L’Abbé Alain René Arbez résume dans cet article l’histoire passionnante de l’Eglise à Genève du premier siècle à l’an mille.
Les premières traces humaines sur le site de Genève remontent à 5000 ans. Sur les rives du Léman se dressaient des villages lacustres sur pilotis. Les vestiges archéologiques montrent que la colline de la Vieille Ville a commencé à être habitée autour de 1000 av. JC. Vers 500 avant notre ère, des Allobroges (Celtes) s’y installent dans une fortification. Mais en 121 av. JC, les Romains soumettent la région, assimilée à la Gaule Transalpine.
Genève (Genua, le genou, rappelant le tracé du Rhône) devient célèbre lorsqu’en 58 av. JC, Jules César en personne, (cf De Bello Gallico) vient dans la cité pour couper la route aux Helvètes en plein soulèvement, raison pour laquelle il détruit le pont sur la rade et installe ses troupes dans un oppidum. C’est ce qui va faire de Genève une ville romaine.
Genève détient par la suite une position unique entre la Gaule, l’Italie et la Germanie, située au carrefour de deux voies romaines majeures : l’une venant de Rome par Milan, l’autre venant de Vienne et se dirigeant vers la Séquanie.
Après un incendie général au milieu du premier siècle, Genève est reconstruite avec des matériaux durables et dans un style citadin, entourée d’une muraille fortifiée. Au sommet de la colline se dresse le Temple d’Apollon. Dans les rues Basses se trouvent les foires et marché. A Plainpalais s’élève une arène pour les jeux.
C’est en 57 que, selon la tradition, Nazaire, disciple de Lin, arrive à Genève. Invité dans un cercle de requérants spirituels, il y pose les bases de la foi judéo-chrétienne. Un jeune homme nommé Celse se convertit, citoyen de Genève évoqué plus tard par Saint François de Sales.
Étant donné les allées et venues de nombreux voyageurs du sud vers le nord, le christianisme peut donc commencer à germer au bord du Léman dès le milieu du 1er siècle.
Les historiens Blavignac et Blanchet rapportent même que, selon des traditions et certains monuments, l’apôtre Pierre en personne serait venu à Genève, passant par Aoste, pour dispenser des enseignements bibliques.
L’évangélisation se propage par relations, sans publicité. Un prêtre nommé Peregrinus envoyé aux Gaulois par le pape Sixte I vient à Genève où il célèbre le baptême de plusieurs habitants de la cité touchés par l’évangile du Christ. Une conversion retentissante est celle du prêtre d’Apollon qui demande le baptême et reçoit par la suite l’imposition des mains pour devenir prêtre chrétien dans la jeune communauté. Il meurt considéré comme un saint, après une vie de dévouement aux pauvres et à la cause de l’évangile. Deux noms de témoins majeurs de la petite Église naissante apparaissent : Hygin et Telesphore.
Le premier évêque résidant à Genève serait vraisemblablement le romain Dominius, à l’époque où l’empereur Constance accède au pouvoir à la suite de Dioclétien. L’évêque Dominius parvient à persuader le nouvel empereur de Rome de renoncer aux persécutions antichrétiennes. Après Dominius, ce sera un moine de Grande-Bretagne, Eleutherius, que choisit le pape Sylvestre pour la fonction épiscopale à Genève. C’est à cette époque, le 4ème siècle, que l’empereur Constantin accorde au christianisme un statut reconnu, sans pour autant interdire les anciens cultes païens.
Les successeurs d’Eleutherius à la tête de l’Église genevoise sont Nicéphore, qui combat l’arianisme. Puis Hormisdas, confronté au retour des persécutions antichrétiennes sous Julien l’Apostat. Diogène, qui participe au concile d’Aquilée où est condamné collégialement l’arianisme. Isaac, dont le témoignage personnel permet à Eucher, évêque de Lyon, de populariser le martyre de la légion thébéenne de Saint-Maurice.
