Témoignage de Mgr Pierre Farine recueilli par Catherine Menoud
Mgr Farine me reçoit chez lui avec simplicité, à l’image de son intérieur aménagé avec soin et bon goût. Le café était prêt, ne restait que la boîte de biscuits à ouvrir, laissant entrevoir son petit côté gourmand.
Il commence par déposer le décor en décrivant ses origines.
Né au Tessin en 1940, de mère tessinoise et de père jurassien, la famille s’installe à Winterthour. Pierre y fait ses premières années d’école. Puis, l’opportunité d’un emploi s’offre à son père sur la Riviera vaudoise. Un nouveau déménagement s’impose et c’est à Montreux que Pierre poursuit sa scolarité.
Puis, il obtient sa maturité à Saint-Maurice. Cette diversité multiculturelle a été pour lui un enrichissement dont il a su tirer profit tout au long de sa vie.
Tout en étant dans la retenue, ses parents ont transmis à leurs enfants un bon équilibre spirituel, sans bigoterie ni morale déplacée.
Pierre fait sa première communion à Winterthour où, dit-il, il se sentait impliqué. Le terreau de sa vocation a germé grâce à son vécu en paroisse, éduqué par la générosité des autres. Il relève également son intérêt pour les religions.
Alors qu’il a 16 ans, il se révolte contre l’invasion des Soviétiques en Hongrie. Il reçoit d’un prêtre cette parole : c’est un appel pour que toi tu fasses du bien !
Puis, comme s’il y avait anguille sous roche, la formation à Saint-Maurice creuse en lui ce désir de la prêtrise. Il se questionne, s’interroge sur l’implication d’un tel engagement et ses conséquences.
Pierre évoque comme un souvenir marquant cette décision qu’il a prise clairement à l’âge de18 ans. Je prends la décision de m’engager, j’y vais, je fonce ! Et, dit-il, je n’ai plus jamais douté, et je n’ai jamais regretté. C’est une énorme grâce reçue. Cela a été pour lui comme un roc définitivement posé sur lequel il prend encore appui, aujourd’hui, retraité officiellement de son ministère. Cette grâce spirituelle l’aidera à traverser des moments plus fragiles et plus sensibles.
A chaque étape de sa vie, il reprend cette devise des jésuites : « Pour la plus grande gloire de Dieu » Qu’est-ce que je peux faire pour y répondre ? se demande régulièrement Pierre.
En 1965, après son ordination, il est nommé jeune vicaire à Pully. Le curé du lieu lui confie l’accompagnement de groupes ACO (mouvement Action Catholique du milieu Ouvriers). Pierre lui en est reconnaissant. Provenant d’une classe sociale moyenne plutôt aisée, et d’une certaine façon protégée, il découvre une réalité qui lui était jusque-là inconnue. En côtoyant ces personnes, le visage d’un Dieu qui traverse l’humain lui est révélé. Capable de se laisser interpeller, il fait un apprentissage qui le propulse dans la vraie vie. Cet état d’esprit va courir comme le fil d’Ariane tout au long de son ministère. Du coup, il se définit comme un ministre social.
Il fera bénéficier de son expérience d’abord la paroisse de Notre-Dame à Genève où il a été vicaire. Il trouvera ensuite un nouvel épanouissement dans le cadre de la pastorale des jeunes, également à Genève, où il endosse le rôle d’aumônier. Là, il retrouve le mouvement d’Action Catholique, cette fois au niveau de la Jeunesse Etudiante Chrétienne. Ce fut une tranche de vie fabuleuse, de formation, d’actions et de spiritualité, relève-t-il.
Il apprivoisera ce milieu où il réalise que la lutte est nécessaire.
Et une lutte ne peut être menée qu’ensemble, elle est commune, dit-il. Voici un autre volet de sa personnalité qui prend son origine dans le terreau familial. A la maison on a appris à s’écouter les uns les autres, relève Pierre. Et tout en le disant, il s’émerveille du côté avant-gardiste de ses parents. Un projet de vacances se négociait autour de la table avec le respect d’une écoute mutuelle.
Pierre adopte naturellement cette attitude qu’il va mettre en pratique dans ses différents ministères. C’est ensemble qu’on avance. Chaque fois qu’il y avait une décision à prendre, chaque fois mon idée a été enrichie, dit-il, avec la satisfaction d’une réflexion faite à plusieurs voix.
