Portrait de nos prêtres – À 67 ans, dont 53 ans en Suisse, l’abbé Elvio Cingolani rentre en Italie pour poursuivre son ministère dans sa terre d’origine, la région des Marches, comme curé d’une paroisse de campagne. À son compteur, presque 40 ans de sacerdoce.
« En quarante ans, j’ai beaucoup évolué dans la compréhension de mon ministère, tout en restant fidèle à la vocation franciscaine d’humilité et de fraternité qui a guidé mon parcours ». Une constante donc, mais marquée par une sorte de paradoxe pour ce fils d’immigrés italiens.
Né dans la région des Marches, à moins de 100 kilomètres d’Assise, lieu de naissance de Francesco di Bernadone, c’est à Genève, dans le quartier du Grand-Lancy où il s’établit adolescent, que l’abbé Elvio Cingolani entre en contact avec la communauté franciscaine, établie à l’époque dans le quartier, au service de la paroisse de la Sainte-Famille. Une rencontre déterminante pour sa vocation.
« J’ai été séduit par l’esprit de fraternité et la vie de saint François. Alors qu’il était très riche, il a choisi la pauvreté et a tout quitté pour suivre Dieu. J’ai décidé de tout laisser à mon tour : mon travail, ma voiture, mes petites économies, ma famille, j’ai tout distribué et je suis entré au couvent pour suivre la voie franciscaine, au sein de l’ordre des Cordeliers. J’étais comme un amoureux disposé à mille sacrifices pour suivre l’être aimé ». S’il a quitté plus tard l’ordre des Franciscains et la vie conventuelle pour devenir prêtre séculier, il l’a fait uniquement pour être plus proche de la vie de la paroisse et du quotidien des paroissiens. « Mais l’élan franciscain est resté et j’ai toujours essayé d’être dans une attitude fraternelle. Je sais que je n’ai pas toujours réussi ! », confie l’abbé en jetant un œil dans le rétroviseur.
L’heure de quitter Genève est en effet l’occasion d’esquisser un premier bilan. Des messes en latin de son enfance italienne à l’œcuménisme genevois, en passant par la sécularisation, le parcours de l’abbé Cingolani a traversé de nombreux changements, tant au niveau des structures de l’Église, que de la société dans son ensemble. « Au début de mon ministère, il y avait encore au moins un prêtre dans chaque église et la collaboration entre paroisses était rare. Aujourd’hui, les prêtres sont moins nombreux et doivent être au service de plusieurs paroisses regroupées en Unités pastorales (UP) ».
« Quand il était responsable d’une seule communauté, le prêtre était davantage disponible, plus proche des paroissiens et des collaborateurs, avec des liens d’amitié. Dans les nouvelles configurations, il est impossible de connaître tout le monde. J’ai ressenti une plus grande difficulté à trouver ma place ». Mais il y a aussi des aspects très positifs, nuance-t-il. Aujourd’hui, le prêtre est moins seul dans la prise de certaines décisions. Les projets et les soucis sont partagés avec d’autres, prêtres et laïcs, en équipe. « La pastorale s’en trouve améliorée, surtout par une meilleure prise en considération des réalités d’une société qui change. Les laïcs et les divers groupements sont davantage responsabilisés. Le risque est celui d’une certaine dispersion aux dépens de l’unité », observe le curé.
Ces changements s’inscrivent dans la progressive sécularisation de la société : le nombre de catholiques est en baisse et beaucoup ne fréquentent plus une paroisse. Dans ce contexte, « il arrive que des personnes que l’on ne voit jamais à l’église viennent nous voir pour demander un sacrement, une célébration ou un rite. Les premières fois, j’ai réservé un accueil un peu froid à ces demandes : elles ne s’inscrivaient pas dans une expérience religieuse ou spirituelle comme je la concevais », analyse l’abbé. Depuis, son regard a changé.
« J’ai évolué en essayant d’accueillir les personnes en partant de là où elles sont et non de mes attentes ou ma position, dans un esprit de dialogue afin de mieux comprendre leurs attentes et les motivations. Parfois, les personnes s’éloignent de la pratique religieuse en raison d’expériences douloureuses, histoires de famille complexes, divorce ou deuils. Parfois, du fait d’attitudes de l’Église qui n’a pas toujours montré son plus beau visage ».
Aujourd’hui, l’abbé Cingolani chérit ces rencontres. Il évoque le cas d’une dame, baptisée, mais en froid avec l’Église, qui a frappé à la porte de la paroisse pour inscrire ses enfants au parcours pour la première communion. « Elle m’a demandé si elle pouvait faire elle aussi la première communion et par la suite, elle est devenue une catéchiste formidable », se rappelle Elvio Cingolani. Au départ, elle croyait que c’était impossible ! Comme cette autre dame baptisée, éloignée de l’Église par une éducation trop moraliste : « elle est venue demander si elle avait le droit de revenir à l’Église. Nous avons longuement parlé et lu la parabole de la brebis égarée. Nous avons aussi pleuré ensemble ».
« Parfois nous avons la sensation de pratiquer notre ministère dans le désert. Nous ne touchons plus les masses, mais seulement des individus ». Mais les brebis perdues et retrouvées sont des « signes extraordinaires de l’Esprit Saint qui est toujours à l’œuvre dans le monde. Je vois aussi des jeunes qui ont envie de connaître Dieu et des personnes qui ont repris contact avec l’Église pour les obsèques d’un proche, un mariage ou un baptême, qui se mettent en chemin et s’engagent en paroisse. Je suis donc très optimiste. Enfin, je crois que l’Église, qui est en chemin, aura encore une importance et une pertinence dans le monde. Le message de l’Évangile reste d’une grande actualité ».
« Je vais continuer mon ministère en Italie. Après trois mois de congé sabbatique, je serai curé d’une paroisse de campagne dans ma commune d’origine, Matelica (région des Marches). À 67 ans, je veux aussi me préparer à la grande rencontre ! Réfléchir au mystère de l’existence par une lecture plus assidue de la Bible et un contact plus intense avec la Création. Je voudrais également être attentif au ministère de la charité, notamment pour les immigrés, nombreux en Italie ».
La joie de commencer une nouvelle tranche de vie cohabite avec le regret de laisser les amis connus en Suisse. « Ici et avec eux, j’ai pu élargir mon regard sur le monde et l’humain, découvrir et vivre l’œcuménique. Des trésors que j’emporte avec moi en Italie », assure l’abbé Elvio Cingolani. ■ (Sba)
Article paru dans le Courrier pastoral ( septembre 2023)
Image: portrait de nos prêtres: l’abbé Elvio Cingolani ©ECR
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