L’abbé Alain René Arbez nous propose une réflexion étayée pour redonner sa dignité à Marie de Magdala, transformée en femme de mauvaise vie trop souvent..
L’évangile de Jean nous dit que la première personne à constater que le tombeau de Jésus ne recèle pas de cadavre est Myriam (Marie) de Magdala qui avertit ensuite les amis proches du rabbi Yehoshua. Mais depuis longtemps, reportages, romans, séries TV n’en finissent pas de nous ressasser le même hoax : Marie Madeleine serait la compagne de Jésus, et, pour certains férus d’ésotérisme, la mère d’une descendance cachée !
Il est vrai qu’au cours des siècles, en Occident, Myriam de Magdala, (ou Marie Madeleine) plutôt sobrement évoquée dans les écrits du nouveau testament, s’est muée en un personnage ambigu, sorte de prostituée convertie sur le tard, malheureuse figure d’amalgames successifs.
Dans le récit johannique de la bonne nouvelle, sa fonction n’est cependant pas négligeable : dans un premier temps, elle se montre accablée par la découverte du tombeau vide, étant très attachée à la personne de Jésus qui a changé sa vie, et qu’elle appelle « rabbouni », mon maître vénéré. Après quoi Marie de Magdala prend conscience – avec les yeux de la foi – du fait que la silhouette avec laquelle elle parle est la présence du Vivant, impossible à enfermer dans des catégories figées.
L’évangile de Luc évoque cette femme comme une Galiléenne « devenue disciple de Jésus, et délivrée par lui de sept démons » donc rescapée d’une situation gravissime. Le chiffre sept est l’image de la totalité, et le démon est cet esprit malin qui éloigne de Dieu. Les sept démons en question symbolisent ici une tentation périlleuse, qui n’est pas du registre sexuel, mais plus fondamentalement du registre philosophique et religieux concernant le salut de l’être humain. Les influences mythologiques grecques
De nombreuses personnes surtout parmi les hellénistes, en particulier en Galilée, (surnommée carrefour des nations), étaient tentées par la vision païenne de l’être humain, avec les implications mythologiques et idolâtriques que cela implique. C’était en effet l’époque troublée de l’occupation romaine et des influences mythologiques grecques. Un siècle avant Jésus, le mouvement pharisien était né, en terre d’Israël, précisément à partir de cette préoccupation de sursaut spirituel, face aux séductions du paganisme. Le mouvement essénien était également de son côté une protestation envers la corruption des milieux sacerdotaux sadducéens gérant le Temple de Jérusalem et complices des Romains idolâtres.
Dans cette crise de société et de ses valeurs, l’identité du judaïsme était en jeu et le piège devait être déjoué, car une telle confusion provoquait l’altération de la foi ancestrale des pères et la division au sein du peuple. Toute division est l’œuvre du démon, shatan (obstacle sur le chemin du salut)
Marie de Magdala « libérée de sept démons » a donc été repêchée de cette mouvance humaniste paganisante, grâce au charisme pastoral du rabbi Jésus et de son message centré sur l’actualité de l’alliance. Approfondir l’alliance avec Dieu est vital.
Marie était donc une femme de son temps, motivée par une émancipation spirituelle… Alors par quel processus sont apparus ces amalgames douteux sur le profil de Marie Magdala et son changement de vie ? Quelle sorte de logique propre à la chrétienté en voie d’expansion a pu vraisemblablement prendre le dessus sur le profil originel des siècles précédents ?
Si dans son traité sur la pénitence, Ambroise refuse encore de confondre la sœur de Lazare avec la pécheresse décrite par Luc, c’est Augustin (4ème-5ème s.) de mentalité dualiste et focalisé sur les problématiques sexuelles, qui assimile les deux personnages. Avec Grégoire le Grand (6ème s.), les jeux sont faits, la pécheresse et Marie Madeleine ne font plus qu’un ! Enfin, pour Bède le Vénérable, Marie, sœur de Lazare, est expressément, selon Luc, une « femme de mauvaise vie » qui, pénitente, devient chaste, selon Jean.
Un tel personnage sulfureux a donc été artificiellement élaboré en Occident, par étapes, alors qu’en Orient, on n’a pas du tout adopté cette approche moralisante et la distinction entre deux Marie différentes a été maintenue.
Comment restituer à Marie de Magdala son authenticité originelle, ainsi que sa dignité, sinon en retrouvant le contexte de son existence sociale?
D’abord, il faut être conscient du fait que la Marie Madeleine pécheresse du Moyen-Age occidental, propulsée sur le devant de la scène, décrit à cette époque la conjoncture réductrice d’une théologie de l’âme et du corps, focalisant le péché prioritairement sur le charnel.
Il y avait sans doute le souci de proposer aux femmes en dérive morale un modèle pédagogique de rédemption, une sainte patronne. Dans la société médiévale, toutes les catégories sociales devaient bénéficier d’un saint patron masculin ou féminin et les diverses corporations avaient chacune le leur.