Lorsque Pierre Farine est nommé évêque en 1996, il quitte alors Bernex où il a été curé pendant 10 ans. Il laisse les traces d’un passage lumineux dans cette communauté. Et pour preuve, Pierre se souvient de son déménagement de Bernex à la rue des Granges. Il reste encore époustouflé par l’efficacité des mains venues en renfort, ce jour du 31 août 1996. En regardant dans le miroir du temps, il fait le constat que les liens créés sont la marque d’une amitié capable de belles choses.
Dans son ministère d’évêque, les nominations ont suscité chez lui beaucoup de préoccupations. D’une manière générale, il a cherché à mettre en valeur, au mieux, l’attention au bien être des personnes et des communautés. Quand on est responsable d’une partie de l’Eglise, on a à veiller à ce que ce soit sain. Cela n’a pas toujours été facile mais il souligne la chance extraordinaire qu’il a eue d’avoir été bien entouré et accompagné. Il a pu compter sur des personnes qui ont mis leurs compétences au service de l’Eglise, sur des spécialistes qui lui ont donné des clés pour ouvrir des possibles. Avancer ensemble, travailler ensemble parce que soi-même on ne peut pas tout ! voilà sa devise.
A l’avenir de l’Eglise Pierre dit OUI.
Elle sera moins visible, plus vraie. Quoi qu’il arrive, elle continuera ! Aujourd’hui en souffrance à cause des problèmes d’autorité et d’abus, d’abus d’autorité, elle a plus que jamais pour vocation d’être au monde et dans le monde pour défendre le pauvre et l’orphelin, dénoncer les injustices, …
Retraité depuis quelques années, Pierre reste intéressé à ce qui se passe dans l’Eglise, et particulièrement à Genève. On n’efface pas si facilement 20 ans d’engagement au vicariat. Même s’il a pris du recul, il n’hésite pas à prendre position si nécessaire.
Inquiet de lâcher son rôle d’évêque pour prendre la retraite, il fait le saut de la confiance avec humilité. Emerge alors une nouvelle réalité qui fait son chemin. Pierre continue d’être actif en se mettant au service des communautés, en goûtant à la prière. Il apprécie cette disponibilité bienfaisante pour bien vivre les choses.
Ainsi Pierre se lève le matin à cause de l’Evangile et de Jésus-Christ. Et voici des paroles qui le font vibrer :
De Saint Vincent de Paul… un regret !
J’aurais voulu faire davantage !
De la Bible… des paroles d’espérance !
Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! Je le redis, soyez dans la joie. Lettre aux Philippiens 4,4
Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ! Jean 3, 16
De Charles de Foucauld… une expression de sa foi !
Mon Père,
Je m’abandonne à toi, fais de moi ce qu’il te plaira.
Quoi que tu fasses de moi,
je te remercie.
Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Pourvu que ta volonté
se fasse en moi, en toutes tes créatures,
je ne désire rien d’autre, mon Dieu.
Je remets mon âme entre tes mains.
Je te la donne, mon Dieu,
avec tout l’amour de mon cœur,
parce que je t’aime,
et que ce m’est un besoin d’amour
de me donner,
de me remettre entre tes mains, sans mesure,
avec une infinie confiance,
car tu es mon Père.
De Madeleine Delbrêl … une lecture !
Humour dans l’amour ! qui contient de ses méditations et fantaisies. Une invitation à la sainteté du quotidien, la sainteté des gens ordinaires.
Et pour méditer tout cela rendez-vous à la Rade de Genève ; c’est là où Pierre goûte à ce paysage.
Par toutes les météos, c’est un joyau, se délecte-t-il en le disant.
Merci cher Pierre, Monseigneur Farine, pour votre témoignage habillé d’optimisme, teinté de vérité et de sincérité, aimant, envers et contre tout, cette Eglise que vous avez servie, et que vous servez toujours avec autant d’intérêt sous le titre d’évêque émérite.
Catherine Menoud, assistante pastorale
Texte paru dans RIVES DE L’AIRE INFOS (n° 38 avril 2024)- Journal des paroisses catholiques du Grand-Lancy et Plan-les-Ouates-Perly-Certoux
Crédit image de Mgr Pierre Farine UP RIVES DE L’AIRE/ CM