L’Eglise est composée de nombreux visages. Aujourd’hui nous vous proposons le portrait d’Angèle Habiyakare, paroissienne de l’Unité pastorale Rives de l’Aire.
Angèle suggère que nous nous retrouvions au jardin Quedan à Perly, sur la route de Certoux. Elle aime cet endroit, un lieu où elle a grandi et vient se ressourcer, où elle apprécie la vue et la proximité avec la chapelle. Ce paysage la transporte au Rwanda.
Après une semaine d’un défilé intense d’examens, 2ème année du Bachelor en physique, c’est le premier jour de vacances, mais Angèle est déjà occupée à préparer le camp scout des deux semaines à venir. Si elle fait le choix de répartir ses études sur quatre ans, c’est pour honorer, avec conscience et fidélité, ses engagements bénévoles.
Là, elle vient de terminer sa participation au comité du bicentenaire de la commune de Perly. Elle se reconnaît également une sensibilité particulière pour les personnes en situation de précarité, pour les sans-abris, dont elle s’est occupée lors du confinement. Elle relève que cela vient de l’exemple de ses parents, très engagés pour la cause des injustices liées au génocide du Rwanda.
A la question : pourquoi je me lève le matin ? Angèle répond que cela dépend des jours, de sa motivation, de son humeur. Mais elle préfère saisir chaque journée dans ce qu’elle a à offrir et, à la fin, se réjouir de ce qui a été vécu, de ce qui a été accompli, grâce aux moments de rencontres et de dialogue. C’est de son père qu’elle tient cette pratique de relecture.
Ce qu’Angèle met derrière un évènement marquant, ce sont simplement les personnes qu’elle rencontre au quotidien. Elle aime être à leur écoute, se nourrir de leurs réflexions philosophiques, de leur vision du monde. Grâce à ces liens, Angèle dit avoir grandi en confiance et avoir acquis une certaine maturité. C’est pour elle un lieu d’éveil, une source d’inspiration pour ses choix de vie.
Ses parents font partie de ces personnes qui ont survécu aux évènements tragiques du Rwanda. Habités par une foi à déplacer les montagnes, avec audace et persévérance, ils se sont engagés pour que justice soit faite. Odette, la maman, a toujours été là pour promouvoir la justice, pour aider les autres. Ses travaux commencent à porter du fruit et à être reconnus, non pas pour elle-même, mais pour d’autres qui ont sauvé des vies. Ayant perdu tous les membres de leur famille, le couple en fonde une nouvelle. Ils se tiennent ensemble.
Aînée de quatre enfants, née en Suisse, Angèle est reconnaissante à ses parents d’avoir fait le choix de privilégier la famille à la carrière. Elle relève que c’était important pour eux de prendre part à l’épanouissement de leurs enfants, de souhaiter les accompagner dans leur croissance, de les éveiller à leurs propres ressources, de leur donner les outils pour affronter la vie. Angèle parle de parents courageux.
La vie continue malgré tout comme une mission relève Angèle. On l’a toujours senti, toujours compris que c’était comme ça. Nos parents nous ont raconté l’histoire avec un certain calme et cela nous a fortifiés dans notre capacité à vivre. Elle parle d’eux avec fierté, respect et admiration. Elle souligne la chance d’avoir des parents aussi engagés.
C’est un objet traditionnel taillé en bois : Icyansi, dans lequel on met du lait et précisément du lait caillé : Ikivuguto. Sa fabrication relève d’une démarche spirituelle dont le rituel est ancestral, accompagné d’une berceuse pour les enfants sur le lait. Pour que la préparation d’Ikivuguto réussisse, il est nécessaire d’être habité par un certain calme, souligne Angèle. Le lait est signe de bénédiction, d’ailleurs, la vache, Inka, au Rwanda est très importante, si importante qu’on ne peut pas faire plus grand cadeau lors d’un mariage. Angèle fait le lien avec la référence biblique où Dieu entraîne son peuple là où coule le lait et le miel. Elle-même nourrie au lait maternel, jusqu’à ses 18 mois, elle expérimente, aujourd’hui encore, la sensation de son goût lorsqu’elle ressent la faim.
Cet épisode sur le lait renvoie Angèle a ses origines. Elle reconnaît à la Suisse les mêmes paysages tout en montagnes et en collines. Elle y trouve une similitude dans l’atmosphère. Angèle dit que la Suisse est le Rwanda de l’Europe et que le Rwanda est la Suisse de l’Afrique. La vache fait le lien entre les deux cultures.
