Après le ventre la mangeoire
Lorsque l’on scrute les textes des évangiles pour trouver des indices à propos de cet enfant qui vient de naître, on tombe sur une étrange indication, une parole d’ange du Seigneur dite à des bergers : « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Luc 2,12). Cette mangeoire est un lieu bien étrange pour recueillir un enfant tout juste venu au monde.
Après le ventre de sa maman, lieu d’obscurité, lieu d’absence de lumière, l’évangile nous rapporte qu’un enfant est déposé dans un lieu inhabituel, creux, destiné à contenir de la nourriture pour le bétail. C’est là qu’on peut le trouver. A peine né et déjà déposé dans un espace où les ruminants se nourrissent. Est-ce un lieu adapté pour cet enfant dont le nom signifie « le Seigneur sauve » ? Dans nos crèches, il a l’air de s’y plaire, comme si ce lieu creux, là où ça ne sent pas très bon, avait été imaginé pour lui, depuis la nuit des temps.
Cette mangeoire semble être un lieu primordial, TOUT À FAIT ADAPTE A LA NOBLESSE D’UN SAUVEUR. Pour ce tout petit bonhomme dont les parents ont eu de la peine à trouver un lieu pour naître, la mangeoire semble être le lieu idéal.
Je me demande si cet enfant qui est déposé dans une mangeoire pour le bétail, déposé par on-ne-sait-qui (par Dieu lui-même ?), est un signe pour nous dire de quelle manière Dieu sauve ? De quoi Dieu nous sauve ?
Avec vous, je me demande ce que que signifie cette mangeoire, ce lieu insolite pour recueillir le « Seigneur sauve », traduction hébraïque de Jésus.
Notre expérience d’homme et de femme des années 2020 nous fait percevoir que malgré les bonnes nouvelles (annonce de naissance, joie des gestes solidaires, progrès de la médecine contre les virus, …), la nuit rôde dans nos existences personnelles et sociales. Dès qu’un petit humain est déposé dans le monde, son existence est marquée par la fragilité, la vulnérabilité, parfois même l’hostilité.
Ce petit d’homme et de femme, déposé dans cette mangeoire, par on-de-sait-qui, est délié de toute appartenance, personnelle ou collective : il n’est pas à moi, il n’appartient pas à ses parents, ni à son clan, ni à sa religion d’origine, ni aux catholiques, pas plus aux pratiquants qu’aux non-pratiquants, il n’appartient pas à eux qui se tiennent à distance ou aux indifférents. Il est pour ceux qui ont faim d’un autre monde, pour ceux qui ont besoin de lumière, de paix et de justice, de tendresse. Il est pour ceux qui ont soif d’exister !
Cette période de crise sociétale nous oblige à appréhender Noël à nouveaux frais. Il est possible de s’approcher de la mangeoire, mais que pouvons-nous faire devant cette être vulnérable, tout juste mis au monde ? Juste lui donner une caresse, lui dire un poème. Il n’est pas au monde pour les propriétaires de Dieu et les arrogants, mais il est déposé pour les poètes et les amants, ceux qui se reconnaissent de la même vie que le bétail. Car le bétail qui se tient devant la mangeoire connait la voix de son maître.
Joyeux Noël !
Michel Colin
Adjoint du vicaire épiscopal
Image: Centro Aletti (Rome)
Décembre 2020