Fin 4ème siècle, c’est le Strasbourgeois Théophile qui reprend les rênes de l’Église de Genève et en plaide la cause au concile de Turin, afin de lui fournir des aides et des secours significatifs.
Alors que les Romains avaient été maîtres du Léman durant cinq siècles, voici que commence l’ère des Burgondes puis des Francs.
Les Burgondes, Germains venus du Rhin, renversent le pouvoir romain. Gundioch est reçu à Genève comme un libérateur, tant les populations lémaniques ont souffert sous le poids des impôts romains. Gundioch fonde le royaume de Burgondie, territoire sur lequel se situe Genève. Son fils Gondebaud choisit donc Genève comme capitale.
Les flux d’invasions barbares se succèdent. Les peuples devenus chrétiens se tournent vers les évêques pour leur demander protection et intervention. Leur médiation auréolée d’une reconnaissance spirituelle par les envahisseurs aboutit souvent à la suspension des pillages et des destructions. Les chefs temporels locaux, admirateurs du courage des évêques, les dénomment volontiers « defensores civitatum ».
Au 5ème siècle, Salonius, fils de Eucher, évêque de Lyon, devient évêque de Genève. C’est à cette période que le pape Léon 1er met sous la responsabilité de l’archevêque de Vienne les Églises de Grenoble, Valence, Tarentaise, et Genève. Salonius participe au premier concile d’Orange en 441, et à celui d’Arles en 450.
Son successeur est Théolaste, qui connaît l’époque néfaste où l’hérésie arienne commence à pénétrer l’Église de Genève et à semer la division. Des conflits familiaux sanglants dans la dynastie burgonde brouillent les cartes du pouvoir et assombrissent brutalement les perspectives. C’est alors que la main de la princesse burgonde Clotilde résidant à Genève est demandée par Clovis, qui a entendu louer sa beauté et ses qualités humaines.
Clovis n’est pas chrétien, mais la foi lumineuse de sa fiancée le bouleverse. L’intérêt politique de Clovis eût été de choisir le camp de l’arianisme, de plus en plus répandu en Europe et plus favorable à des alliances. Mais Clotilde est convaincante et Clovis choisit la foi catholique pour recevoir le baptême du Christ.
C’est ainsi que la princesse genevoise a contribué à ce que son époux le roi des Francs devienne un membre de l’Église catholique.
En 502, la sœur de Clotilde fonde une église sur l’emplacement de l’ancien temple d’Apollon, sur la colline dominant Genève. Domitien, évêque, la consacre sous le vocable de basilique de Saint-Victor.
Les successeurs de Domitien sont Maxime, Pappulus, Grégoire et Nicetius.
En l’an 563, l’éboulement d’une montagne en Valais provoque un terrible raz de marée qui en suivant le cours du Rhône traverse le lac Léman, et provoque une crue catastrophique sur les rives. Il y a des victimes et beaucoup de dégâts. A l’évêque Salonius succède Cariatto, qui exerce une influence bénéfique sur le roi Gontram, aux mœurs barbares. Ouvert à ses conseils, celui-ci accepte de réformer son attitude et se fait soudain le protecteur des pauvres et des souffrants de Genève.
Les États de Gontram passent à son neveu Childebert. Les évêques suivants sont Rusticus et Patrice. Rusticus participe au concile de Londres.
Ensuite arrive Apellinus. C’est alors que vient dans la région le célèbre Colomban, moine irlandais prêchant la pénitence dans toute l’Helvétie. Il tient un langage exigeant, dénonçant ceux qui par leur inconscience ressemblent à une effigie d’or à l’extérieur, mais ne sont que boue à l’intérieur. Contesté pour la radicalité de tels propos, Colomban reçoit au concile de Mâcon le soutien d’Apellinus, évêque de Genève.
