Les paroles de l’architecte Jean-Marie Duthilleul « Une église n’est pas la maison de Dieu, mais la maison du peuple, dans laquelle Dieu se rend présent » – cité dans un article de cath.ch publié sur note site – continuent à faire débat. Nous publions ci-dessous la réflexion de l’abbé Alain René Arbez .
L’inauguration de l’église du Sacré Cœur à Genève a été un bel événement mais a suscité des avis partagés. Cet édifice, entièrement rénové après son incendie, regroupe la plupart des services de l’Eglise cantonale, des salles de réunion, une chambre d’accueil pour l’évêque, un tea-room restaurant, et au centre : le lieu de culte. Concernant la partie « église », la disposition de l’espace conçu par l’architecte français Duthilleul peut poser question.
L’architecte lui-même – cité dans un article de cath.ch – n’a pas hésité à affirmer que « l’église n’est pas la maison de Dieu, mais celle du peuple ». C’est un concept provocateur et ambivalent qui pourrait au premier abord évoquer le déconstructivisme ambiant en cours dans de nombreuses institutions. Serait-ce un pas de plus vers la sécularisation ?
Il est vrai toutefois que la réhabilitation du Sacré Coeur a fait appel à des matériaux de qualité, en fonction de l’esthétique choisie. Cependant, développer un concept d’architecture religieuse par une affirmation négative va inévitablement provoquer. « L’église n’est pas… » On pourrait d’ailleurs ajouter d’autres négations visant à redéfinir le sens d’une église selon les critères objectifs de son utilisation : l’église n’est pas une salle de concerts profanes, l’église n’est pas une maison de quartier, l’église n’est pas un lieu de propagande humanitaire, etc…
Cela dit, pourquoi dire que « l’église N’EST PAS la maison de Dieu » ? Bien sûr que les écrits du Nouveau testament nous disent que l’Eglise du Christ est d’abord faite de pierres vivantes. Mais ce n’est pas par imitation des temples d’Apollon ou d’Isis que les chrétiens ont pu dès le 4ème siècle construire des lieux de culte après les persécutions féroces qui les obligeaient à se réunir clandestinement dans des maisons.
De ce fait, la notion indispensable de « maison de Dieu » n’est pas remplaçable, car déjà dans le premier testament, il est établi que Dieu résidait sous une tente spéciale lors de l’Exode (Ex 36,8) la tente de la rencontre, où était installé le tabernacle signe de la Présence sainte au milieu du peuple. Après l’installation en terre promise, Salomon construisit le Temple de Jérusalem, sanctuaire dédié à la Shekhina, la présence divine avec le saint des saints, et un autel pour les sacrifices de paix et d’expiation. Jésus dès son enfance est allé fréquemment au temple qu’il appelait « la maison de Dieu son Père ». Même les synagogues étaient dénommées « maisons de prière ».
Dans son vocabulaire sacerdotal, l’épître aux Hébreux fait de Jésus mort et ressuscité le grand-prêtre de l’alliance renouvelée. D’où l’autel des églises en rappel de celui du temple. Signe de la sacralité de la maison de Dieu, les églises sont consacrées par l’évêque. La lampe rouge du tabernacle indique la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. Le Concile Vatican II a insisté sur le fait que l’eucharistie est source et sommet de la vie ecclésiale.
Certains visiteurs ont réagi au fait que la disposition des bancs au Sacré Cœur met les fidèles face à face, ce qui n’est pas nécessairement une facilitation dans les temps de prière. Cela peut causer une gêne ou une distraction par rapport aux attitudes ou aux tenues vestimentaires des uns et des autres. (Il est à ce propos étonnant de constater que même les synagogues et les temples protestants, qui pourtant n’ont pas la même conception du lieu sacré que les catholiques, disposent les bancs en rangées parallèles et successives, de sorte que l’assemblée regarde dans la même direction). Ici, on se regarde les uns les autres, ce qui pourrait sous-entendre que l’assemblée se reçoit d’elle-même alors qu’elle est un don d’en haut, manifesté par le ministère des prêtres qui ouvrent la célébration au nom de la Sainte Trinité.
L’église maison du peuple, oui, en tant que convoqué, non par lui-même, mais par Dieu. C’est le sens étymologique précis de « ecclesia » qui a traduit l’hébreu « qehal » des premiers disciples, assemblée convoquée par Dieu. On peut bien sûr commenter la diversité des architectures chrétiennes au cours des siècles, depuis Doura Europos en Syrie au 3ème s. en passant par les églises romanes puis gothiques entre le 9ème et le 15ème s., où la sacralité et le sens de la transcendance étaient bien présents dans le soin esthétique apporté à l’art religieux de ces époques.
Ecoutons ce que disait Balaï le Syrien au début du 5ème s. en consacrant une nouvelle église.
« Cette demeure n’est pas une simple maison, mais le ciel sur la terre car elle contient le Seigneur. Si tu veux le scruter il est tout entier dans les hauteurs, mais si tu le cherches, il est entièrement présent sur terre. Si tu t’efforces de le saisir, il t’échappe par sa transcendance, mais si tu l’aimes, il est tout près de toi. Si tu l’étudies, il est au ciel, mais si tu crois en lui, il est dans le sanctuaire. Pour qu’il reste avec nous, les hommes de la terre, nous lui avons construit une demeure, nous avons dressé l’autel où l’église se nourrit de la vie. »
Qui imaginerait que cette approche spirituelle puisse être aujourd’hui révolue ?
Abbé Alain René Arbez, juillet 2024
crédit image: L’église Saint-François de Molitor, à Paris, a été aménagée par Jean-Marie Duthilleul | © Bernard Hallet