A 12 ans, elle découvre le pays de ses origines. Avec le recul, elle se rend compte qu’elle était trop jeune pour réaliser l’ampleur de la situation. Elle reste cependant marquée par la rencontre de quelques membres survivants de la famille. Ce n’est que plus tard, en écoutant des témoignages et en rencontrant des personnes ayant vécu ce génocide, qu’Angèle a pris conscience de la réalité des faits, qu’elle s’est éveillée à ce qui fait la source de ses racines. Elle regarde la situation du Rwanda avec des yeux neufs, se réjouissant de l’état de paix qui y règne, actuellement, permettant la reconstruction du pays et la réconciliation des habitants, grâce au gouvernement en place. Contrairement à l’Ukraine, elle a le sentiment que le Rwanda a été abandonné par la communauté internationale, mais espère qu’on arrivera à tirer des leçons de cette situation pour le futur.
Je ne l’ai pas toujours eue, dit-elle. A la recherche d’une spiritualité qui fait sens et mue par la curiosité, Angèle choisit au collège le cours en option sur la philosophie des religions. Elle apprécie le semestre sur l’athéisme, qui ouvre le dialogue sur les différentes religions, sur le monde, sur la perception de la foi dans les différentes époques et sur le plan institutionnel. Angèle découvre qu’on est rattaché à la même sensibilité et que l’institution est là pour accompagner les croyants. Elle réalise que si les formes d’interprétation sont différentes, l’Esprit se manifeste dans toutes les religions et que chacun le perçoit et l’entend à sa façon.
Si Angèle baigne dans une famille catholique pratiquante, elle n’a jamais été forcée. Seules les fêtes importantes devaient être honorées : Noël, Pâques, Pentecôte. Pour elle, la messe c’était plutôt ennuyeux ; elle ne comprenait pas. Petite, elle accompagne régulièrement son père à la messe, en latin. Cela suscite chez elle de l’émerveillement. Même si elle ne comprend pas, petit à petit, quelque chose de cette expérience spirituelle s’imprègne en elle, et un jour Angèle s’interroge. Elle se dit que s’il y a autant de gens qui vont à la messe, c’est qu’il doit y avoir quelque chose. La curiosité l’entraîne et s‘y rend de temps en temps.
Progressivement, elle comprend la structure de la messe et saisit le sens spirituel de la démarche. Puis, elle rencontre des jeunes qui lui ouvrent des horizons nouveaux. Maintenant je vais à la messe pour comprendre les textes dit Angèle, qui a lu la bible du début à la fin, d’ailleurs sans bien tout comprendre.
Aujourd’hui, elle relit ces textes autrement, en y cherchant du sens. Sollicitée pour faire la lecture à l’église, progressivement, elle prend de l’assurance dans sa façon de parler en public. En effet, elle proclame la Parole de Dieu avec aisance. Elle dit que c’est l’art oratoire de Jacques Brel qui l’a inspirée pour cultiver cette capacité de présence. Elle goûte aux textes de ses chansons parce qu’il n’y a pas d’utopie, aucune fausseté, que du réel, aime-t-elle à relever. Angèle dit ne jamais avoir été forte à l’école pour la lecture, cela lui faisait peur. Mais, depuis toute petite son père lui apprenait à lire avant même l’apprentissage de la lecture. On n’apprend pas tout à l’école souligne-t-elle.
Angèle dit encore avoir beaucoup de choses à découvrir, rien n’est acquis, l’horizon est devant. A la fin de notre entretien, Angèle réalise que c’est par des éveils qu’elle a beaucoup progressé. En effet, ce mot est revenu comme un refrain à chacun des chapitres évoqués.
Elle imagine sa vie dans l’aide : aider les autres est pour Angèle plus qu’une évidence c’est un besoin vital, à tel point, qu’elle ressent un manque, lorsqu’elle ne peut pas être au service du prochain dans le besoin. Je termine ce portrait avec l’intuition que cette notion d’altruisme a de l’avenir. Angèle en est un témoin. L’alchimie entre son désir viscérale et sa formation en physique se fera au fil du chemin.
PORTRAITS DE CHEZ NOUS Témoignage recueilli par Catherine Menoud (août 2022)