Durant la Semaine Sainte nous vous proposons une méditation quotidienne, signée par une femme. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Federica Cogo.
Nous voici au samedi saint, le jour après le « désastre », ce jour suspendu entre la mort de Jésus et l’étonnante découverte du tombeau vide au matin de Pâques. Les derniers mots de Jésus, « tout est accompli » (Jn 19,30) n’ont-t-il pas résonné dans le cœur de ses amis comme un « tout est fini » ? Finis les rêves de libération, de la manifestation triomphante du Messie !
« Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude. Un grand silence parce que le Roi dort […] Dieu s’est endormi dans la chair et est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles ». Ce sont les mots d’une ancienne homélie que la liturgie des heures nous invite à ré-entendre aujourd’hui.
Le samedi saint, ce jour du grand silence, est là pour honorer tous nos passages à vide, nos expériences en creux, les moments où nos certitudes s’écroulent, où nous sommes confrontés à notre finitude, au non-sens, au mal, à l’absurde. André Louf dit, dans une image qui me paraît saisissante, que « nous devons apprendre à demeurer auprès de nos ruines […] sans amertume, sans nous adresser des reproches et aussi sans accuser Dieu ».
Comment traverser alors l’évidence de la défaite et ouvrir nos cœurs désemparés à l’inédit de Dieu, à l’irruption d’un imprévisible porteur de vie ? Le Roi dort-il vraiment alors que nous sommes en train de « ramer » dans la complexité de nos existences, des circonstances actuelles qui ont plongé notre humanité dans un samedi saint inédit, étendu dans le temps et dans l’espace ? « Non, il ne dort pas, le gardien d’Israël » (Ps 120,4) chante le psalmiste. « Tu es descendu sur la terre – chantent nos frères orientaux – pour sauver Adam et ne l’ayant pas trouvé sur la terre, Seigneur, tu es allé le chercher jusqu’aux enfers », le lieu du séjour des morts. Désormais, il n’y a plus de lieu, physique ou existentiel, qui ne soit pas habité de Sa présence.
S’il y a un don que nous pouvons demander au Seigneur ce serait bien celui d’un regard clairvoyant capable de traverser l’épaisseur du réel et de le voir habité de Son invisible présence, continuant à créer et recréer notre humanité là où les forces de mort prétendraient la défaire.
Cette présence, signe d’un Amour capable de tout contenir – le mal comme le bien – ne s’impose pas, elle s’offre discrètement à notre liberté et à notre collaboration : « Dieu qui t’a créé sans toi, ne te sauvera pas sans toi » rappelait Saint Augustin. L’architecte est à l’œuvre pour rebâtir nos ruines, à nous de garder allumée la petite flamme de l’espérance et de participer, comme nous le pouvons, à ce grand chantier de reconstruction.
Federica Cogo, Service de spiritualité de l’Eglise catholique romaine à Genève
11 avril 2020
Crédit image: Centre Aletti