En deux ans, 14 adultes et sept enfants ont bénéficié du projet Un chez soi pour rebondir de l’Église catholique romaine – Genève (ECR) et donc de la mise à disposition d’un logement (studio ou appartement), pour une période limitée : le temps de souffler et de rebondir dans la vie. Le projet pilote lancé en 2020 par trois services de l’ECR a ainsi permis à des familles, des hommes, des femmes et des enfants qui vivaient dans la rue, dormaient dans des structures d’urgences ou en situation précaire de retrouver une certaine sécurité, un espoir et une dignité. Le projet a bénéficié du soutien de la Chaîne du Bonheur qui avait créé un fonds pour financer des initiatives en faveur des plus vulnérables. À l’heure du bilan, quels sont les enseignements de cette expérience inédite ?
Une récente étude de l’Université de Genève a évalué à environ 730 les personnes obligées de dormir dehors ou de passer la nuit dans une structure d’urgence à Genève, un chiffre à considérer avec prudence, précisent les auteurs de l’étude.
Témoins de ces réalités, trois services de l’ECR qui agissent auprès de personnes en situation de précarité ou de fragilité ont souhaité s’engager pour offrir un « chez soi » à ces individus en tant « qu’étape déterminante pour retrouver une place digne dans la communauté humaine », soulignaient la Pastorale des Milieux ouverts (PMo), l’Aumônerie des prisons (AOP) et l’Aumônerie Genevoise Oecuménique auprès des Requérants d’Asile et des Réfugiés (AGORA) dans la présentation du projet. En effet, sans un « chez soi », les personnes s’épuisent à trouver où dormir, où se laver et où manger et sans une adresse, toute démarche administrative ou de recherche d’emploi devient souvent impossible. Dès lors – constataient les trois services – l’absence d’un « chez soi » enferme les personnes dans un cercle vicieux de précarité. L’idée était donc de casser ce cercle en offrant un logement et un accompagnement comme un tremplin vers une possible autonomie.
Le projet pilote validé, deux appartements ont été mis à disposition par l’ECR et deux autres par des paroisses (Ste-Trinité et Saint-Pie-X). Le fond de la Chaîne du Bonheur assurait le 80 % du loyer, le reste étant à charge du propriétaire. « Dès le départ, le projet nous a paru juste magnifique : il vient en aide à des personnes qui passent entre les mailles du système social et nous croyons que l’Église a vraiment un rôle à jouer dans ces circonstances. Nous n’avons donc pas hésité à mettre à disposition deux appartements et à solliciter quelques paroisses », explique le Secrétaire général de l’ECR, Dominique Pittet.
Le projet a démarré en novembre 2020. Au fil des mois, les candidats ont été sélectionnés par un comité et un contrat de confiance a été signé avec les bénéficiaires, en guise bail. Des agents pastoraux et des bénévoles se sont mobilisés pour accompagner les locataires. Les profils des bénéficiaires sont variés.
Une maman et son fils de 10 ans ont été les premiers locataires. Le séjour de onze mois dans un appartement a permis au jeune garçon de poursuivre sa scolarisation, d’inviter des copains à la maison et de se sentir en sûreté. En dépit de nombreuses recherches, en pleine crise Covid, la mère n’a pas réussi à trouver un travail, mais a pris conscience de la complexité de sa situation. Malgré une certaine déception, elle est très reconnaissante d’avoir pu vivre à l’abri de « toutes les angoisses de la rue », surtout pour son fils (« il avait une chambre pour lui »).
Une famille de quatre personnes, dont un enfant souffrant d’une malformation, a bénéficié d’un logement. Cette stabilité a permis à la fille de 8 ans de continuer sa scolarisation, subir les interventions chirurgicales et effectuer les exercices pour retrouver la mobilité. Le papa a pu travailler (missions de courte durée) et faire les démarches pour une prise en charge de sa fille par les assurances sociales.
