Les pèlerinages sont une pratique commune à la plupart des religions : pèlerinage à la Mecque pour les musulmans, à Varanasi (ou Bénarès) considérée comme la capitale spirituelle de l’Inde par les pèlerins hindous qui viennent se baigner dans les eaux sacrées du Gange ou encore à Saint-Jacquesde-Compostelle, Lourdes, la Terre Sainte ou autres sanctuaires qui honorent la Mère de Dieu et les saints pour les chrétiens.
Le pèlerinage est ainsi en premier lieu une démarche de foi, un temps de prière et de pénitence. Le pèlerin est quelqu’un qui s’engage avec son corps dans une marche, un déplacement vers Dieu. En marchant « nous laissons de côté les sécurités auxquelles nous nous accrochons » et entrons dans un processus de conversion et de rencontre avec celui qui nous montre « le chemin de la Vie », selon les mots du pape François.
Au fi l du temps, les pèlerinages ont évolué. Aujourd’hui les motivations des pèlerins peuvent varier énormément, allant de la quête spirituelle à l’exploration personnelle, en passant par le désir de se reconnecter avec la nature.
Pour analyser l’évolution récente de cette tradition millénaire, nous avons rencontré la sociologue des religions Isabelle Jonveaux.
Entretien avec Isabelle Jonveaux, sociologue des religions et responsable de l’antenne romande de l’Institut suisse de sociologie pastorale (SPI).
Bien qu’il soit difficile de fournir des estimations précises, il semble que dans plusieurs régions d’Europe, on observe une augmentation du nombre de pèlerins. Un phénomène de mode ou une modification plus profonde des comportements ?
Il y a effectivement un essor du nombre de pèlerins, mais également une envolée de l’intérêt général pour les pèlerinages, avec celui de Saint Jacques de Compostelle en tête de manière très, très large. Il se manifeste par exemple par une expansion importante des publications sur le thème : manuels, témoignages et guides pour accompagner les pèlerins. Nous observons également un déploiement de « nouveaux » chemins de pèlerinage, avec par exemple des itinéraires de Saint-Jacques de Compostelle, nouvellement marqués et balisés aussi en Suisse, motivé parfois par l’attrait touristique que cela peut engendrer. S’agit-il d’un phénomène de mode ou d’une modification plus profonde des comportements ? Probablement les deux ! Il y a sans doute un phénomène de mode, dans le sens où plus on parle d’un sujet, plus nombreuses sont les personnes qui vont s’y intéresser. D’autre part, le pèlerinage connaît un regain d’attention, car il correspond bien aux nouveaux besoins spirituels, au sens large du terme. Dès lors, il n’est pas nécessairement ancré dans la religion chrétienne. Il s’agit d’un voyage intérieur autant que physique qui attire un public très diversifié, contrairement à d’autres démarches religieuses, et qui répond à plusieurs attentes : quête de spiritualité, de sens et de connexion avec le divin ou avec soi-même.
Vous avez étudié l’essor de la pratique du jeûne, observé tant dans le monde laïc que parmi les chrétiens. Pour beaucoup il s’agit de retrouver une harmonie avec soi-même, son corps et son environnement naturel. Est-il possible de faire le même constat dans nos sociétés pour le pèlerinage ?
Oui, les profils sont souvent les mêmes et il y a beaucoup d’aller-retour entre ces deux pratiques
Ce que les croyants cherchent dans le jeûne et le pèlerinage est proche : un besoin de réincarner la pratique religieuse. Le pèlerinage, c’est prier avec les pieds, comme on dit, et cela passe par le corps, par un dépassement de soi, par des souffrances que l’on va surmonter, comme dans le jeûne. Le pèlerin traverse des épreuves comme le jeûneur pour en ressortir plus fort, différent, transformé. Il y a de nombreuses dimensions qui se recoupent, y compris dans les profils.
L’idée de déplacement propre au pèlerinage est également présente chez beaucoup de jeûneurs, qui parfois se retirent ailleurs, hors de leur vie sociale habituelle pour jeûner. De nombreux pèlerins partent seuls, ce qui leur permet d’avoir une autre identité, signifiée par le carnet du pèlerin, qui devient le document qui va compter le plus durant tout le pèlerinage.
Seule une partie des personnes accomplissent cette démarche pour chercher Dieu, la majorité est dans une quête de soi. Beaucoup se mettent en marche pour prendre de la distance par rapport à leur propre vie, se désencombrer ou encore remettre les choses en perspective.
