L’abbé Alain-René Arbez nous livre une réflexion sur la réputation de violence de quelques textes bibliques.
Récemment, La Croix donnait la parole à un homme réfugié au Liban, lequel expliquait les exactions barbares de l’État islamique – non pas en rappelant sa référence aux injonctions coraniques les plus belliqueuses – mais tout simplement en rattachant les odieux massacres islamistes au Livre de Josué dans la Bible hébraïque !
Il considère donc que les islamistes ont puisé leur inspiration meurtrière dans le récit biblique, laissant entendre qu’au fond, il ne s’agit de leur part que d’une application comme une autre du texte inspiré… Ainsi, cette assertion insensée démontre surtout comment l’idéologie peut dévoyer la connaissance des textes bibliques afin de justifier l’injustifiable.
La Bible a une telle réputation de violence, que beaucoup imaginent son Dieu infréquentable. Cet argument permet aux tenants du politiquement correct de minimiser la violence islamiste en l’associant à des récits de la Bible pris à la lettre. Le discours biblique fait-il vraiment couler le sang avec complaisance tel un film d’horreur? Certains – marcionites sans le savoir – atténueront ce reproche visant surtout le premier testament en précisant que l’évangile, lui, au moins, nous présente un Dieu non-violent ! Argument trop simpliste, car paradoxalement, le premier Testament nous offre des passages majeurs, empreints de la tendresse de Dieu, comme avec Osée, ou encore les psaumes, tandis qu’en contrepartie le Nouveau Testament recèle des pages où s’affichent la violence humaine et la fureur divine ; c’est le cas de l’apocalypse de Jean, censée clore la révélation judéo-chrétienne…
Mis sur le marché des idées au IIème siècle par Marcion l’hérésiarque excommunié, utilisé durant des siècles d’antijudaïsme arrogant, le cliché du « Dieu des juifs violent et du Dieu bon des chrétiens » ne résiste cependant pas à une analyse sérieuse.
Certes, on trouvera de la violence dans quelques récits des deux parties de la Bible, (ancien et nouveau testament), mais au premier degré cela nous signale avant tout que l’Écriture sainte n’est pas un livre religieux édifiant, aseptisé, qui nous présenterait une humanité idéalisée, avec des vérités à croire préemballées et des règles à pratiquer sans réfléchir. La Bible n’est pas un prêt à penser ! Comme le disait Calvin avec justesse, les Écritures saintes sont le « miroir de l’âme humaine ». C’est surtout la longue histoire d’une relation vivante et constructive, celle de l’alliance de Dieu avec son peuple – Israël et Église – composé d’êtres humains imparfaits, mais appelés à se laisser transformer maintenant (olam hazè) par l’Esprit de Dieu pour accéder au monde à venir (olam haba).
Avec le prisme déformant de la culture ambiante et de la confusion relativiste ignorant les genres littéraires, une approche superficielle des Écritures peut confronter le lecteur à un Dieu repoussant. Un œil superficiel se posera des questions : à peine le Créateur a-t-il lancé le monde dans l’aventure de la vie, qu’il décide de l’annuler par le déluge, à l’exception d’une famille ! Quand Yahvé libère son peuple d’Egypte, il le fait au prix de la mort des premiers-nés égyptiens, et lorsque les rescapés de l’exode arrivent en Terre promise, c’est le bain de sang parmi les tribus de Canaan circulant dans la région !
Le risque d’aplatir le récit, de l’anecdotiser et de le déformer à l’aune de nos concepts modernes est donc réel, et on y perdrait facilement le fil conducteur de la Révélation biblique, qui nous parle essentiellement d’un Dieu de justice, de vérité et de paix, un Créateur-Sauveur qui fait passer l’humanité des ténèbres à la lumière. Le Dieu de la Pâque est aussi le Dieu des dix commandements, ancêtres des droits de l’homme.
Culturellement, il est clair que pour les anciens, Dieu est à l’origine de toute chose et de tout événement heureux ou malheureux. On ne perçoit pas encore la notion de causes secondes ou d’initiative humaine. Encore que la responsabilité des hommes dans les malheurs soit toujours fortement soulignée dans les récits, dans le but de responsabiliser et de défataliser.
Pourtant, si le Dieu des Israélites était dénommé « le Dieu ami des hommes » dans l’antiquité, c’est bien parce qu’il se comportait à l’opposé de la divinité mythologique grecque jouant de manière sadique avec la destinée humaine.