Un jeune requérant d’asile débouté a eu la chance de poursuivre ses études « sereinement, Le studio m’a permis de sentir que j’avais de la valeur. Désormais tout devrait bien se passer pour moi », affirme-t-il, confiant. Comme lui, deux jeunes hommes ont pu se poser et entamer une formation. Une jeune famille avec un bébé a pu bâtir un avenir en se sentant en sécurité. Le couple a obtenu un contrat de travail indéterminé et un permis de séjour.
Une autre famille a déménagé dans un logement d’Un chez soi pour rebondir quand la maman était enceinte. Après l’accouchement, la mère et la petite sont arrivées dans « leur maison » et son frère de 4 ans a commencé à aller à l’école. « C’est une chance », affirme le papa. Il cherche activement du travail, « mais c’est difficile, car je n’ai pas encore de permis ». Un autre jeune couple qui attendait un enfant et dormait dans une voiture a été logé.
Le projet a enfin aidé deux membres de la même famille sortis de prison. C’est une aumônière qui leur a présenté le projet. « C’est plus qu’un dépannage, c’est indispensable. La sortie de prison est délicate et pour une personne qui n’a pas d’entourage pour se loger, le choix est souvent entre la rue ou la récidive », explique l’un deux, en soulignant les quelques failles du système. « Disposer d’un logement m’a libéré du temps et m’a permis de gérer de nombreuses questions, après des années de déconnexion et d’enfermement : les poursuites, les démarches administratives, la formation, chercher un travail. Mais on ne peut pas tout faire », témoigne Christian*, résolu à s’en sortir.
Le projet a concrètement aidé 21 personnes, des individus et des familles ,qui n’avaient pas de possibilité de trouver par elles-mêmes un logement.
Plusieurs ont souligné l’expérience d’une dignité, d’une reconnaissance et d’une confiance bienfaisantes. Toutes n’ont pas atteint l’autonomie ou la sécurité espérée sur le long terme. Le temps de la mise à disposition du logis était-il trop court ? « L’équipe qui a guidé le projet avait envisagé un temps de 7 à 9 mois pour donner la possibilité de rebondir. Mais il y a le temps de souffler et de se sentir en sécurité, avant de se reconstruire et cela demande beaucoup d’énergie, surtout pour des personnes qui ont accumulé de nombreux problèmes, notamment de santé », analyse Inès Calstas, responsable de la PMo. Aussi, la recherche d’emploi et la stabilisation économique prennent du temps, surtout au milieu d’une crise sanitaire. Un constat que rejoint Christine Lany-Thalmeyr, responsable catholique de l’AOP pour qui « le projet répond à un vrai besoin ».
Avoir un logis a permis à certains de s’en sortir. Pour d’autres, il a été l’occasion d’une mise à plat de leurs difficultés, possible point de départ vers un avenir moins incertain. Les locataires préalablement à la rue ou dans la précarité extrême ont également acquis des compétences sociales. « Il y a de belles choses, qui soulignent l’insertion, comme ce voisin qui
salue la famille et prend des nouvelles », observe Julien Bulliard engagé à la PMo, qui a accompagné plusieurs familles.
« L’Église n’est pas là pour avoir des résultats, mais pour témoigner et accompagner ces réalités. Le projet a consenti aux personnes d’élargir leur réseau et il nous a aidé à mieux connaître leurs difficultés », souligne Nicole Andreetta, aumônière de l’AGORA, aujourd’hui à la retraite. Pour Inès Calstas, le projet a permis de mesurer à quel point la rue ou les hébergements d’urgence détruisent les personnes.
Le fonds mis à disposition par la Chaîne du Bonheur** est aujourd’hui épuisé, mais la volonté de prolonger l’expérience est présente, avec des ajustements. L’idée est de chercher des fonds pour poursuive la démarche, éventuellement sur une échelle plus réduite, mais surtout de la faire connaître à d’autres associations pour que ce type d’offre puisse se multiplier. (Sba)
(article paru dans le Courrier pastoral – janvier 2023 )(Sba)
*prénom d’emprunt
**Frs 100’000.- pour le projet, soit pour 2 ans.
Image: logement, un chez soi pour rebondir et vivre en famille – unsplash.com
Virginie Hours
Responsable catholique de l'aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d'asile et des réfugiés (AGORA)