Parmi les motivations, on trouve également le désir de s’inscrire dans une tradition millénaire et une mémoire collective pour se rattacher aux générations passées qui ont vécu la même expérience.
Accomplir un pèlerinage coïncide souvent avec une période de transition, par exemple le départ à la retraite, aussi pour réfléchir à comment vivre les années qui arrivent, forcément différentes sans le travail. Il s’agit pour la plupart de facteurs que l’on retrouve chez les croyants et les non-croyants.
Qui sont les pèlerins chrétiens du XXIe siècle et en quoi se différencient-ils de ceux du passé ?
Ce n’est pas toujours facile de distinguer de manière claire ce que viennent chercher les chrétiens et les autres pèlerins, car de nombreux chrétiens pèlerinent aussi pour se chercher eux-mêmes, tout en ayant une recherche plus religieuse par la présence de la prière.
Dans le profil des pèlerins chrétiens contemporains, comme chez les jeûneurs, on trouve fréquemment des personnes en crise personnelle à la suite d’un divorce ou encore une maladie qui cherchent un sens à leur souffrance et qui ne trouvent pas forcément les réponses dans leur vie de foi classique. Des individus en quête d’un nouveau départ.
Parfois, le pèlerinage est lié à une prise de décision, il est dès lors un temps de réflexion, dans une démarche assez classique dans la théologie chrétienne, un temps pour se mettre devant Dieu pour discerner un choix de vie, un engagement.
Aujourd’hui la dimension d’expiation du péché est moins présente que par le passé si l’on se réfère à l’expiation vis-à-vis de Dieu. Toutefois, l’expiation vis-à -vis de soi-même, de ce que l’on porte en soi et qui fait mal reste présente. Des pèlerins portent une pierre avec eux tout au long du chemin et la déposent une fois arrivés à destination, avec la symbolique que l’on se décharge et on se libère de ce poids que l’on portait, par exemple une blessure, une expérience difficile, rarement un péché envers Dieu. Aujourd’hui, la théologie du péché est moins présente dans l’Eglise catholique.
Isabelle Jonveaux a effectué sa thèse de doctorat soutenue en 2009 à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris) et à l’Université de Trente (Italie) sur l’économie des monastères contemporains. Elle est habilitée en sociologie des religions de l’Université de Fribourg. Depuis le 1er septembre 2023, elle est responsable de l’antenne romande de l’Institut suisse de sociologie pastorale.
Elle a notamment publié. Une culture de la satiété. Enquête sociologique sur le jeûne comme expérience spirituelle (Presses Universitaires de Rennes, 2024), Moines corps et âme. Une sociologie de l’ascèse contemporaine (Paris : Le Cerf 2018) et Le monastère au travail : Le Royaume de Dieu au défi de l’économie (Paris : Bayard 2011)
Déjà au temps de Jésus, tout juif était tenu de se rendre à pied au Temple de Jérusalem lors de trois fêtes de pèlerinage : Pessa’h (« la Pâque »), Chavouot (la « Pentecôte ») et Souccot (« Tabernacles »).
Dès les premiers temps du christianisme, des fi dèles se rendent sur les lieux saints associés à la vie de Jésus-Christ. Mais c’est au Moyen-Âge que cette pratique connaît un important essor. Des pèlerinages locaux et régionaux se développent sur les routes à destination de sanctuaires réputés pour leurs reliques, tels que Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne ou encore Rome, sur les tombes des apôtres Pierre et Paul. Ces pèlerinages sont souvent associés à des pratiques de dévotion, de pénitence et d’indulgence. On se souvient du célèbre voyage à Canossa entrepris par Henri IV en 1077 pour s’agenouiller devant le pape Grégoire VII pour que ce dernier lève l’excommunication qui le frappait.
Au cours des croisades (XIe-XIIIe siècles), de nombreux pèlerinages ont été entrepris vers la Terre Sainte dans le but de libérer Jérusalem et d’autres lieux saints du contrôle musulman.
La Réforme protestante a remis en question certaines pratiques catholiques, y compris les pèlerinages. Cependant, de nombreux pèlerinages ont persisté. Au cours des derniers siècles, certains pèlerinages ont regagné en popularité, notamment le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle et celui de Lourdes.
REGARD 21 – juillet 2024