En ce qui concerne par exemple l’épisode de Josué entrant en Terre promise, les controverses sont fréquentes et les polémistes y trouvent une référence trop facile.
Toutefois, l’honnêteté intellectuelle minimale exige de faire le lien entre le livre de Josué à tonalité conquérante, et les réalités historiques reconstituées par les spécialistes. Malgré la dureté expressive du texte, on sait aujourd’hui que la constitution d’une confédération de tribus sémites s’est en réalité effectuée pacifiquement dans cette région. Les cités-forteresses jusqu’alors vassales de la puissante Egypte se sont solidarisées librement pour se libérer, et les archéologues affirment scientifiquement que les murailles de Jéricho ne se sont pas effondrées sous un assaut conquérant des Hébreux. Le texte prend alors une autre signification, car la mention de processions répétées autour de la cité de Jéricho reflète plus une prière liturgique qu’une stratégie militaire. Les murailles tombent, à la manière dont la Parole de Dieu déplace les montagnes, bouscule les repères et ouvre des perspectives nouvelles à ceux qui se sentaient enfermés dans l’oppression.
Alors pourquoi le texte s’est-il forgé une réputation aussi belliqueuse? Sans doute en raison d’une lecture littéraliste – hélas encore pratiquée par certains – car au moment où ce récit combatif s’articule de cette manière, le fragile Israël tremble devant la sérieuse menace assyrienne et il s’agit, par une épopée volontariste, de redonner un moral de résistants à des populations qui se voient déjà anéanties. Le risque d’en tirer aujourd’hui des conclusions incitant à l’agression reste inexistant à notre époque : les populations ennemies mentionnées n’existent plus de nos jours ! Partir à l’assaut des Amorites ne fera pas beaucoup de victimes en 2020… à l’inverse, lorsque des islamistes vont chercher dans le coran les versets demandant aux « vrais croyants » d’éliminer les adversaires du projet d’Allah, (nommément les juifs et les chrétiens), cela représente sans conteste un risque majeur pour nos contemporains, puisque les membres de ces deux communautés sont présents dans le monde entier…
Mais dans le débat sur le caractère soi-disant agressif du Livre de Josué, on oublie souvent un autre chapitre du même récit, celui où les éclaireurs envoyés par le même Josué sont sauvés par Rahab, la prostituée étrangère qui les cache dans sa maison. Dans ce cas précis, le message se lit dans un registre nettement pacifiant, car le texte conclut que pour résoudre les problèmes dans l’urgence, on a besoin les uns des autres, au-delà des différences et des classifications sociales.
Sur le terrain de la brutalité, Paul médite sur le mystère de la crucifixion de Jésus, lui, le Pharisien devenu un temps radical, mais ayant finalement renoncé à toute violence après son expérience du Christ ressuscité. C’est pourquoi il annonce avec conviction la fin de ce cercle vicieux : « la mort a été engloutie dans la victoire » (1 Cor 15.54). La scandaleuse croix infligée par Rome au rabbi juif Yeshua a visibilisé la supériorité de l’amour vécu jusqu’au bout, dans une même fidélité envers Dieu et envers les hommes…
C’est la vie qui l’a emporté : de par la « résurrection », son être personnel et sa cause en faveur de l’homme ont survécu à la tentative d’élimination. Cette exaltation d’une dignité humaine victorieuse des tyrannies grâce au lien avec le Dieu de Vie concernera tous les amis de la paix par son message libérateur et créateur d’avenir.
C’est une véritable profession de foi en une humanité délivrée des engrenages mortels de la violence. L’amour étant capable de vaincre la mort, il est, sous toutes ses formes, ce qui fait vivre ; ainsi, toute agressivité mortifère est déjà potentiellement vaincue dans ses prétentions. La foi en l’avènement de la paix locale et mondiale – malgré les apparences contraires – est omniprésente tout au long des Écrits bibliques.
Reste à défendre et actualiser cette paix dans les situations d’aujourd’hui, à travers le dialogue, le respect mutuel, la réciprocité, mais aussi quand il n’y a plus d’alternative et danger de disparition, le rapport de force défensif…
Nous sommes tous conscients de la complexité géopolitique qui se renforce de jour en jour avec l’accélération des événements, mais c’est bien dans ces réalités périlleuses que l’étendard éthique du respect de la vie doit se lever avec intelligence face aux protagonistes d’une culture de mort et de domination totalitaire.
Abbé Alain René Arbez, mai 2020
Image:©DR