Puis vient Pappolus II, qui meurt durant son voyage à Rome, aussitôt suivi de Robert 1er, puis d’Adrianus, d’Eposaldus et d’Albo.
Hupportunus prend ses fonctions sur le siège épiscopal de Genève avec la confiance de Charles Martel. Il convoque un concile à Genève en 726, auquel prennent part les Églises de Vaud et Neuchâtel. 116 évêques et 140 abbés de monastères sont présents.
En 773, Charlemagne, ami des arts et de la connaissance, convoque un synode à Genève. Gilabertus est évêque de Genève et devient un conseiller écouté. Charlemagne est couronné empereur des Romains en l’an 800.
Puis viennent les évêques Walternus et Astaldus. Et c’est le tour d’Angesige, citoyen de Genève, qui est élu au siège épiscopal. Après lui, Optandus, est unanimement investi par le peuple et par le clergé. Ses opposants sont évincés par le pape Jean VIII qui confirme l’élection. Puis on trouve Apradus, et Franco.
Après les divisions entre Carolingiens, Rodolphe 1er reconstitue le royaume de Burgondie. Mais il est attaqué par Arnolphe, roi de Germanie, qui envahit le pays de Vaud. Pour arrêter l’effusion de sang, deux évêques se proposent en médiateurs : Guillaume évêque de Bâle, et Anselme, évêque de Genève. A la mort de ce dernier, les Genevois proposent un diacre nommé Adelgandus pour lui succéder. C’est à cette période que les comtes amplifient leur pouvoir, en particulier le comte de Genève. Ils parviennent peu à peu à placer des membres de leur famille sur le siège épiscopal, tels que Aymon, Gérold et Hughes II.
Hughes assiste à l’investiture d’Odilon, abbé de Cluny. Il prend part au concile de Rome. Au début du 11ème siècle, les Sarrasins qui écument déjà les cités de la bordure méditerranéenne viennent par vagues attaquer les villes de la région alpine. A Genève, les Arabes pillent l’église Saint-Victor sur la colline de la ville et l’incendient. Après cette profanation des saintes reliques et la prise de butin, Odilon en personne, abbé de Cluny vient à Genève pour réhabiliter le prieuré désormais érigé en abbaye.
Hughes s’emploie à relever l’église de Saint-Pierre en Valais détruite par les Sarrasins. Il le fait sans doute parce que cette église valaisanne est dédiée au même saint patron que Saint-Pierre de Genève, la cathédrale.
A cette même époque, toute l’Europe se couvre de monuments magnifiques, églises, monastères, cathédrales, prieurés, chapelles, la créativité artistique se déploie jusque dans les moindres villages.
Les successeurs d’Hughes sont Conrad, Aldangandus II, Bernard II, Frédéric. Frédéric appartient à la famille des comtes de Genève. Il est un proche du pape Léon IX, qu’il accompagne à l’abbaye de Saint-Maurice en Valais puis à Besançon lors de la consécration de l’autel de St Etienne.
Les archives de Genève possèdent une Bible du dixième siècle, à la fin de laquelle il est mentionné : Fredericus episcopus genuensis. (Ce qui entre parenthèses contredit la thèse de Luther qui prétendait qu’on ne connaissait rien de la Bible en milieu catholique, alors que cet évêque genevois en possède une et la fait lire au clergé).
Son successeur est Borsadus. Sous son épiscopat, Henri IV, roi de Germanie fait une halte à Genève, au cours de sa célèbre visite à Canossa pour demander au pape son pardon.
L’Église à Genève va devoir par ses évêques protéger le peuple de certains abus princiers. Elle doit également résister aux soifs de pouvoir des comtes de la région et des ducs de la province voisine, la Sapaudie (ou Savoie, pays des sapins).
Abbé Alain René Arbez, Genève, janvier 2019
Image : la photo provient de la Bibliothèque en ligne Gallica Miniature extraite des « Grandes Chroniques de France », montrant Sainte Clothilde priant Saint Martin.