L’humanitaire, l’éthique, la résilience tissent le fil conducteur des nombreux engagements de Paul Bouvier, médecin, spécialisé en pédiatrie, en santé publique et en action humanitaire. Des compétences qu’il a notamment mises au service du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) avec des missions aux quatre coins du globe. Catholique, il y a quatre ans, il a rejoint le conseil de l’Aumônerie œcuménique des prisons à Genève. Autant d’étapes d’un parcours de vie au service de l’humain. Rencontre.
Paul Bouvier croit dur comme fer au principe d’humanité. Mais qu’est-ce qu’on y met ? « Deux éléments essentiels : la compassion et le respect envers la personne souffrante, vulnérable ou en situation de danger. La compassion s’inscrit dans une relation plus affective, plus proche de la personne. Le respect dans un aspect plus formel, qui ouvre le chemin vers le droit humanitaire, les droits humains et les règles éthiques », explique Paul Bouvier.
Il a embrassé l’humanitaire déjà durant ses études de médecine à Genève, avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dès la fin des années 1970 pour des missions médicales en Afrique australe, puis en Amérique centrale et dans les Caraïbes, dans les domaines des soins médicaux, de la santé publique, et de la santé en détention. « Dans ce principe d’humanité, on retrouve les valeurs fondatrices du christianisme, mais son étendue est plus vaste. Je crois que le génie de Henry Dunant, fondateur de la Croix-Rouge, a été de voir la portée universelle de ce principe. De l’indignation de Dunant de voir les blessés abandonnés sur le champ de bataille a surgi l’idée d’impartialité afin de donner des secours et des soins à toutes les victimes, sans aucune distinction. C’est le principe d’humanité. J’ai eu l’occasion de travailler à travers le monde, en Chine, au Qatar, au Kenya, à Cuba ou en Iran et d’y animer des ateliers d’éthique humanitaire. Des personnes avec d’autres références culturelles traditionnelles ou religieuses se rejoignent sur cette action de base de porter secours à toutes les victimes, après une bataille ou une catastrophe », témoigne Paul Bouvier.
Très vite il n’a pas limité son champ d’action aux soins des malades ou aux mesures de santé publique, pour s’intéresser aux blessures de ‘l’âme’, à la vulnérabilité, aux traumatismes et à la résilience face à la violence.
Devenu directeur du service de santé des enfants et des jeunes du canton de Genève, il a développé des programmes sur l’intégration scolaire et les maladies chroniques, la prise en charge des abus sexuels, la prévention de la violence et la promotion de la résilience. « J’ai travaillé autour de la vulnérabilité et la résilience d’enfants victimes d’abus sexuels, et aussi de personnes victimes ou auteurs de violences extrêmes ou de conditions de détention déshumanisantes. Être victime ou auteur de violence est déshumanisant », constate Paul Bouvier.
Il n’a cessé de se demander ce qui permet à certains individus de se reconstruire, même après un délabrement. Au cours de sa carrière, il a visité ou travaillé dans différents lieux de détention sur plusieurs continents. « En prison, quand j’ai demandé aux personnes dans des situations parfois extrêmes, qu’est-ce qui leur permettait de vivre au jour le jour, souvent elles répondaient, « Dieu », « Allah », puis elles citaient la famille, les amis, les codétenus, et parfois aussi les humanitaires du CICR. Ces liens sont au cœur de la résilience. Les personnes mentionnaient souvent de toutes petites choses. Une tasse de café que l’on a bu avec eux, quelques biscuits partagés. Ces gestes restent dans les souvenirs comme un moment d’humanité partagée, qui a permis de se rattacher à quelque chose de porteur et de surmonter parfois des souffrances et des agressions très fortes. La compassion et l’humanité s’expriment plus dans des petits gestes que dans de grandes manifestations ». Et de raconter l’importance attachée par certains détenus à de belles images, de fleurs ou paysages, distribuées par des délégués du CICR ; ou l’épisode d’un prisonnier qui a reçu un flacon de parfum de la part d’une déléguée. L’homme était lumineux en déclarant : « depuis que je suis ici, c’est la première fois que je sens bon ; je me sens humain ».
