Le Rosaire dans toute la Suisse (Rosary around Switzerland) est un événement de prière d’intercession catholique basé sur le chapelet qui se tiendra dans les églises et institutions catholiques de toute la Suisse le Dimanche 6 octobre 2024, jour de la prière nationale.
La Conférence des évêques suisses encourage à relayer la prière du chapelet de façon simple et accessible au plus grand nombre. Les paroisses, communautés, mouvements, services diocésains (comme par exemple les pastorales de la famille ou de la diaconie), les missions linguistiques, et tous ceux qui le souhaitent, sont invités à mettre librement en œuvre une prière du chapelet ou une célébration mariale avec prière du chapelet.
A cette occasion l’abbé Alain René Arbez dévoile l’histoire millénaire et l’évolution de ce support de prière.
Comme la cloche, le chapelet est originaire d’Asie. C’est au départ une création indienne qui remonte à des millénaires, et dont le but est de canaliser les pensées de l’homme autour d’une prière. Le chapelet a donc existé dans l’hindouisme et dans le bouddhisme bien avant d’apparaître comme support de la foi dans le christianisme d’Orient et d’Occident.
Le chapelet originel indien est dénommé « mala », ce qui signifie en sanscrit : collier de méditation, car il est souvent porté autour du cou. Dans le bouddhisme, il comporte 108 graines ou perles, correspondant aux 108 noms du bouddha. Sa récitation se veut être un apaisement spirituel pour guérir les blessures de l’âme. Les grains successifs servent à concentrer la pensée autour d’un thème méditatif ou d’un mantra.
Très tôt dès la période apostolique, des anachorètes ou ermites d’Orient enchaînent des prières vocales dans le but d’orienter leur être vers la contemplation du Dieu de la Bible. La plupart récitent les 150 psaumes de David, et Palladius évoque un religieux qui emmagasine sur lui des petits cailloux qu’il jette au fur et à mesure qu’il a exprimé ses prières. Les ermites d’Egypte ont enfilé des cailloux sur un cordon pour faciliter leur démarche spirituelle, et guider le rythme de leur récitation de passages bibliques et d’oraisons. Un peu plus tard, les chapelets ainsi constitués se sont focalisés sur la prière du Notre Père, d’où le premier nom connu du chapelet en Occident : le « paternostre ».
C’est donc plus tardivement que le chapelet dédié au Notre Père s’est mué en support de dévotion à la Vierge Marie, dès la moitié du Moyen Age. A signaler qu’il s’agissait bien de guider une prière au Père par le Christ, puisque la distribution des grains se répartirait en mystères de la vie de Jésus.
L’origine du terme « chapelet » provient du fait qu’au Moyen Age, les communautés et les familles possédaient une statuette de la Vierge sur la tête de laquelle on déposait une couronne de roses. Cette coiffure florale a induit le mot chapeau, chapel en vieux français. Le soir, une prière était dite à partir de chaque rose, ce qui donnera également le nom de rosaire.
On imagina alors de disposer sur un fil des grains de buis, d’olivier ou d’argent pour remplacer la série de fleurs plus fragile. Sainte Brigitte d’Irlande (6ème siècle) organisa autour de ces grains les prières du Notre Père et du Je vous salue Marie (à partir du texte biblique). Le sens du chapelet prit une tournure beaucoup plus mariale dès le 11ème siècle.
Dès le 3ème siècle, les chrétiens se tournent vers la Mère du Christ en reprenant les paroles de l’Ange à l’Annonciation : « Je te salue Marie, pleine de grâce ». C’est au 9ème siècle qu’une antienne du temps de l’avent est ajoutée en reprenant l’exclamation d’Elisabeth lors de la Visitation.
Au 12ème siècle, la dévotion à Marie se développe en Occident, et l’antienne de l’avent touche la sensibilité du peuple qui se plaît à la reprendre en boucle, de même qu’à la même période les Orientaux chrétiens pratiquent la répétitive prière du cœur, la philocalie. Dans les deux cas, c’est une prière qui canalise les pensées et unit l’invocation au rythme de la respiration.
Au 15ème siècle, en Prusse, le prieur de la chartreuse de Trèves conseille à ses novices de réciter ces prières d’invocation en méditant la vie de Jésus. A partir de là, le frère dominicain Alain de la Roche qui prêche en Flandres et en Artois diffuse la pratique du chapelet. Il s’inspire des méditations évangéliques composées par le prieur germanique pour les associer à toute récitation. Au 16ème siècle, l’imprimerie permet de diffuser diverses versions de ces méditations associées au chapelet.
En 1571, l’importance du rosaire va connaître une popularisation extraordinaire. Lorsque les Turcs menacent et que leur flotte, supérieure en nombre, se tient aux portes de l’Europe chrétienne, le pape Pie V engage toute la chrétienté à prier le chapelet pour repousser l’assaut musulman imminent. Confiant, il reçoit la vision de la victoire avant même qu’elle soit reconnue et annoncée. Tout l’Occident célèbre avec action de grâces le miracle de Lépante et le rosaire devient la prière du peuple chrétien.
Les musulmans ont eux-mêmes un chapelet, appelé sabha ou misbaha, constitué au départ de grains de dattes, puis de perles. La tradition islamique relie cet objet au prophète mais d’autres hypothèses existent selon lesquelles les musulmans auraient emprunté le collier de grains aux chrétiens soit au moment où les caravaniers se croisaient sur les pistes d’Orient aux 7ème et 8ème siècles, soit lors des croisades. Le chapelet musulman comporte 99 grains correspondant aux 99 noms d’Allah. Il n’y a pas d’explication sur ce chiffre, mais certains historiens estiment qu’il s’agit – par emprunt au christianisme – du chiffre 33, âge du Christ, multiplié par 3, chiffre de la Sainte Trinité, ceci évidemment à l’insu des mahométans, hostiles à l’idée de messie christique et au concept trinitaire. Les turcs ont un chapelet plus court, avec 33 grains (chacun valant pour 3) appelé « tespi ».
Les Africains musulmans prononcent les attributs d’Allah en faisant glisser les grains entre leurs doigts et ils considèrent que la prière est faite automatiquement, tout en répétant à chaque étape « allah ouakbar , Allah est le plus grand », (affirmation de supériorité de l’islam sur les autres religions propres aux infidèles).
Le rosaire nous conduit sur les chemins de l’histoire, il nous permet d’abord de rejoindre nos ancêtres dans la foi, de nous unir, dans la communion des saints, à leur confiance en Dieu, de porter les peines et les espoirs de nos compagnons de route sur cette terre.
Mais le rosaire nous laisse aussi découvrir d’autres pratiques religieuses, avec des spiritualités différentes, à l’image du monde où nous vivons, et où la prière chrétienne enracinée dans l’héritage biblique a un message particulier à transmettre pacifiquement à nos contemporains.
L’être humain n’est pas un pion anonyme jeté par le hasard dans la jungle de l’existence. Aimé de Dieu, il est appelé à un accomplissement de son être qui dépasse toutes perspectives matérielles, car il lui laisse entrevoir le monde nouveau à venir.
Abbé Alain René Arbez
août 2020