Lettre pastorale pour le Carême de Mgr Morerod
» L’Évangile qui continue » Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg
Lettre pastorale (lue lors des célébrations eucharistiques du week-end des 24 et 25 février 2018)
On demande, statistiques à l’appui, quel sera l’avenir de l’Église en Suisse. Tout d’abord, n’oublions pas que le Saint-Esprit ne suit pas les courbes graphiques. Ceci dit, le Saint-Esprit travaille aussi avec nous, et nous devons avec son aide essayer de discerner l’avenir de l’Église dans notre société.
Presque tout le monde pense savoir ce qu’est le christianisme et ce qu’est l’Église. La perception varie un peu selon les générations. Parmi les plus âgés, on trouve à la fois des croyants convaincus et des personnes qui vomissent une Église perçue – dans leur jeunesse – comme oppressante ; ces deux attitudes ont été en partie transmises. En même temps, je vois des personnes qui découvrent la foi avec un étonnement émerveillé, et souffrent d’être objet de dérision parce qu’elles ne pensent pas comme tout le monde (le conformisme a changé de camp…).
Prenons au sérieux ce qu’on nous reproche. Quand des personnes me disent, avec des exemples terribles, que dans leur enfance le village était esclave du curé, je ne peux que les croire, certes sans généraliser. L’Église est souvent perçue comme une instance obsédée par la morale, qu’elle veut imposer aux autres alors que ses représentants ne la vivent pas.
Où est donc le problème ? Notre religion est-elle mauvaise ? Pour répondre à cette question il faut d’abord regarder le modèle, à savoir le Christ. Est-il mauvais ? J’ai été frappé de voir un quotidien français mettre en couverture un rosaire avec le grand titre : « Au secours, Jésus revient ! »(1). Il reste qu’en général, si on regarde Jésus dans l’Évangile, il suscite un intérêt positif aussi chez les non- chrétiens. Et si Jésus est rejeté maintenant, est-ce à cause de lui ou à cause de l’image que nous donnons de lui ?
En 1965, le concile Vatican II pouvait dire :
« Dans cette genèse de l’athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n’est pas mince, dans la mesure où, par la négligence dans l’éducation de leur foi, par des présentations trompeuses de la doctrine et aussi par des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire d’eux qu’ils voilent l’authentique visage de Dieu et de la religion plus qu’ils ne le révèlent »(2). Jean-Paul II a repris ce thème dans ses demandes de pardon de l’an 2000(3).
Il est toujours juste de nous dire que nous ne reflétons pas suffisamment l’Évangile que nous prêchons. C’est d’ailleurs même pour cela que nous le prêchons : nous nous plaçons devant l’Évangile en étant bien conscients de la nécessité de nous y convertir nous aussi et en demandant la grâce de Dieu pour nous y aider. Voilà notre programme : devenir davantage semblables au Christ, car être chrétien c’est « être du Christ ». Pour cela il faut le connaître, et nous savons comment il nous permet de le connaître, ce qui est une Bonne Nouvelle.
Un prêtre âgé m’a ému en me disant : « Je suis insomniaque. Heureusement, comme ça je peux lire l’Évangile pendant la nuit. Je ne connais rien de plus beau ». Une étudiante, qui a découvert l’Évangile grâce à des amis, m’a expliqué son désir du baptême dans ces termes : « Je lis l’Évangile, je vois Jésus, je l’aime, je veux être avec lui ». J’espère très vivement que chaque chrétien ait pu goûter une telle expérience (4) : quand on lit l’Évangile, on voit la personne de Jésus, on veut être avec lui, et on y revient sans cesse. C’est ainsi que l’on peut percevoir la valeur des moyens que Jésus nous donne pour être avec lui, notamment les sacrements et la communauté chrétienne.
La morale arrive dans un deuxième temps, car quand on aime Jésus, on aime les personnes qu’il aime et pour qui il a donné sa vie. La morale chrétienne découle de notre relation avec Dieu, elle ne la précède pas. Lorsque nous parlons de notre foi, commençons par la relation avec Dieu, c’est ce qui est central. Mais le reste doit suivre, et on découvre qu’imiter Jésus est exigeant. Je me souviens de ce qu’on m’a dit d’un prêtre le jour de son enterrement : « Quand on le voyait, on voyait Jésus ». Voilà notre programme…
Au début de ce Carême, nous avons pu recevoir des cendres avec par exemple ces paroles : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ». Eh bien, la première condition pour l’avenir de l’Église, c’est que l’on puisse dire : « L’Église, c’est l’Évangile qui continue »(5). Nous cherchons des « recettes », des « stratégies ». La première stratégie, c’est de vivre l’Évangile, d’être avec le Christ, et d’être avec lui ensemble. Nous pouvons exprimer notre « stratégie » en empruntant les mots de Saint Pierre : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jean 6,68). Cette « stratégie » est celle que le Fils de Dieu nous a donnée en venant dans notre monde, et nous pouvons lui faire confiance. Il y a bien des choses à organiser, évidemment. Mais avant de les organiser, convertissons-nous et croyons à l’Évangile. Si en nous on voit le Christ, l’avenir de l’Église sera assuré mieux que par n’importe quelle réorganisation.
Si quand on demande « c’est quoi, l’Église ? », la réponse spontanée devient « c’est l’Évangile qui continue », alors l’avenir ne sera pas notre problème.
Mgr Charles MOREROD OP
Février 2018
1. Libération, 24 novembre 2016.
2. Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et Spes (7 décembre 1965), § 19.
4. Par exemple dans les groupes de lecture de l’Évangile à la maison.
5. Charles Journet, L’Église et la Bible, Éditions Saint-Augustin, Saint-Maurice, 1960, p. 45. Cette phrase était la conclusion de ma première lettre pastorale, en 2012