Paradoxalement, cette époque, aux mœurs parfois brutales, est en même temps celle qui fait contre-poids en soutenant la promotion de la « dame » à travers l’amour courtois pour populariser le respect dû aux femmes. L’image de « Notre Dame » pour vénérer la Vierge est dans le même sillage et valoriser spirituellement le statut de la femme. Si tant de groupes spécifiques avaient leur saint protecteur, quid des femmes vénales marginalisées ? Ce contexte éclaire la mise en scène progressive mais contrefaite d’une Marie Madeleine ressemblant à ces femmes prostituées voulant sortir de leur déchéance sociale due à l’instrumentalisation sexuelle par les hommes.
Pourtant, lorsque Jérôme (4ème s.) précise : « Marie Madeleine est celle-là même dont le Christ avait expulsé sept démons, afin que là où avait abondé le péché surabondât la grâce » encore faut-il saisir le sens de cette phrase. S’il est question d’une « Marie de Magdala libérée de sept démons » au contact de l’enseignement de Jésus, c’est la manière hébraïque de dire qu’une femme a intégralement assaini sa vie grâce à la Parole de Dieu. « Si l’œil est dans la lumière, toute la vie sera dans la lumière… » L’œil, c’est la vision du monde.
Précisément, le sept est un signe de plénitude. Les démons représentent tout ce qui divise l’être humain et le retient captif du monde des ténèbres. Le 7 suggère bien le summum de l’aliénation spirituelle. Pas question de sexe dans ce cas. On sait que le monde païen et ses dérives malfaisantes est toujours représenté par les ténèbres.
On peut en déduire logiquement que Marie de Magdala a pu être l’une de ces femmes juives du 1er siècle qui suivent Jésus par soif d’une spiritualité libératrice en réponse à leur époque tourmentée. Ce qui veut dire par le retour aux sources des saintes Ecritures en lien avec la vie concrète, (ce en quoi Jésus, selon la sagesse pharisienne, excellait). L’évangile de Luc évoque des femmes (Jeanne, Suzanne et d’autres) qui font partie du groupe itinérant des disciples en contribuant à leur entretien, mais surtout en s’instruisant de la Torah à égalité avec les hommes, ce qui était nouveau. Lorsque Jésus est accueilli chez Marthe et Marie, c’est le signe qu’il a pour elles autant de considération que pour des hommes et qu’il les juge dignes de la compréhension du message biblique.
Marie de Magdala a pris sa vie en mains grâce à l’enseignement messianique de Jésus, elle a réalisé son émancipation spirituelle en se cultivant et en se purifiant intellectuellement de toute influence du paganisme ambiant. Régénérée par l’enseignement de Jésus, elle a refusé à ce titre les fausses valeurs destructrices et les illusions d’une modernité philosophique de l’époque. On comprend sa reconnaissance et sa fidélité envers le Maître après son retour aux sources vives du judaïsme : elle sera aux pieds de la croix du Golgotha, comme elle sera le premier témoin de la résurrection du Christ. Triomphe de la cause de la vérité de Dieu impliquant celle de l’intégralité humaine.
Pour mieux comprendre qui est réellement cette femme forte imprégnée d’esprit biblique et assumant fièrement sa féminité par un choix de vie exigeant, il vaut la peine de s’intéresser à son nom : « Magdala » qui a donné en français Marie la Magdaléenne, ou Marie Magdeleine…
De l’hébreu mi-gd-al, « croître », Marie Magdala est cette personne à laquelle une rencontre décisive avec le Messie a permis de grandir en faisant le lien entre la Parole de Dieu et sa vie de femme qui prend ses responsabilités.
Affranchie des influences démoniaques du paganisme, son âme a été libérée et grandie.
Mais migdal signifie aussi « tour de guet ». Marie qui s’est réapproprié son avenir et sa dignité en se mettant à l’école de Jésus a accédé spirituellement à la même position que cette tour, fréquente aux abords des vignes en Israël, et du haut de laquelle le veilleur posté voit se lever l’aurore d’un jour nouveau ! Marie de Magdala, prenant de la hauteur de vues, est devenue sentinelle du monde à venir !
La tour des veilleurs aux abords de la vigne…Chacun sait combien la vigne symbolise Israël dans la littérature biblique. Ainsi, Marie de Magdala, fille d’Israël prise en considération dans sa dignité de femme et sa quête d’une foi biblique en lien avec la vie, est devenue le premier témoin-clé de la résurrection de Jésus et des perspectives lumineuses offertes par cet événement. Elle est à ce niveau l’une des proches de Yeshua, Messie d’Israël, lumière pour le monde entier et les nations en crise. L’apôtre Paul l’a affirmé : Christ est l’« aîné d’une multitude de frères et de sœurs » appelés dès aujourd’hui à la vraie vie…
Abbé Alain René Arbez
Image de couverture : Paolo Veronese, La conversion de Marie Magdala, 1548.