En 1901, une figure emblématique de la sculpture européenne voit le jour à St-Sulpice, Neuchâtel. Roger Ferrier, sculpteur et pédagogue de renom, se lance dans un périple artistique et éducatif qui le mène à influencer profondément les paysages urbain et culturel genevois. Sa naissance coïncide avec une époque de profondes mutations artistiques, offrant un terreau fertile à son talent et à sa vision. Le parcours de Ferrier, marqué par un apprentissage rigoureux et des collaborations prestigieuses, dépeint l’histoire d’un homme dédié à l’excellence dans l’art de la sculpture sur pierre et dans la transmission de son savoir.
Roger Ferrier, sculpteur et enseignant, est né le 5 novembre 1901 à St-Sulpice (Neuchâtel). Il est décédé le 8 octobre 1977 à Genève et repose dans le cimetière du Bois de Vaud à Lausanne avec ses parents et plusieurs de ses frères et sœurs, sous le monument qu’il avait lui-même taillé. Roger Philippe Ferrier était le douzième enfant d’un industriel de pâtes de bois de Les Verrières. Il a étudié au Collège classique de Neuchâtel, puis il a fait un apprentissage d’un an chez un architecte bernois (Dachselt), et c’est là qu’il a pris sa décision d’étudier la sculpture. Il est entré à la Gewerbeschule de Berne pour y suivre des cours de dessin, de perspective, de modelage et de ciselure. Après deux ans d’études à Berne, il est entré à l’Ecole des Arts Industriels de Genève, dans la classe de sculpture sur pierre et reçut son certificat après trois années d’apprentissage. En parallèle, il a suivi les cours du soir à L’Ecole des Beaux-Arts. Dès sa sortie de l’école, il a gagné sa vie en travaillant de façon saisonnière à Berne et à Genève en utilisant les gains réalisés à faire de la sculpture, à s’instruire et à voyager. Tout en fournissant des modèles industriels et artistiques à la fonderie Kugler à Genève, il a collaboré avec une maison de staff de Berne.
C’est grâce à ces collaborations qu’il est entrée en relation avec des architectes qui lui ont conféré des travaux de sculpture. Il a représenté pendant un an le Consortium marbrier de France Fèvre & Cie et a eu à s’occuper des revêtements des façades de la Société des Nations (SDN) et de questions relatives au monument Albert Thomas au Bureau International du Travail (BIT), tous deux situés à Genève.
Un chapitre fondamental de la vie de Roger Ferrier a été celui de l’enseignement, principalement à Genève dans le public et le privé.
Roger Ferrier avait établi de solides liens d’amitié avec Adolphe Guyonnet, qui l’a présenté au Groupe de St-Luc, constitué officiellement en 1932, il a réuni jusqu’à 150 membres, avant tout des artistes formés aux Ecoles des Beaux-Arts ou des Arts Industriels
En 1939, l’architecte Adolphe Guyonnet a confié à Roger Ferrier la réalisation des éléments du nouveau plafond de l’église du Sacré-Cœur. Roger Ferrier a en effet réalisé en stuc 14 thèmes différents pour 24 panneaux de grandes dimensions. Parmi les motifs décoratifs du plafond, qui mesure 30 mètres sur 12 mètres, on trouve :
Le monogramme du Christ, appelé également Chrisme, est un symbole chrétien formé parles deux majuscules grecques X (chi) et P (rhô), la première étant apposée sur la seconde. Ces deux lettres sont les premières du mot grec qui signifie Christ.
Le Poisson, les premiers chrétiens persécutés par les autorités romaines l’utilisaient comme code secret pour se reconnaître entre eux. Ce symbole est le signe de la Résurrection, celui de l’eau du baptême et de tous les chrétiens baptisés dans la piscina ou le baptistère.
L’Eucharistie, évoque le Christ avec le blé (corps), les raisins (sang), l’aiguière (le Saint-Graal) et le tournesol se référant au rayonnement du Christ
Le Cerf, dans le bestiaire biblique, cet animal est symbole de fertilité, longévité et résurrection
Les quatre évangélistes, à savoir Saint Mathieu représenté par l’homme-ange ; Saint Marc et le lion, Saint Luc et le taureau, Saint Jean et l’aigle
Le pélican, se donne lui-même en pâture à ses petits, et qui représente Jésus-Christ
L’Agneau pascal, représente le sacrifice ultime du Christ pour la rédemption des hommes.
Le blason du pélican et de l’agneau pascal ont été supprimés après l’incendie lors de la rénovation du Sacré-Cœur afin de permettre la création du puits de lumière au fond de l’église, devant l’olivier.
L’eau d’extinction de l’incendie survenu le 19 juillet 2018 a gravement endommagé plusieurs parties artistiques du bâtiment. Les médaillons en staff qui ornaient le plafond de l’église – et qui sont un symbole restant de l’origine franc-maçonne du bâtiment – ne sont plus en état d’être restaurés. Selon les experts, les médaillons devaient être reconstruits à neuf, sur la base de moulage des anciens médaillons, de même que le plafond de la nef. Les colonnes de la nef ont dû être toutes renforcées (pour tenir le poids de la rénovation du bâtiment) et restaurées complètement, y compris les chapiteaux et les socles de colonne. Le Service des Monuments et Sites a également imposé aux artisans de retrouver la couleur originale de peinture de quelques colonnes.
Le tétramorphe, ou les « quatre vivants », ou encore les « quatre êtres vivants », est l’ensemble des quatre créatures ailées qui tirent le char de la vision d’Ézéchiel (Ez 1 ; 1-14). D’abord décrit dans le Livre d’Ézéchiel, il est repris dans l’Apocalypse (Ap 4:7-8). Plus tard, les Pères de l’Église y ont vu l’emblème des quatre évangélistes avec leurs attributs : le lion pour Marc, le taureau pour Luc, l’homme-ange pour Matthieu et l’aigle pour Jean. Ils accompagnent souvent les représentations du Christ en majesté.
L’homme-ange est Matthieu : son évangile débute par la généalogie humaine de Jésus.
Le lion est Marc : dans les premières lignes de son évangile, Jean le Baptiste crie dans le désert (« un cri surgit dans le désert »).
Le taureau est Luc : aux premiers versets de son évangile, il fait allusion à Zacharie qui offre un sacrifice à Dieu, or dans le bestiaire traditionnel, le taureau est signe de sacrifice.
L’aigle est Jean : son évangile commence par le mystère céleste.
Le plafond de Roger Ferrier dans l’église du Sacré-Cœur a retrouvé tout son éclat, nous vous invitons à venir l’admirer.
Roger Ferrier aimait à dire « Mon œuvre n’est pas dans les musées, mais dans la vie »
SD&C juin 2024