En ces jours de confinement, le contraste est saisissant. Il y a bientôt deux ans, le 21 juin 2018, 37.000 personnes était réunies à Palexpo pour la messe célébrée par le pape François. Un livre Pape et pèlerin, François à Genève (Éd. Slatkine) revient sur cette journée inoubliable. Les auteurs, l’ambassadeur catholique Pierre-Yves Fux et la théologienne protestante Elise Cairus racontent le pèlerinage œcuménique du Saint-Père heure par heure, avec des photographies inédites, le récit des préparatifs et des coulisses et le texte intégral des discours. Interview.
Comment est née l’idée d’un tel livre et comment avez-vous travaillé pour l’écrire?
Pierre Yves Fux (PYF): En 10 heures, les faits mémorables ou touchants n’ont pas manqué. Je m’inspire d’un collègue et ami chypriote, Georges Poulidès, qui il y a dix ans organisa la visite de Benoît XVI sur son île, et la documente dans un livre. Mais comme la visite genevoise fut œcuménique, le regard d’une théologienne protestante genevoise devait s’ajouter au mien !
Elise Cairus (EC) : Du fait de la distance géographique entre nous, nous avons procédé par « ping-pong », chacun ayant son « dicastère » rédactionnel. Quelques rencontres de travail eurent lieu, sur la Treille et au pied de la cathédrale… Nous aurions dû nous revoir à la sortie du livre, au COE et à Rome… mais ces échéances sont repoussées à des temps meilleurs.
A qui s’adresse en premier lieu le livre ?
EC : D’abord à toute personne qui a pris part à la journée du 21 juin 2018. Il constitue un album-souvenir, avec des photos et des anecdotes inédites sur ses coulisses. Qui veut approfondir l’histoire de Genève et des visites papales y trouvera de quoi satisfaire sa curiosité. La dimension théologique n’est pas oubliée, pour qui s’intéresse à l’œcuménisme.
PYF : J’aimerais que notre livre parvienne aussi à ceux qui n’ont pas pu être présents. J’ai senti un grand intérêt auprès des vaticanistes, des diplomates étrangers et de simples fidèles. Cette rencontre de représentants de tout le monde chrétien avait et conserve une portée universelle.
Le livre relate en détail les préparatifs, en 78 jours, de la visite du pape et chaque instant de ce voyage apostolique de 10 h à Genève. Quels détails et informations que vous ignoriez vous ont-ils le plus surpris ?
EC : J’ai été frappée par le minutage des diverses rencontres. En amont, on n’imagine pas tout le travail, tous les échanges qu’une telle visite requiert ! Rien n’est laissé à l’improvisation. Ou presque ! Car lorsque François est arrivé en papamobile avec un peu d’avance dans Palexpo, il a provoqué la surprise parmi les 37’000 fidèles ! J’ignorais aussi que des télégrammes étaient envoyés en vol aux dirigeants des pays survolés par l’avion papal.
Ambassadeur Fux, vous avez œuvré pour que celle visite se réalise. Dans le livre on apprend que plusieurs acteurs avaient adressé une invitation au pape pour une visite en Suisse. Comment expliquez-vous le choix d’effectuer un pèlerinage œcuménique à l’occasion des 70 ans du Conseil œcuménique des Églises ?
PYF : Trois conseillers fédéraux (en 2015, 2016, 2017) ont répété au Pape qu’il était le bienvenu. Le cardinal Koch, qui a écrit la préface de notre livre, espérait qu’en plus de ses rencontres bilatérales avec les leaders orthodoxes et protestants, François visite le COE. Paul VI et Jean-Paul II avaient déjà visité Genève. François les a suivis en innovant : renonçant à l’ONU, il a mis l’œcuménisme au centre. Mais sa rencontre avec les Suisses ne s’est pas limitée au tapis rouge, avec deux entretiens politiques et la messe de Palexpo. Pourquoi ? Peut-être parce que notre nation, qui a perduré et s’est construite malgré des fractures confessionnelles, est habitée par cet « esprit d’unité » et de paix, que porte aussi le mouvement œcuménique.
Élise Cairus, vous êtes théologienne protestante, qu’a signifié pour vous ce pèlerinage œcuménique ?
EC : J’y ai simplement vu la visite du berger de l’Eglise catholique au reste du troupeau chrétien rassemblé par le Berger des bergers, le Christ.
Avez-vous participé à la messe et pourquoi ?
EC : Oui, j’y tenais. D’abord pour vivre un moment historique et de foi. C’est à l’invitation du Christ que l’on répond lorsque l’on assiste à un service religieux. Ensuite, la personne du Pape François me touche beaucoup, particulièrement à travers son « apostolat de l’oreille », cette disposition à donner de son temps pour entendre et écouter les difficultés de son prochain blessé et souffrant.
Si vous deviez retenir un geste de cette journée du pape à Genève, lequel vous a-t-il le plus touché?
PYF : Dans tout ce dont j’ai été le témoin, il y a les premiers et le dernier des mots prononcés à Palexpo. « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »… François parle en français, chose rarissime, il se fait proche. Presque aussi rare est l’ « Arrivederci ! » final, qui m’a semblé un cri du cœur : sa joie d’être avec nous et sa volonté de continuer ce pèlerinage.
EC : Peut-être la bénédiction d’un des panneaux de la mosaïque du Chemin de Joie placés dans divers lieux de culte du Canton, représentant la descente du Christ aux enfers, destiné à la chapelle de Champ-Dollon. François a manifesté son souci pour les détenus, absents mais sans doute en communion. En ce temps de confinement planétaire dû au covid-19, ce geste prend encore une autre dimension et nous rappelle l’importance de la prière et de la communion mutuelle, dans le Christ présent dans notre isolement.
Le pape a qualifié sa visite à Genève de « journée de rencontres », le COE a parlé de moment « historique » et le cardinal Kurt Koch, dans la préface du livre, d’ « évènement inoubliable ». Et vous comment définissez-vous ce pèlerinage de François à Genève. Après presque deux ans, qu’en reste-t-il ?
EC : Il est juste de parler d’une journée de rencontres. C’est bien là l’essentiel :
Marcher pour prier et travailler ensemble, comme le rappelle la devise de ce pèlerinage. L’œcuménisme ne peut pas se passer de la rencontre.
PYF : De ces belles rencontres, il reste des souvenirs très vivants, des paroles fortes à relire, et un message. Bien des gestes œcuméniques ont suivi cette visite qui, visiblement ou non, y a contribué. Le Notre Père a été dit au COE dans de multiples langues, puis commenté durant l’homélie à Palexpo. Dans l’angoisse du 25 mars dernier, à midi, cette même prière a uni les chrétiens de toute confession, à l’initiative de François : « Notre Père… délivre-nous du mal ! ».
Propos recueillis par Sba, Courrier pastoral mai 2020