Paul Bouvier n’en dira pas plus sur le vécu de cet homme. Avec la neutralité, la confidentialité est au cœur de l‘action du CICR. Le respect de ces valeurs permet à l’organisation humanitaire d’être souvent la seule à avoir accès à des lieux sinon inaccessibles. Par les Conventions de Genève, le CICR a en effet reçu le mandat de visiter les prisonniers de guerre et les internés civils en période de conflit. Partout où cela est possible, il visite aussi les personnes détenues dans d’autres situations de violence. Ces visites ont pour but de garantir que les détenus sont traités avec humanité. « La confidentialité permet un espace de dialogue unique avec les détenus, les victimes, mais également avec les autorités de prison, les forces armées, les parties en conflit, les gouvernements. Ce n’est pas une confidentialité complice, mais active, car elle débouche sur un dialogue à partir des faits constatés. Pour le CICR, il s’agit d’une confidentialité absolue et sans brèches ; ce dialogue humanitaire permet souvent des changements, des améliorations dans les conditions de détention et le respect des personnes », insiste Paul Bouvier. « Dans le cadre médical, pour un prêtre ou un aumônier, le secret professionnel sert un but semblable, il ouvre un espace de dialogue, permettant un changement ». Pour autant, le dilemme existe. Qu’en est-il quand une personne dévoile une situation d’abus dont il serait auteur ou un acte de violence planifié ? « C’est un débat de société, mais il faut être conscient de l’importance vitale de cet espace de dialogue protégé. Face à un dilemme éthique, il est difficile de trouver un chemin. Il est essentiel de ne pas être seul à décider, mais d’ouvrir des lieux de réflexion partagée, avec plusieurs points de vue », souligne celui qui a assumé le rôle de conseiller médical principal, puis de conseiller en éthique du CICR pour éclairer les décisions de l’organisation face aux dilemmes éthiques de l’action humanitaire.
Depuis peu, Paul Bouvier est à la retraite, mais son engagement humanitaire continue. Il y a quatre ans, il a accepté de devenir membre du conseil de l’Aumônerie œcuménique des prisons. « J’ai été tout de suite intéressé par cette demande. Je pense que les enjeux qui se jouent dans des lieux comme les prisons sont très importants. Il y a peu de choses que l’on peut amener, mais qui peuvent être très significatives. La dimension œcuménique de l’aumônerie est pour moi très importante. Elle donne lieu à une magnifique collaboration entre différentes confessions, et de belles collaborations avec les musulmans et d’autres religions. Depuis une année, je suis aussi membre du groupe des visiteurs laïcs de prison ».
Catholique, Paul Bouvier est particulièrement sensible à l’œcuménisme, qu’il a vécu jeune, notamment lors de séjours à Taizé. La diversité se vit aussi en famille, avec dans la famille de son épouse une tradition protestante évangélique, catholique pour leurs deux garçons, et la confession orthodoxe pour leur fille adoptée, son mari et leurs deux enfants.
« Le regard que je porte sur l’Église s’inscrit dans l’aventure du chemin œcuménique. Avec des lieux de partage et de rencontre comme Taizé, avec des initiatives comme celle du pape pour le rapprochement et pour le dialogue. Le dialogue s’apprend, c’est une compétence qui a besoin de lieux pour grandir, de temps, de persévérance et d’écoute. Le rôle d’un pape aujourd’hui est difficile et très exposé. Il y a des signes très forts d’une Église ouverte, qui ouvre ses bras et qui accueille, avant de juger et d’émettre des normes. Mais on a également des signes de résistance. Je crois que nous devons soutenir ce mouvement d’ouverture. Il y a un vrai défi. » (Sba)
Image: Arcabas« Le visiteur attendu » ©DR
Paru dans le Courrier pastoral, mars 2020