Depuis 1993, ils sont plus de 40 000 hommes, femmes et enfants à être décédés sur les routes de la migration vers l’Europe. En mer Méditerranée, à la frontière entre la Serbie et la Macédoine du Nord, dans la Manche, entre la Pologne et la Biélorussie, en route vers les îles Canaries… Qui s’en souvient? L’action Les nommer par leur nom (Beinnamen nennen) veut donner une visibilité à ces destins et rendre la dignité à chacun et chacune de ces personnes. Elle a eu lieu dans plusieurs villes, dont Genève, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés.
Les noms s’égrènent doucement, le vent s’est levé et rend la chaleur supportable en cette belle journée de juin. Une vingtaine de personnes ont répondu favorablement à l’appel de l’AGORA (Aumônerie Genevoise Œcuménique auprès des Requérants d’Asile), de l’association SOS Méditerranée et de Les nommer par leur nom (Beinnamen nennen). Des membres de la paroisse luthérienne anglophone, des autres diaconies, du vicariat comme Catherine Riedlinger du Conseil pastoral Cantonal, des fidèles comme Maurice Gardiol ou Nicole Andreetta, des gens d’autres horizons… « J’ai lu un flyer qui était au fond de l’église et j’ai eu envie de venir », explique Philomène de la paroisse St Joseph.
Chacun lit en duo pendant 15 minutes une liste de noms de personnes décédées et les circonstances de leur disparition.
Depuis plusieurs années à l’occasion de la journée des réfugiés, l’action Les nommer par leur nom propose de sortir ces drames de l’oubli avec l’appui de l’association UNITED for intercultural action qui recense le nom des personnes disparues ainsi que les circonstances de leur décès depuis 1993. Dans de nombreuses villes de Suisse et d’Allemagne, ces noms sont lus dans des commémorations sur 24 heures.
A Genève, c’est la troisième année que cette manifestation a lieu. L’AGORA, SOS Méditerranée et Les nommer par leur nom unissent leur force pour faire porter la voix de ceux qui n’en ont plus.
Symboliquement cette année, la commémoration a lieu au bord du Léman près du débarcadère de La perle du Lac. La veille, un concert de musique classique avait été donné au temple de la Madeleine en soutien à l’association SOS Méditerranée qui arme l’Ocean Viking. Ce navire patrouille en mer Méditerranée à la recherche des embarcations surchargées pour tenter de sauver des vies. Depuis le début de l’année 2022, 690 personnes sont mortes ou ont disparu en Méditerranée centrale, 810 personnes sont mortes ou ont été portées disparues en Méditerranée (routes centrale, orientale et occidentale) ; 999 ont été secourues par le navire de SOS Méditerranée. La pianiste Alicia Abensour et le quatuor Robert étaient remarquables…
A la suite de ce concert et de l’appel d’Alexandre Winter, aumônier à l’AGORA, une jeune afghane se présentera spontanément. Elle se proposera pour lire.
« Lors d’un baptême, on demande aux parents quel est le prénom de l’enfant. Il est ainsi reconnu comme enfant de Dieu et comme personne. Aux funérailles, le prénom est de nouveau prononcé comme un au-revoir. En les nommant haut et fort et en écrivant leurs noms sur des bandelettes de papier, nous les sortons de l’oubli et leur redonnons leur dignité » explique Virginie Hours, aumônière à l’AGORA.
Un petit garçon venu avec une bénévole de SOS Méditerranée dessine un bateau sur l’asphalte avec des craies de couleur bleue. La bénévole lit des noms en duo avec Mahamat, jeune tchadien arrivé en début d’année. Il a vécu la traversée de la mer Méditerranée entre la Lybie et l’Italie.
Sur l’intuition de Catherine Menoud, assistante pastorale de l’UP des Rives de l’Air, l’action s’est également « décentrée » cette année : il a été proposé aux paroisses de s’associer et de lire également une liste de noms au cours d’un culte ou d’une messe pendant le week-end. Plus d’une douzaine de lieux ont accepté.
Mahamat s’approche et demande. « J’ai entendu le nom d’une personne qui venait du Tchad. Je voudrais relire ce qui est dit à son sujet. Je le connais. Il est de ma famille. Nous savions qu’il était mort mais nous ne savions pas comment ».
La fin de la journée se clôture avec un Cercle de silence.
AGORA, juin 2022