Portait de chez nous: À 77 ans, l’abbé Michel Demierre est toujours actif et au service de l’Église, à Genève, en Suisse et ailleurs. Fribourgeois d’origine, il a un parcours atypique : bien plus qu’en paroisse, il a exercé son ministère dans les cabines de régie et en reportage avec plus de 30 ans passés à la Télévision suisse romande (TSR, aujourd’hui RTS), en qualité de réalisateur des émissions religieuses. Rencontre.
L’abbé Michel Demierre a toutes sortes de souvenirs à partager, depuis son enfance dans la Glâne fribourgeoise jusqu’à ses voyages au Rwanda ou au Togo ou encore à propos de ses engagements actuels, notamment au sein du Mouvement chrétien des retraités (MCR). Ses reportages et son travail de réalisateur ont été distingués à de nombreuses reprises. En 2006 il a reçu le Prix catholique de la communication de la Commission des médias de la Conférence des évêques suisses (CES). L’abbé Demierre – soulignait le communiqué de la CES – a porté « une attention particulière aux transmissions liturgiques, préparées avec une compétence exceptionnelle et dans une justification du synchronisme des images, des sons et de l’action liturgique ». Avec Don Valerio Crivellii, ancien directeur du Centro cattolico per la Radio e la Televisione et également lauréat du Prix, il a apporté « une contribution exceptionnelle » pour servir un large public.
Abbé Michel Demierre : Je suis né dans une famille rurale et nombreuse dans une commune à la frontière entre Vaud et Fribourg, Montet Glâne. Mon père avait de nombreux engagements dans le district et en paroisse et ma mère était membre de la Ligue des femmes catholiques. À l’époque, l’Église jouait un rôle social. Un « crieur » par exemple relayait les informations importantes à la sortie de la messe du dimanche. Quant à ma vocation, il paraît que jeune enfant, j’endossais un sac en papier (pour chasuble) et je me baladais en proclamant « dominus vobiscum».
Plus sérieusement, ma vocation a surgi assez rapidement, mais sans que cela soit pour autant facile. Je me suis dit « pourquoi pas toi ? ». Je me souviens que dans notre commune il y avait un capucin et un curé qui se « querellaient » gentiment à propos de moi : sera-t-il noir ou brun ? Ce qui m’intéressait et m’intéresse encore aujourd’hui était le service du peuple. Après le collège, j’ai fait des études de théologie à Fribourg (1965-1970).
Je suis arrivé au séminaire en 1965, la semaine de clôture du Concile Vatican II, un moment très significatif. J’étais un des derniers élèves du cardinal Charles Journet, un homme magnifique. Après le séminaire, j’ai été ordonné prêtre en 1970, par Mgr Pierre Mamie, puis, nommé vicaire à la cathédrale Saint-Nicolas à Fribourg. J’étais accompagné par le chanoine Adolf Aebischer, une notoriété. Nous avons notamment formé un conseil de communauté. Après cinq années, en 1975, je suis entré à la Télévision suisse romande. J’y collaborais déjà depuis le synode de 1972. A cette occasion, l’abbé Henri Nicod (réalisateur des émissions catholiques à l’époque) m’avait mobilisé. C’était un homme pratique et très populaire et j’étais son poulain. J’ai suivi une formation en réalisation, avec stage au Canada. Je lui ai succédé en 1977, en tant que réalisateur et producteur des émissions religieuses, et cela jusqu’au 31 décembre 2007.
Je travaillais en collaboration avec le Service protestant et comme membre du Centre catholique de radio et télévision (CCRT, actuellement Cath-info), sous la direction de l’abbé André Babel, puis d’André Kolly. J’ai été également membre du Comité de l’Eurovision en matière religieuse, pour la coproduction et l’organisation des transmissions cultuelles. Je fus actif dans la collaboration du CCRT et de la TSR avec le Centre Crec-Avex à Lyon pour la formation de jeunes du Sud en matière de médias religieux.
