la raison pour laquelle l’artiste qui pratique l’art sacré ne signe pas ses œuvres, qui ne sont pas réellement siennes, contrairement à celui qui applique son talent dans un thème religieux.
L’art sacré, liturgique, parle à la totalité de la personne, y compris et en premier lieu au corps, il fait appel aux sens : l’ouïe pour la musique et le chant sacré, la vue pour la peinture, l’architecture ou la sculpture, l’odorat pour l’encens, etc. Cette dimension sensible va aider la personne à être centrée et à entrer en relation avec Dieu. Mais on pourrait dire aussi que tout art véritable est sacré, à partir du moment où il vient toucher quelque chose qui dépasse l’émotionnel, le psychisme ou encore l’intellect. L’art véritable permet une résonance et nous met en relation avec une réalité plus profonde, qui traduit l’invisible par le visible ou le sensible.
L’icône est une manière de dire Dieu et sa beauté. Un art d’Église qui relève d’une très ancienne tradition. Elle a une grande importance pour les orthodoxes et les chrétiens d’Orient, pour qui l’image est équivalente à la Parole, à l’Écriture Sainte : le Christ est à la fois Image et Parole de Dieu. Il y a beaucoup de styles différents, et dans chaque région on a une manière particulière de peindre, mais c’est toujours une pratique codifiée. La forme a autant d’importance que le fond.
En règle générale, on part des couleurs les plus sombres pour finir par les plus claires, on va des ténèbres à la lumière. La peinture d’une icône est un cheminement à la rencontre de Celui ou Celle qui se révèle progressivement sur la planche, à travers les différentes étapes que nécessite cette pratique. La personne qui peint une icône dans la prière est actrice et témoin de ce dévoilement sur la planche, au fur et à mesure de l’avancement du travail.
En Occident, la Renaissance a marqué une grande rupture avec cette tradition, car on est passé à une représentation et une vision extérieure du monde, alors que l’art de l’icône, au sens large, est un appel à aller vers l’intérieur. C’est un art figuratif non naturaliste, « transfiguratif » dans le sens où l’on approche d’un autre monde que le nôtre, plus précisément de celui que les Évangiles appellent le Royaume, en entrant en relation avec une personne toute façonnée par la lumière divine. Ce que nous sommes appelés à devenir. Nous sommes dans la même expérience que la lectio Divina, où la lecture n’a pas pour objectif d’apprendre quelque chose, mais de s’ouvrir à une rencontre. C’est une démarche de « fréquentation ».
BIO express
Agnès Glichitch est iconographe et docteure en Histoire de l’Art (www.peintre-icones.fr). Elle enseigne et expose ses créations d’icônes en France et en Suisse. Elle anime les ateliers de peinture d’icônes proposés par le Service de la Spiritualité de l’Église catholique romaine à Genève.
Agnès Glichitch a notamment réalisé le polyptyque de l’Épiphanie, patronyme de l’église du Lignon où il a été inauguré en 2021, et l’icône de l’église Sainte Marie-du-Peuple, réalisée en 2010.
De nationalité française et suisse, son nom trahit des origines plus orientales, celle de son grand-père serbe, émigré en France avant la Première Guerre mondiale.
Baptisée dans l’Église catholique romaine, chrismée* (ointe avec le saint chrême) dans une Église Orthodoxe occidentale, elle a commencé à apprendre l’art de l’icône en 1981 à Paris, auprès d’un iconographe d’origine russe (Georges Drobot). Parallèlement, elle a obtenu un doctorat d’Histoire de l’Art, avec une spécialisation en iconographie byzantine, en 1990 (Paris I).
Texte paru dans le journal REGARD n° 17 ( août 2023)
Image en Une – La Création d’Adam» de Michel-Ange – chapelle Sixtine (Vatican) © Domaine public