Être réalisateur requiert des connaissances très techniques, pour la régie. C’est également un travail de gestion : la gestion de l’équipe – pour une messe télévisée, il y a souvent jusqu’à 15-16 métiers différents (caméraman, preneur de son, scripte…) – mais également la gestion du budget. Une planification nationale répartissait les équipements techniques pour les transmissions en direct. Pour les liturgies dominicales, on devait partager les appareils et les collaborateurs avec les équipes qui couvraient les rencontres de hockey sur glace ou les descentes de ski. En janvier, par exemple, le dimanche de l’Unité des chrétiens entrait en concurrence avec une descente à ski ! J’avais une carte de presse et ma fonction, avec mes collègues, était de rendre télévisuellement le plus agréable et accessible possible une célébration ou ce que les personnes rencontrées avaient à nous dire, par l’éclairage, le rythme du montage ou l’ambiance sonore. A la demande d’épiscopats, j’ai animé des sessions de formation au journalisme télévisuel au Cameroun, au Rwanda et au Togo. Nous avions préparé la visite du pape Benoît au Cameroun avec les responsables de la Télévision. J’ai aussi réalisé des vidéos présentant les activités de Congrégations religieuses suisses dans ces pays et ailleurs.
Ils sont très variés. Nous préparions un reportage sur l’image biblique du berger, chez un paysan. L’orage menaçait. Avec le P. Jean-Michel Poffet, nous avons pris des fourches pour charger le foin avant la pluie. Aussi, je n’oublierai jamais les rencontres avec des personnalités attachantes telles que l’écrivain français Christian Bobin, l’archevêque brésilien Dom Helder Camara ou une femme ex-otage au Nigeria. Il y a également ce moment inoubliable au Rwanda, après le génocide de 1994, lors de la messe de Minuit, alors que l’émotion était toujours palpable. Toujours au Rwanda, en 2013, j’étais au bord du lac Kivu pour filmer une communauté religieuse. Le pape François venait d’être élu et grâce à une connexion internet, nous avons pu voir le visage du pape et diffuser ses premières paroles aux villageois lors de la prière du lendemain. C’était très fort.
Avec mes collègues, nous avons travaillé à un renouvellement en matière de liturgie et surtout de langage pour que le message soit compréhensible et audible. Ce qui n’est pas toujours le cas dans l’Église ! J’ai aussi veillé à rendre attentives les personnes à l’impact de l’exposition médiatique. Comme tout prêtre, j’ai été appelé à célébrer des baptêmes, mariages ou obsèques à la demande des personnes que je rencontrais, collaborateurs de la télévision et autres.
En 2007 à 62 ans, je devais gagner ma vie, tout simplement, d’où un 50 % d’activité dans l’Église locale. J’avais signalé à Mgr Bernard Genoud mon intérêt pour un futur ministère à la périphérie, comme on dira plus tard. M’importait bien sûr la relation Église(s)-monde, bien plus que son organisation interne. C’est au service de demandes personnelles que je me sens plus à mon affaire. À côté de mon engagement dans l’Église locale, je poursuis mes activités dans le secteur de la formation audiovisuelle, en Afrique, en réponse à des demandes. A Genève, je fais notamment des semaines de remplacement sur l’UP Plateau (Saint-Martin, Saint-Marc, Christ-Roi), je suis engagé dans l’EMS La Vendée. Conseiller spirituel romand du Mouvement chrétien des Retraités, je suis également aumônier de l’Hospitalité du pèlerinage d’été à Lourdes.
Pour ce qui est de l’Église, je crois toujours qu’il faut aller aux périphéries. Ne faut-il pas avant tout accueillir la périphérie qui vient à nous et se manifeste souvent dans nos petites communautés qui ont toute mon affection! ■ Propos recueillis par Sba
Paru dans le Courrier pastoral n° 2 (février 2023)
Image en Une: l’abbé Michel Demierre ©ECR